A la BnF, les panoramiques de Josef Koudelka, « peintre » de ruines
Il est sans nul doute l’un des plus grands, sinon le plus grand photographe tchèque des 50 dernières années : Josef Koudelka expose à la BnF son cycle « Ruines », fruit de 30 ans de pérégrinations dans 19 pays du bassin méditerranéen sur les sites de l’Antiquité, berceau de notre civilisation. 110 photographies panoramiques en noir et blanc sont ainsi à découvrir Quai François Mauriac à Paris, jusqu’au 16 décembre. Cette exposition est aussi l’occasion d’une nouvelle donation du photographe à une institution culturelle : 170 tirages issus de cette série rejoignent ainsi le département des Estampes et de la Photographie de la bibliothèque François Mitterrand. Pour évoquer tous ces aspects, RPI s’est entretenu avec la co-commissaire de l’exposition Héloïse Conesa :
« C’est merveilleux pour nous. Josef Koudelka fait à la fois partie du patrimoine tchèque et français. C’est un photographe immense. Pour nous, c’est une opportunité incroyable, surtout en ce qui concerne les paysages. Il y a trois ans Josef Koudelka a donné une partie de sa série Exils – 70 tirages – au Centre Pompidou. Cela faisait vraiment sens pour nous d’accueillir ce nouveau projet panoramique étant donné qu’on conservait déjà ses premiers panoramiques issus de son travail pour la DATAR. En France, on connaît beaucoup Josef Koudelka pour les Gitans, 1968, pour Exils. Pour nous, il était important de mettre en avant que le paysage est un pan entier de sa carrière. »
Josef Koudelka, nomade et citoyen du monde
Qu’est-ce que cela signifie pour une institution comme la vôtre quand un artiste de l’envergure de Josef Koudelka fait ce type de don ?
« Pour lui, et il le dit lui-même, c’est une façon de rendre hommage à la France qui l’a accueilli et dont il a par ailleurs la nationalité. C’est aussi une façon de marquer sa filiation avec des photographes français avec lesquels il a travaillé, au premier chef desquels Henri Cartier-Bresson avec lequel il avait noué une amitié de plusieurs années. Avec Robert Delpire également, cet éditeur récemment disparu. Avec Xavier Barral, autre éditeur qui, malheureusement a disparu au moment où l’on finalisait le catalogue de l’exposition.
Tout cela compte dans le paysage français et dans la vie de Josef Koudelka. C’est un signe de reconnaissance des deux côtés. Pour nous, c’est une façon de montrer à quel point Koudelka fait partie des grands photographes qui ont œuvré en France. Koudelka est un photographe nomade, un citoyen du monde comme il le dit lui-même, c’est aussi un Européen convaincu. C’est une façon de créer des ponts entre les pays européens. Et pour nous de célébrer tout cela, puisque l’art et la culture le permettent. »
Vous rappeliez les grandes séries de Josef Koudelka que tout le monde connaît, 1968, les Gitans, Exils. Toutes ces photos montrent des figures humaines, ce qui n’est pas le cas de celles du cycle « Ruines » et de ses paysages de façon globale. Et pourtant, l’Homme est là sans être visible. Quel est le fil rouge de ses photographies ?
« Je pense que quand Koudelka travaille pour la DATAR et fait des paysages panoramiques, ce qui l’intéresse ce sont les paysages en voie de désindustrialisation, la fin d’un monde. Quand il photographie les ruines de Beyrouth après la guerre civile, c’est aussi une page qui se tourne. Avec ‘Ruines’, ces paysages méditerranéens antiques, c’est une façon de montrer à quel point la ruine est un sujet intemporel, voire atemporel. Josef Koudelka aime dire que pour lui, la ruine n’est pas le passé, mais le présent, et c’est aussi notre avenir. La figure humaine est toujours en creux parce que ce qui fait finalement le lien entre ces différentes séries de paysages, c’est le fait que ce sont des paysages qui ont été modifiés ou détruits par l’Homme. Tout cela, ce sont des marqueurs importants de l’œuvre de Koudelka-paysagiste. »
L’œil du peintre
Une dernière chose me vient à l’esprit en vous écoutant et qui me frappe : finalement Koudelka photographie comme un peintre. Ces photographies de ruines, c’est un thème qu’on retrouve dans l’histoire de l’art avec notamment les peintures du XVIIIe siècle - peut-être plus vraiment au XIXe siècle. C’est l’époque où on découvre les ruines de Pompéi notamment, et c’est une matière qui est exploitée par les peintres. On réfléchit sur la condition humaine via ces ruines et ces peintures de ruines. C’est un peu ce que fait Josef Koudelka aussi…
« Tout à fait ! Ce que vous dites est très juste : Cartier-Bresson disait de Koudelka qu’il avait un œil de peintre. Au XIXe siècle, c’est vrai qu’il y a moins de peintures de ruines aussi à cause de l’arrivée de la photographie : on a désormais cette vision où l’Homme domine la ruine, une vision englobante. Or Koudelka quand il prend en photo ces ruines, il le fait en termes de composition. Il joue de l’ordre autant que du désordre. Chez lui, il n’y a pas que des panoramiques horizontaux, mais aussi verticaux qui se présentent comme des meurtrières. Ce qui me tient à cœur dans cette exposition, c’est de montrer que la ruine n’est pas seulement un motif chez Koudelka. C’est un véritable sujet vu à travers son regard singulier. C’est autant la vision d’un monde en ruine que celle de Koudelka-photographe avec cette attention portée aux pavements par exemple. Il y a aussi beaucoup de vues de colonnades au sol. Il a un usage détourné du panoramique : il y a très peu de vues de ciel. Le ciel l’intéresse peu. Or quand on fait une photo touristique, on prend en général la ruine avec le ciel, dans une vision romantique et sublime. Ce n’est pas le cas ici. Vous avez donc raison : on a un travail de composition proche de celui du peintre, comme Hubert Robert, au XVIIIe siècle, à la fin du siècle des Lumières, a pu montrer une vision du monde d’alors. »