A Paris, un premier colloque international sur Antonín Rejcha, musicien tchèque qui a su se faire une place en France
Musicien français pour les Tchèques et tchéco-allemand pour les Français, ami de Beethoven et professeur de Berlioz, Liszt ou Gounod, Antonín Rejcha (appelé en France Antoine Reicha) était, dirait-on aujourd’hui, un « citoyen européen ». Né à Prague en 1770, ce compositeur, théoricien et pédagogue est passé par Bonn, Hambourg et Vienne, avant de s’installer, pour de bon, à Paris. Du 18 au 20 avril, un premier colloque international consacré à Antonín Rejcha se déroulera dans la capitale française. Organisé par l’Université de la Sorbonne, le Conservatoire national et l’ambassade tchèque à Paris, l’événement propose conférences et concerts. Les détails avec avec Louise Bernard de Raymond, professeur de musicologie à l’Université Paris-Sorbonne.
« Il faut souligner que Rejcha n’a jamais été complètement oublié. On se souvient de lui comme d’un grand pédagogue et théoricien. Il avait un esprit savant et curieux en même temps et il s’est montré très novateur d’un point de vue théorique. Ce qui nous tenait à cœur lors de ce premier colloque international, c’était de parler aussi de sa musique, car il s’est illustré dans tous les domaines musicaux : la musique symphonique, de chambre, d’opéra etc. »
Quels sont les invités de ce colloque ?
« Nous avons invité, évidemment, de nombreux musicologues français et européens, ainsi que ceux des Etats-Unis. »
Rejcha est donc connu en Amérique ?
« Oui, il y a des musicologues américains qui étudient la musique française du XIXe siècle. Dans ce cadre-là, ils ont connu Rejcha, une figure importante du début du siècle. Nous allons également organiser quatre beaux concerts, avec des interprètes de talent. Car la musique de Rejcha intéresse de plus en plus d’interprètes de nos jours. Lors de ces concerts, le public pourra entendre le pianofortiste Pierre Goy, le violoncelliste Christophe Coin, en trio avec le violoniste Andrés Gabetta et le pianiste Jean-Jacques Dünki, le Quatuor Ardeo etc. Antonin Rejcha est aussi de plus en plus enregistré : par exemple le Quatuor Ardeo vient d’enregistrer un disque entièrement consacré aux quatuors de Rejcha. Il devrait sortir très prochainement. »
Vous-mêmes, vous allez donner, dans le cadre de ce colloque, une conférence consacrée au rapport entre Rejcha et Rousseau...
« En fait, Rejcha s’est réclamé de Kant qu’il dit avoir étudié à l’université de Bonn au début des années 1790. Mais ce qui m’a interpellée dans la lecture de ses écrits théoriques, c’est que - même s’il ne le dit pas ouvertement - l’on sent affleurer la pensée de Rousseau sur la musique. L’objet de mes réflexions est de savoir pourquoi est-ce que Rejcha a eu le besoin, dans son travail de compositeur, de s’appuyer sur une pensée esthétique. De ce point de vue, Rejcha se rapproche beaucoup des interprètes français du début du XIXe siècle. Ils ont écrit les méthodes instrumentales dans lesquelles on retrouve aussi la pensée rousseauiste. Il y a vraiment une communauté de pensée assez forte entre Rejcha et ses interprètes-là. »Etes-vous en contact avec des musicologues tchèques ? Avez-vous une idée de la perception de l’œuvre de Rejcha dans son pays d’origine ?
« Malheureusement, nous n’avons pas réussi à trouver des musicologues tchèques souhaitant participer au colloque Rejcha. La raison en est, je pense, que la figure de ce compositeur a beaucoup intéressé les musicologues tchèques dans les années 1970, pendant lesquelles beaucoup de travaux sont parus. Les Français sont un peu en retard sur les Tchèques… Par contre les interprètes tchèques continuent à s’intéresser à sa musique : par exemple la pianiste Petra Matějová va jouer du Rejcha vendredi soir à la Sorbonne, dans le cadre du colloque. Quand j’étais allée à Prague pour chercher des partitions de Rejcha à la bibliothèque, j’ai rencontré des musicologues qui m’ont dit : ‘Pour nous, Rejcha est un Français’. Effectivement, l’essentiel de sa carrière s’est faite en France. »
Et pour les Français ? Est-ce un compositeur tchèque ou français ?
« Etant donné que l’Allemagne a joué aussi un rôle important dans la formation de Rejcha, pour les Français, c’est à la fois un musicien tchèque, allemand et français. C’est d’ailleurs précisément ce qui nous intéresse dans ce colloque : Rejcha est un personnage qui s’est retrouvé à la croisée de plusieurs cultures qui l’ont nourri. Evidemment, il a été naturalisé Français, il a été professeur dans la très prestigieuse institution qu’est le Conservatoire de Paris où il a formé de grands compositeurs français… Mais on n’oublie pas qu’il est natif de Prague, qu’il a été formé en Allemagne : tout cela affleure dans sa pensée théorique comme dans ses compositions. »
Il est d’ailleurs enterré à Paris, au cimetière du Père-Lachaise…« Oui, il a un très beau monument qui a été récemment restauré. »
Personnellement, qu’est-ce qui vous fascine le plus dans le parcours de vie de Rejcha, parcours qui est assez impressionnant, car il a par exemple côtoyé Beethoven, Haydn…
« En fait, Rejcha est mon lointain parent, c’est un membre éloigné de ma famille. Il m’est difficile de répondre à cette question, car j’ai un rapport scientifique, musicologique, mais également affectif à ce personnage… »
Pourriez-vous le préciser ?
« Je descends du beau-père français de Rejcha qui s’est marié à la fin des années 1810 à une Parisienne, Virginie Enaust. Ce qui me fascine, à titre personnel, ce sont de petites choses de la vie de Rejcha que j’ai pu découvrir en cherchant dans les archives. Notamment le fait qu’il a passé une dizaine d’années, entre 1808 et le moment où il est devenu professeur au Conservatoire, dans une toute petite chambre où il vivait très modestement, avant de rencontrer sa femme. Ce qui m’émeut, c’est la façon dont il a réussi à avoir une reconnaissance sociale en France en partant de pas grand-chose. »
Son épouse, avait-elle aussi un rapport à la musique ou pas du tout ?
« Non, elle ne travaillait pas, mais il paraît qu’ils se sont rencontrés à l’Opéra de Paris, car cette jeune femme vivait juste à côté. D’après les informations que nous avons trouvées dans les archives, elle ne faisait pas partie du personnel de celui-ci. Cela nous conduit à penser qu’ils se sont rencontrés tout simplement lors d’une représentation d’un opéra, peut-être même d’un opéra de Rejcha. »
Une fois installé à Paris, Antonín Rejcha n’est plus jamais retourné à Prague. Son unique séjour dans son pays d’origine date de 1806. Comment expliquez-vous cet isolement ? Était-il intentionnel ?
« On ne sait pas très bien. Il parle effectivement, dans sa biographie, de son retour au pays au début du XIXe siècle et des retrouvailles avec sa mère et sa sœur. Il se souvient qu’après avoir quitté Prague, à l’âge de dix ans, avec son oncle qui était marié à une Française, il a appris le français et l’allemand et il a complètement oublié sa langue maternelle. Mais il n’explique pas pourquoi il y est si peu retourné ensuite. En même temps, dans ses écrits théoriques, il indique qu’il faut s’inspirer des musiques populaires, tchèques et autres, pour enrichir la musique de son époque. Donc, il ne s’agit pas d’un rejet total. Le rapport à son pays a peut-être été influencé par son histoire personnelle : il a perdu son père très jeune. »Rappelons que de nombreux concerts, présentant des œuvres souvent inédites d’Antonín Rejcha et libres d’accès se tiendront du 18 au 20 avril notamment à l’Université Paris-Sorbonne.
Le programme complet du colloque : http://www.paris-sorbonne.fr/les-actualites/colloques-et-conferences