Josef Koudelka - une vie sacrifiée à la photographie
Qui est Josef Koudelka ? Considéré aujourd’hui comme un des meilleurs photographes du monde, cet artiste inclassable présente actuellement, au Musée des Arts et Métiers de Prague, une grande exposition rétrospective et vient aussi de publier un livre intitulé Návraty (Retours) en forme de bilan de sa longue carrière.
Un ingénieur épris de photographie
Ingénieur en aéronautique de formation, Josef Koudelka renonce, à l’âge de 29 ans, à ce métier prometteur pour sacrifier le reste de sa vie à la photographie, et dans son cas « sacrifier » n’est pas un vain mot. Quand il se lance dans un projet artistique, il s’engage entièrement et sans réserve. Tel est par exemple le cas de ses cycles de photos intitulés Gitans, projets réalisés à partir des années 1960 en Slovaquie, en Roumanie et dans d’autres pays. Pour comprendre la vie des Roms, pour pénétrer sous les apparences et pour éviter le folklorisme de pacotille, l’artiste partage l’existence de ceux qu’il photographie et en tire les images d’une authenticité rude et profonde. Une sélection de photos de cette série figure également dans Retours, le grand livre d’art qui vient d’être publié par le Musée des Arts et Métiers et les éditions Kant. L’artiste ne cache pas sa satisfaction :« Il est très important pour moi d’avoir fait ce livre parce que je sais que je ne ferai plus d’autre ouvrage de ce genre. C’est un livre conçu pour le public tchèque et surtout en coopération avec des auteurs tchèques. Je tenais à ce que le livre présente le point de vue tchèque sur moi en tant que photographe. Je pense qu’il s’agit du livre le plus complet que j’aie jamais fait. Si quelqu’un l’achète, il saura presque tout de moi. Je ne veux pas encore mourir mais j’ai quand même 80 ans. Quelque 400 photos se trouvent dans le livre. Même si donc j’en fais encore quelques-unes de plus, cela ne changera plus grand-chose. »
Rencontre de deux perfectionnistes
Parmi les auteurs des textes qui présentent les photos dans le livre figure Irena Šorfová, commissaire de l’exposition et collaboratrice de Josef Koudelka. En lui demandant d’écrire ce texte, l’artiste lui a dit : « Irena, ton texte sera le plus important parce que tu me connais depuis longtemps et nous collaborons étroitement. » Pour Irena Šorfová, qui hésitait sur le choix du sujet concret de son article, cette phrase a constitué un indice précieux :« Je me suis mise à écrire pour expliquer la manière dont je vois Josef Koudelka, comment j'ai fait sa connaissance, comment je le perçois, quelles sont les spécificités de la collaboration avec lui, quelles sont ses méthodes de travail, comment il réalise ses projets, comment il créée ses photos. »
Cette collaboration, selon Irena Šorfová, n’est pas facile. Celui qui collabore avec ce photographe doit toujours être prêt à se retourner, à revenir aux œuvres déjà achevées, à les remanier, à les réviser, parce que, tout-à-coup, l’auteur change d’avis et décide par exemple d’utiliser de nouveaux moyens d’expression. Irena Šorfová ne proteste pas. Elle accepte cette recherche permanente parce qu’elle se dit perfectionniste comme Josef Koudelka lui-même. Cela ne signifie pas que, lors de cette collaboration, n’éclatent pas de petits conflits entre le photographe et sa collaboratrice, mais ces disputes ne durent pas longtemps. Irena Šorfová ne cache d’ailleurs pas son admiration pour cet artiste original :
« Josef Koudelka est un homme qui ne manque pas de vision. Il sait où il va et ce qu’il veut. Ce n’est pas une démarche consciente mais plutôt intuitive. C’est un photographe et un homme très original, ce qui se manifeste dans la façon dont il aborde les choses, dans son refus des compromis, dans sa volonté de suivre et réaliser sa vision. »Le livre retrace et illustre les principales étapes de la création et de l’évolution artistique de Josef Koudelka. Déjà dans les années 1960, il étonnait et subjuguait le public tchèque avec une importante série de photos de théâtre. Il a révolutionné ce genre de photographie en cherchant à saisir l’émotion profonde sous la théâtralité des images.
L’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie en 1968 est un moment crucial dans la vie et aussi dans l’œuvre de Josef Koudelka. Avec une énergie qui semble inépuisable et au risque de la mort, il se lance dans les rues de Prague envahies par les chars russes et réalise un grand reportage photographique face aux mitrailleuses de l’occupant. Grace à ces photos diffusées par les plus grandes agences de presse, les gens du monde entier sont devenus les témoins oculaires de la tragédie vécue par le peuple tchèque.
Exilé en Grande-Bretagne
A partir de ce moment-là, l’existence de Josef Koudelka dans son pays occupé devient pratiquement impossible. Il prend le chemin de l’exil et c’est le monde entier qui sera désormais sa patrie. Exilé dès 1970 en Grande-Bretagne, il mène désormais une vie de nomade sans toit ni loi et poursuit son œuvre en s’inspirant de son expérience de migrant. Le fruit du travail de cette période sera réuni dans le livre intitulé Exils paru en 1988, recueil de photos qui constitue un des sommets de l’ensemble de son œuvre. Ses photos entrent dans les collections des plus grands musées du monde et lui devient le lauréat de plusieurs prix internationaux. Couvert d’honneurs et de distinctions, Josef Koudelka obtient la nationalité française en 1987.Le temps des retours
A partir de 1989, année de la chute du régime communiste en Tchécoslovaquie, Josef Koudelka revient assez souvent dans sa patrie tchèque, mais pour toujours mieux en repartir et rester un citoyen du monde. Cette étape de son existence est un des thèmes du texte écrit par le journaliste et critique Josef Chuchma pour le livre Retours :
« Dans mon texte j’ai essayé de montrer le rôle qui a été celui de la photographie dans la culture tchèque depuis les années 1950 jusqu’aux années 1990 et la place du photographe Koudelka dans cette culture. Il a toujours été un solitaire non seulement en ce qui concerne sa méthode de travail mais aussi en raison du fait qu’il n’a pas vécu parmi les photographes en Tchécoslovaquie. C’était, et c’est toujours, un homme qui suit exclusivement sa propre voie et c’est pourquoi j’ai intitulé mon exposé ‘Le solitaire Josef K. dans le contexte tchécoslovaque’. »
Les photos panoramiques
A partir des années 1980, les inspirations, les sujets et les formats des photos de Josef Koudelka changent. L’artiste, qui a toujours aimé photographier les gens, constate : « Ce qui m’intéresse le plus désormais n’est plus de photographier mes contemporains, mais le paysage contemporain. » Les photos de cette période qui se poursuit aujourd’hui encore, paraissent dans plusieurs séries sous la forme de panoplies. Ce n’est plus le visage humain mais le paysage remodelé, remanié et souvent dévasté par l’homme qui devient le sujet principal de son œuvre. Il utilise un appareil panoramique qui lui permet de saisir dans toute leur ampleur des paysages certes sans hommes mais profondément marqués par l’activité humaine. Le texte sur les vues panoramiques de Josef Koudelka dans le livre Retours a été confié à l’historien de l’art Tomáš Pospěch qui aurait d’abord préféré un autre thème avant de finir par changer d’avis :
« J’ai finalement été content de pouvoir me pencher sur cette dernière étape de la création de Josef Koudelka, étape qui a quand même duré une trentaine d’années. Je me suis rendu compte que tous les auteurs qui parlaient de ses photos panoramiques, étaient étrangers et ne connaissaient pas le contexte tchèque. J’avais donc une belle occasion de situer ‘les panoramas’ de Josef Koudelka aux côtés des œuvres d’autres photographes comme Josef Sudek, Jiří Toman et Jiří Poláček, du peintre Emil Filla et d’autres auteurs. Et je crois que cela a donné à ce texte une originalité et un nouvel intérêt pour le lecteur tchèque. »Le Musée des Arts et des Métiers de Prague, éditeur du livre, conserve aujourd’hui une importante collection composée de quelques 700 photos de Josef Koudelka qui retracent toutes les étapes de sa carrière. Ce don généreux de l’artiste citoyen du monde, qui se sent chez lui partout où il travaille, démontre quand même que le grand photographe n’a pas oublié ses racines tchèques.