Un carnet de notes du compositeur franco-tchèque Antoine Reicha retrouvé par hasard à Paris
C’est à l’occasion des 250 ans écoulés depuis la naissance du compositeur et théoricien pragois, Antoine Reicha, né Antonín Rejcha (1770-1836) qu’a été organisée, entre autres, une exposition virtuelle intitulée Reicha redécouvert, fruit du travail conjoint de la Bibliothèque nationale de France et la Bibliothèque de Moravie. Et c’est grâce à l’existence de cette exposition qu’une Parisienne a pu déterminer l’origine d’un carnet de notes ancien qui a en réalité appartenu au compositeur franco-tchèque. Ce carnet, Pauline Paris l’a trouvé par hasard. Elle nous a parlé des circonstances de sa découverte, avant de laisser la parole à François-Pierre Goy, conservateur au département de la musique de la BnF.
PP : « Pendant le deuxième confinement, j’ai fait, comme beaucoup de gens, du ménage chez moi. En sortant les poubelles dans mon immeuble, je suis tombée sur une boîte en plastique posée là. A l’intérieur se trouvaient des documents qui avaient l’air ancien. J’aime beaucoup les objets anciens, j’ai fait de l’histoire de l’art et je collectionne pas mal de choses donc je reconnais assez vite. Il y avait notamment deux petits carnets sur lesquels les dates 1915 et 1916 étaient écrites. J’ai pris toute la boîte en me disant que je la regarderai à la maison. Il y avait quelques journaux de la guerre de 14-18 avec le nom du soldat dessus. Il y avait aussi quelques photos anciennes. Et il y avait ce carnet où était écrit sur un petit papier : ‘carnet ayant appartenu à Antoine Reicha’ et une enveloppe avec la mention : ‘signature de Reicha’. J’ai fait des recherches sur les différents objets. J’ai réussi à retrouver la famille du soldat. Pour le carnet, ça a été le plus facile : en tapant le nom de Reicha que je ne connaissais pas, je suis tombée sur le site de l’exposition de la Bibliothèque de Moravie et de la BnF. Et j’ai trouvé le contact d’un des commissaires, M. Goy. Cela a donc été assez rapide. Ce qui était très intéressant, c’est que comme ils avaient numérisé beaucoup de documents, j’ai pu constater que j’avais vraiment un document autographe et je savais que je n’allais pas les déranger pour rien. »
Vous disiez ne pas connaître ce compositeur d’origine tchèque auparavant. Avez-vous écouté sa musique depuis ?
PP : « Oui ! Déjà sur le site de l’exposition où il y a pas mal de morceaux. Mais aussi un quartet qui fait des recherches et joue des morceaux qui ne sont pas édités, me semble-t-il. J’ai pu écouter pas mal de morceaux. J’ai appris entretemps qu’il était enterré au Père-Lachaise qui se trouve à quelques mètres de chez moi. Je suis donc allée faire un tour, avec de la musique dans les oreilles et c’est assez émouvant en fait… »
Comment se fait-il que ce carnet se soit retrouvé dans cette boîte ? Est-ce que le contenu de cette boîte appartenait à des proches parents lointains d’Antoine Reicha ou était-ce un hasard total ?
PP : « Oui, c’est une famille qui lui est apparentée par sa belle-mère qui était française. Ce qui est intéressant, c’est que la personne à qui j’ai renvoyé tous les documents, qui est le petit-fils du soldat qui avait écrit les journaux, m’a aiguillé vers son cousin dont la fille est musicologue. Ce cousin avait déjà été en contact avec M. Goy auparavant pour établir une généalogie de Reicha. C’était donc une famille apparentée, déjà en contact avec la BnF et l’équipe de l’exposition. »
Ce genre de trouvailles, fruit du hasard, c’est le rêve de tout historien ou de personne qui s’intéresse à l’Histoire. Est-ce que ça arrive souvent ?
FPG : « Nous avons déjà eu, avant le premier confinement, un don d’un manuscrit très intéressant retrouvé dans des poubelles à Versailles. Là, il s’agissait d’un recueil d’hymnes de l’abbaye janséniste de Port-Royal, de la fin du XVIIe siècle, signé de la sœur qui avait fait la copie. Le donateur nous a dit que depuis cette découverte, il avait pris l’habitude de vérifier un peu dans les poubelles près de chez lui ! »
Moralité, il faut toujours avoir l’œil sur ce qui traîne autour des poubelles. Peut-on décrire en quelques mots ce carnet : de quoi s’agit-il, quel est son format, que contient-il exactement ?
FPG : « Cela n’est pas très long à lire. C’est un carnet de petite dimension avec une couverture en carton qui a dû être acheté sous cette forme. Je ne me souviens pas des dimensions exactes mais c’est un petit format par rapport à la moyenne des manuscrits de Reicha. Il avait l’habitude de prendre du papier environ 30x23 cm à partir de 1800. Ce ne sont pas des œuvres musicales, mais des fragments mélodiques avec sur les feuilles de garde quelques annotations, dont des références à l’opéra Cagliostro représenté en 1810. Il se réfère aux airs avec les noms des interprètes des différents rôles. Sur un autre feuillet, on a d’autres annotations qui semblent être comme une sorte d’aide-mémoire à mentionner peut-être dans un traité ou dans des cours donnés à des élèves : des exemples de mélodies écossaises, des mélodies sur trois notes etc. En-dehors de ces fragments, on a quelques exemples de contre-points. Sur les 40 pages du carnet, seules 6 ont été utilisées. Donc, ça ne fait pas beaucoup de musique à lire. Une hypothèse tout à fait personnelle est que cela pourrait être des notes en vue de son traité de mélodie, le premier qu’il ait publié en 1814. La plupart des choses se réfèrent en effet à des fragments mélodiques et pourraient avoir été prévus à titre d’exemples. Je vous parlais de la gamme écossaise : on retrouve un exemple gamme écossaise sur des notes d’un cours de mélodie prises par un élève de Reicha à une date indéterminée. »
Que va-t-il se passer avec ce carnet de notes maintenant ? Y a-t-il un projet de numérisation éventuellement ?
LIRE & ECOUTER
FPG : « Justement, nous nous demandons si pour le catalogue de l’exposition qui est en cours de préparation nous n’allons pas en demander la numérisation pour l’y inclure. C’est aussi un document de choix, totalement inconnu jusqu’ici et un peu atypique. On possède très peu de documents qui puissent s’apparenter à des esquisses de Reicha, contrairement à Beethoven dont les carnets et feuilles d’esquisses sont très connus. Ils avaient une façon très différente de composer. Visiblement, Reicha emmagasinait dans sa tête des fragments presque entièrement composés assez longs – lui-même parle jusqu’à 100 ou 150 mesures – et une fois qu’il en avait la possibilité, les notait sur le papier. C’était déjà pratiquement exécutable. Par contre, Beethoven avait quant à lui toutes sortes de petites idées qui devaient être réorganisées. Là, un petit carnet, cela davantage penser aux carnets de Beethoven, mais c’est tellement différent de ce qu’on a comme autres esquisses de Reicha que je pense plutôt à des exemples préparés pour un traité. »
Qu’est-ce que cela nous apprend d’autre sur Reicha ?
FPG : « Du fait que nous n’avions encore rien qui ressemblait à cela, cela nous apprend qu’il utilisait aussi ce genre de supports, peut-être exceptionnellement, ou alors il y en a d’autres qui ont disparu. Est-ce qu’on arrivera à le rapprocher d’un des traités existants ? Ou est-ce que cela viendra au rang des projets non-réalisés ? Il faudra que les spécialistes de Reicha se penchent dessus. Mais c’est vrai que c’est un document qui nous apporte du nouveau ce qui est intéressant en soi. »