A Bakou, les droits de l’Homme, grands absents de la visite du président tchèque
Le président tchèque Miloš Zeman est depuis mardi et jusqu’à jeudi en Azerbaïdjan. Au programme de cette visite officielle dans ce pays du Caucase, économie, échanges commerciaux, rencontre avec des étudiants, mais surtout pas de droits de l’Homme, alors même que les parlementaires européens ont adopté la semaine dernière une résolution appelant le président Ilham Aliyev à libérer les prisonniers politiques, sous peine de sanctions financières.
Il y a quelques jours, les parlementaires européens ont appelé Bakou au respect des droits de l’Homme et de ses engagements internationaux et à la libération des prisonniers politiques, mais aussi les pays-membres de l’Union européenne à ne pas transiger sur le respect des libertés fondamentales pour des considérations essentiellement économiques. En réaction à cette résolution, les parlementaires azéris ont enjoint le gouvernement de Bakou de quitter le Partenariat oriental conclu avec l’Union européenne. Réagissant à ces dernières annonces, le président tchèque Miloš Zeman a préféré temporiser :
« Je considère que le Partenariat oriental est quelque chose de très utile et que l’Azerbaïdjan y a joué un rôle important jusqu’à présent. Si l’Azerbaïdjan quittait le Partenariat oriental, ce dernier perdrait un de ses éléments-clés. »De son côté, son homologue azéri Ilham Aliyev a balayé d’un revers de la main la résolution des parlementaires européens.
Et si par le passé, la République tchèque, notamment par la voix de son ancien président et dramaturge Vaclav Havel, prônait une diplomatie qui ne fasse pas l’économie des droits de l’Homme, cette position s’est largement infléchie ces dernières années, le réchauffement des relations avec la Chine en étant un des exemples les plus marquants. Deuxième plus important exportateur de pétrole pour la République tchèque, l’Azerbaïdjan occupe pourtant la 162e place sur 180 dans le Classement mondial 2015 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières et est largement critiqué par les ONG de défense des droits de l’Homme.
Dernier événement en date : la condamnation début septembre à sept ans et demi de prison de la journaliste Khadija Ismayilova. Un procès entaché d’irrégularités, basé sur de fausses accusations d’évasion fiscale, et qui cache des motifs politiques puisqu’elle a enquêté pendant des années sur la corruption et plus précisément sur les entreprises et les comptes bancaires offshore qui seraient liés à la famille du président Ilham Aliyev. Khadija Ismayilova avait notamment travaillé pour Radio Europe Libre, dont le siège se trouve à Prague, comme le rappelle l’ancien chef de la rédaction azéri, son collègue Kenan Aliyev :« L’Azerbaïdjan est une démocratie, en tout cas, c’est ce dont sont persuadés le président Aliyev et son entourage. Khadija travaillait sur des thèmes ultra-sensibles, sur la corruption dans les plus hautes sphères de la politique, et notamment sur la famille du président Aliyev. Elle a révélé au public qui n’en savait rien les petites affaires du clan Aliyev. Mais je ne crois pas que cet emprisonnement puisse museler Khadija. »
La famille d’Ilham Aliyev tient l’Azerbaïdjan d’une main de fer depuis des dizaines d’années, et pour détacher le pays de la sphère d’influence russe, fait les yeux doux aux pays occidentaux qui le lui rendent bien depuis que le climat s’est refroidi entre l’UE et Moscou. L’organisation des premier Jeux européens à Bakou en juin dernier en a été la preuve : les petits plats ont été mis dans les grands pour accueillir joueurs et médias occidentaux en Azerbaïdjan, un pays en quête de reconnaissance internationale.Outre le sport, élément fédérateur qui fait souvent oublier la politique, l’Azerbaïdjan représente encore un atout imparable pour une Union européenne dont la dépendance énergétique à la Russie s’est révélée plus que problématique après la crise ukrainienne : le gaz et le pétrole azéris représentent ainsi une alternative non-négligeable aux hydrocarbures russes. Et c’est notamment grâce aux revenus de leur exploitation que le président Aliyev tient si aisément les rênes du pouvoir, comme le rappelle Slavomír Horák, spécialiste des pays d’Asie centrale :
« Le pétrole a largement contribué à stabiliser le pays et faire en sorte que tout le monde soit satisfait. Les revenus du pétrole étaient jusqu’à récemment tout-à-fait suffisants pour pouvoir financer à la fois les structures oligarchiques ou autres, mais aussi un certain développement du pays. »Et pour confirmer la bonne santé des relations entre l’Azerbaïdjan et de la République tchèque, le président Zeman a invité dans la foulée son homologue à se rendre à Prague.