À la découverte du métro de Prague : quand Anděl s’appelait encore Moskevská

La station de métro Anděl

Drapeaux soviétique et tchécoslovaque entrelacés, inscriptions en cyrillique, cosmonautes ou encore portrait de Pouchkine, la station de métro Anděl, sur la ligne B à Prague, recèle de pépites artistiques et historiques. Professeur à la Faculté de Sciences sociales de l’Université Charles et spécialiste de l’histoire du ferroviaire dans les Pays tchèques, Tomáš Nigrin nous emmène à la découverte de l’emblématique station du quartier de Smíchov, édifiée à la gloire de l’amitié entre la Tchécoslovaquie et l’Union soviétique.

Nous nous trouvons actuellement dans le vestibule sud de la station de métro Anděl. Pouvez-vous, pour commencer, nous en dire un peu plus sur cette station ? Quand a-t-elle été inaugurée et dans quel contexte politique ?

Tomáš Nigrin | Photo: Paul-Henri Perrain,  Radio Prague Int.

« La station a été inaugurée en 1985 et portait alors le nom de Moskevská (Moscou). Cette station a la particularité d’avoir été conçue conjointement avec des architectes de l’Union soviétique, ce qui explique qu’elle puisse ressembler à une station moscovite ou d’une autre ville soviétique. En retour, les architectes pragois avaient, quant à eux, participé à la construction de la station de métro Prajskaïa (Prague) à Moscou. L’objectif était clair : mettre à l’honneur les liens qui unissaient Prague et Moscou. »

La station ne s’est pas toujours appelée « Anděl ». Comme vous l’avez souligné à juste titre, cette dernière avait été à l’origine baptisée « Moskevská ». Reste-t-il des traces de cette époque dans la station ?

Décoration de la station Anděl : envol de colombes | Photo: Paul-Henri Perrain,  Radio Prague Int.

« Dans le vestibule où nous nous trouvons, il est impossible de manquer l’inscription monumentale ‘Moscou-Prague’ sur le mur, ornée d’une branche d’un arbre à fleurs. On notera également les bas-reliefs ou encore certaines inscriptions en cyrillique. Visuellement, la station peut rappeler une église orthodoxe. C’est une apparence typique d’un métro soviétique. Les Pragois remarqueront sûrement que la station est esthétiquement différente des autres stations de métro de Prague et qu’elle correspond, en réalité, aux canons de l’art russe de l’époque. On trouve dans la station un certain nombre de bas-reliefs de style réaliste socialiste, d’environ trois mètres sur trois, représentant, entre autres, la conquête de l’espace ou le partenariat entre la Tchécoslovaquie et l’Union soviétique. Ces bas-reliefs ont été retirés temporairement en 1990 lorsque la station a été rebaptisée, puis ont finalement retrouvé leur place peu de temps après. La seule chose qui n’est plus visible aujourd’hui est la mosaïque à l’effigie de Moscou, en haut des escalators, où se tient désormais un centre d’information. »

La station de métro Anděl | Photo: Paul-Henri Perrain,  Radio Prague Int.

Nous poursuivons notre visite en empruntant les escaliers mécaniques pour descendre dans la station. Si les escalators rapides et quelque peu dangereux soviétiques ont été remplacés au fil des années par de nouveaux aux normes européennes, la longueur de l’escalator, elle, reste assurément la même et nous rappelle que les stations de métro à Prague, du moins pour les plus anciennes, pouvaient avoir une autre vocation…

La station de métro Anděl | Photo: Paul-Henri Perrain,  Radio Prague Int.

« Certaines stations du métro de Prague sont particulièrement profondes. Plusieurs raisons à cela : la présence de bâtiments historiques en surface, la nécessité de passer sous la Vltava, mais aussi le fait que ces stations aient été imaginées comme des abris durant la guerre froide. C’est ce que l’on appelle le ‘système de protection métropolitain’. Il y a des hôpitaux souterrains et des réservoirs d’eau. Toutes les lignes sont connectées ; même le tunnel routier de Strahov est relié à cette station, de sorte que des centaines de milliers de citoyens de Prague peuvent s’abriter ici ou auraient pu s’abriter ici dans l’éventualité d’une guerre nucléaire. Cette tôle que l’on voit en entrant dans la station est en fait une porte massive qui protège l’abri. »

La station de métro Anděl | Photo: Paul-Henri Perrain,  Radio Prague Int.

Pouchkine, faucille et marteau

Nous sommes à présent en bas des escalators, en face de nous le tunnel central et de chaque côté un quai duquel on peut admirer des bas-reliefs en bronze. Sur l’un d’entre eux, on reconnaît la silhouette du poète russe du XIXe siècle, Alexandre Pouchkine, sur un autre on semble assister à un envol de colombes. Pouvez-vous nous décrire quelques-uns de ces bas-reliefs ?

Décoration de la station Anděl | Photo: Paul-Henri Perrain,  Radio Prague Int.

« Prenez ce premier bas-relief. On y lit les mots мир (mir) et май (maï), ‘paix’ et ‘mai’ en russe. Dans le réalisme socialiste, la paix issue de la victoire de mai 1945 sur l’Allemagne nazie a toujours été vénérée. Ce bas-relief est dédié à cette victoire et au maintien de la paix grâce à l’Union soviétique. »

Décoration de la station Anděl : cosmonautes | Photo: Paul-Henri Perrain,  Radio Prague Int.

« Voici à présent un bas-relief en l’honneur de la conquête de l’espace, sur lequel sont représentés deux cosmonautes, les mains tendues vers ce qui semble être une planète ou un satellite. Il illustre les progrès communs accomplis dans le cadre de la conquête spatiale, à l’occasion de laquelle l’Union soviétique a envoyé en orbite le premier cosmonaute tchécoslovaque de l’histoire, Vladimír Remek. C’est un hommage au progrès scientifique et technologique, un thème récurrent dans le réalisme socialiste. »

Décoration de la station Anděl | Photo: Paul-Henri Perrain,  Radio Prague Int.

« Sur le bas-relief suivant, on discerne un ensemble de drapeaux, parmi lesquels ceux de la Tchécoslovaquie et de l’Union soviétique avec la faucille et le marteau, symboles encore une fois de l’appartenance à une même communauté. »

Décoration de la station Anděl : portrait de Pouchkine | Photo: Paul-Henri Perrain,  Radio Prague Int.

L’esthétique semblait donc être un critère fondamental lors de la construction du métro de Prague.

La station de métro Anděl | Photo: Paul-Henri Perrain,  Radio Prague Int.

« Absolument, les chantiers de construction avaient ici une importance considérable. Ils étaient la preuve du prestige et des facultés du régime. Il y a toujours eu une attention particulière portée à l’esthétique. Du temps du socialisme, pour toute construction, 1 % du budget était obligatoirement consacré à l’art et à la culture. C’est pourquoi, par exemple, un pont autoroutier de cette époque sera généralement orné d’une sculpture. Le métro était censé, lui, être un espace à la gloire de l’industrie tchécoslovaque, à laquelle participaient les ingénieurs soviétiques. »

La station de métro Anděl | Photo: Paul-Henri Perrain,  Radio Prague Int.

Pourquoi la station s’appelle-t-elle « Anděl » à présent ?

Anděl | Photo: Paul-Henri Perrain,  Radio Prague Int.

« La station a été rebaptisée Anděl en 1990 en référence au nom historique du carrefour situé à la surface. Des lignes de tramway en provenance de quatre directions se croisent ici, des lignes très fréquentées. Cent mille personnes passent par la station chaque jour, ce qui en fait la deuxième station la plus fréquentée de la ville si l’on exclut celles permettant des correspondances. »

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’histoire du quartier de Smíchov, au cœur duquel est située la station Anděl ?

La station de métro Anděl | Photo: Paul-Henri Perrain,  Radio Prague Int.

« Le quartier était à l’origine très industriel. À quelques dizaines de mètres de cette station se trouvaient historiquement de gigantesques usines où étaient fabriqués des wagons, puis des tramways. Plus de 20 000 trams de type T sont sortis des usines ČKD Tatra. Ce sont essentiellement ces tramways que nous connaissons dans tout l’ancien bloc de l’Est, de l’Allemagne de l’Est jusqu’à la Corée du Nord, inspirés en partie des trams américains de la fin des années 1940 et du début des années 1950. Cependant, au début des années 1990, l’usine a été délocalisée dans la banlieue de Prague. Une immense surface de terrain, de la taille de plusieurs dizaines de terrains de football, s’est alors libérée et a donné naissance à un tout nouveau quartier avec des centres commerciaux, des bureaux et des restaurants. Le quartier s’est métamorphosé, notamment sous le crayon de l’architecte français Jean Nouvel, à qui l’on doit l’édifice ‘Zlatý Anděl’ (ange doré) qui avait vocation à symboliser le quartier et son importance. »

L’édifice ‘Zlatý Anděl’  (ange doré) | Photo: Paul-Henri Perrain,  Radio Prague Int.

Vous connaissez bien la ville. Vous êtes né et avez grandi ici. Vous avez forcément une anecdote historique ou personnelle à nous partager en lien avec la station ou le quartier…

Smíchov City | Photo: Paul-Henri Perrain,  Radio Prague Int.

« Ma grand-mère habitait à trois arrêts de tramway d’ici. Je me souviens de la station Anděl d’origine, située à côté de cette énorme usine d’où sortaient les trams. Je me souviens de la démolition progressive de cette immense zone industrielle et, en même temps, des attentes que cette fermeture suscitait. À Prague, c’était sûrement le plus grand projet concernant le réaménagement d’une friche industrielle après la révolution. Et puis il y a eu la construction du tunnel de Strahov. Un certain nombre de maisons ont été dynamitées. Au milieu des années 1990, le paysage ici était presque lunaire, mais aujourd’hui, on ne s’en rend pas compte, car on se trouve au milieu d’un quartier dynamique où les gens vivent, s’amusent et gagnent de l’argent de façon totalement différente par rapport à il y a trente ans. »

Le saviez-vous ?

En 2002, la station de métro Anděl, tout comme quinze autres stations du centre-ville, avait été submergée par les eaux lors d’une crue historique de la Vltava. Plusieurs mois de travaux avaient été nécessaires avant la reprise normale de l’exploitation du réseau. Aujourd’hui, une plaque commémorative avec une barre horizontale et la date du 14 août rappelle aux usagers du métro qui descendent par les escalators le niveau atteint par l’eau lors des inondations de 2002. Saurez-vous la repérer ?

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