A Plzeň, le photographe Guillaume Chauvin capte la vie de ses habitants le temps d’une journée
Une journée, un habitant de Plzeň, une tranche de vie. Le photographe français Guillaume Chauvin, actuellement en résidence artistique dans le cadre de Plzeň, ville européenne de la culture 2015, a choisi de suivre ainsi le temps de son séjour, une trentaine d’habitants de cette ville de Bohême de l’Ouest, toutes origines, tous métiers confondus. Une façon de découvrir autrement, par ceux qui la font vivre et qui l’habitent, cette cité autrement connue essentiellement pour sa bière. A 28 ans, Guillaume Chauvin a déjà un beau bagage derrière lui, et une vraie réflexion sur l’image. Diplômé de l’Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg, il s’était fait remarquer il y a quelques années avec un autre camarade, Rémi Hubert, pour un reportage sur la précarité étudiante primé au Grand Prix Paris Match du photoreportage étudiant, et dont ils avaient révélé par la suite que cette réalité avait été illustrée par des mises en scène montées de toutes pièces. Un petit coup de tonnerre dans le microcosme du photojournalisme, et du journalisme tout court, alors même que l’objectif de cette supercherie était avant tout de questionner le rapport de l’image au réel. Depuis, Guillaume Chauvin a multiplié les projets photographiques – et littéraires, avec notamment une plongée d’un an en Russie dont a été tiré un livre, « Le vie russe » (en français dans le texte), ou encore un récent séjour dans le Donbass. Radio Prague est allé à sa rencontre à Plzeň où il a posé ses bagages pour deux mois.
« Nous nous trouvons non loin du lieu où je travaille qui est le Depo, puisque je fais partie du programme Open Air qui invite des artistes en résidence. Là, nous sommes dans un bâtiment qui s’appelle Papírna, une ancienne usine de papier reconvertie en lieu de culture, dans le cadre de Plzeň 2015. Et ça ressemble à Berlin, sauf qu’il n’y a pas de Français, c’est l’avantage. Sauf nous ! »
Dans le cadre de cette résidence, vous avez choisi de suivre dans leur quotidien des habitants de Plzeň, de divers milieux, de diverses professions. Comment est née cette idée et quelles sont les personnes que vous avez déjà suivies ?
« L’idée est née à l’époque où la galerie strasbourgeoise Stimultania qui fait l'intermédiaire entre le programme Open Air et moi-même m’a proposé cette résidence et de formuler un projet. J’ai répondu que je ne pouvais rien formuler parce que je ne connaissais pas la culture tchèque. J’ai donc proposé de rencontrer des gens pour mieux connaître la culture tchèque au quotidien et en faire le corps de mon travail. Donc, ma découverte serait le résultat final. C’est pour cette raison qu’on a fait un appel à volontaires qui voudraient bien m’accueillir pendant une journée, avec une liste de métiers différents. Il y a eu des réponses assez rapidement Jusqu’à présent, j’ai rencontré une petite dizaine de personnes à savoir un acteur, un journaliste, un conducteur de trolleybus, une professeur de danse, une clown dans un hôpital, un cuisinier, un fermier. Pour les prochains à venir, il devrait y avoir un brasseur de Pilsner Urquell. »Ça s’impose à Plzeň !
« Ça s’impose, même si ça n’a pas été facile. Mais ça a été enfin résolu. J’aurai aussi une personne vietnamienne puisque c’est une minorité assez visible. On attend toujours des réponses de la part de la communauté tzigane. Un policier, ce serait intéressant. Je vais aussi bientôt rencontrer un curé. On a essayé d’être varié si possible, bien que ce ne soit pas exhaustif, pour être représentatif de Plzeň en 2015. »
Quelles étaient les motivations de ces personnes pour se porter volontaires ?
« A tout le monde, j’ai demandé pourquoi ils avaient choisi de m’accueillir, parce que pour moi c’est très étrange. Si on me proposait un tel projet, je ne sais pas si je dirais oui ou non. Même pour moi, c’est quelque chose d’étrange de prendre en photo des gens au quotidien, chez eux, avec leurs enfants, parfois au réveil. Ma motivation personnelle, c’était ça, c’était quelque chose que je n’avais jamais fait et qui donc, m’intéressait. Chez certaines personnes, c’était aussi cela la motivation, c’était de rencontrer un Français, parce qu’ils me disaient qu’ils n’en voient pas beaucoup. Je pense que ceux qui ont répondu à l’appel sont plutôt ouverts aux projets artistiques. Ils voulaient voir aussi projet artistique en réalisation, en direct. Certains étaient contents d’y participer pour montrer un aspect positif de leur culture, comme ça la place n’est pas prise par un autre qui pourrait être asocial ou négatif. Il y a aussi une forme de curiosité. Pour une femme manager qui était enceinte, c’était une manière d’avoir des souvenirs de cette période-là de sa vie. Chacun a des motivations différentes. Je pense que tous ceux qui ont accepté ce projet-là avaient un grand cœur, ça joue aussi. »Comment se déroule une journée type ? Par exemple, aujourd’hui, vous avez suivi un cuistot qui propose de la cuisine végétarienne à Plzeň. Comment s’est déroulée cette journée où vous l’avez suivi ? Comment a-t-elle commencé, comment s’est-elle achevée ?
« Elle a commencé à sept heures et demie chez cette personne. Je l’ai retrouvé dehors avec son chien qu’il fallait sortir. J’ai d’ailleurs remarqué que 85% des participants à ce projet ont un chien, ce qui m’a beaucoup surpris. Pas de chat d’ailleurs. Et sinon, ils ont des enfants, ou les deux. Ça commence donc assez tôt. Le plus tôt, c’était avec une ingénieure de chez Škoda, où le rendez-vous était à cinq heures et demie. Donc, ce matin, c’était sortie avec le chien, puis on est rentrés pour le petit déjeuner avec la famille, son fils et sa femme. Comme c’est un cuisinier, il est ensuite parti pour son restaurant qui n’est pas loin de chez lui. Le programme, c’était épluchure et tout ce qui fait partie de la préparation des repas. Il y avait le service jusqu’à environ 15h. Ensuite, il a fait un break, qu’il prépare les commandes de la semaine prochaine, trouve les menus de chaque jour. Là en ce moment, il joue au ping-pong pour décompresser avec ses amis et il m’a dit qu’il ira peut-être à un concert après. Habituellement, je reste avec les gens assez tard. La première personne que j’ai rencontrée, ça s’est fini à quatre heures du matin. Il a son propre groupe de musique, donc il m’a emmené à la campagne pour un concert. La moyenne des journées, c’est de 8h à 20h. Souvent, au moment où les gens vont se coucher, on se dit au revoir. Et puis, je pense avoir l’instinct pour savoir le moment où il faut partir. Parfois c’est tôt, d’autres fois moins tôt. Ça se passe toujours très bien et certains sont même devenus des amis. Pour l’instant je n’en retire que du positif. »C’était un peu le sens de ma question suivante. Quelles sont vos impressions au quotidien ? J’imagine que c’est un travail difficile : on rencontre des personnalités différentes tous les jours, différentes psychologies. On s’imprègne de vies diverses…
« Est-ce que c’est dur ? Non, mais c’est exigeant. D’une part parce que c’est quelque chose que je n’ai jamais fait. A la base, je suis plutôt quelqu’un de timide. Donc pour rentrer dans la vie privée de gens, il ne faut pas jouer un rôle, mais rentrer dans un fonctionnement particulier. Il faut s’adapter à la personnalité : être en retrait ou au contraire être démonstratif. Quand les gens s’absentent et qu’ils ont des enfants, on s’en occupe ! Ou on s’occupe du chien, on aide à faire à manger. Humainement, c’est quelque chose de très beau. Il faut juste se contenter de peu de sommeil. Avec Radek, le chauffeur de trolleybus, qui ne parlait pas un mot d’anglais, ni de russe, je lui parlais en russe et lui en tchèque et on arrivait à se comprendre. Même avec lui où la conversation était difficile, ça a été une journée géniale. On a beaucoup ri, alors qu’on a passé la journée confinés dans un bus et qu’on ne parlait pas la même langue. Il y a toujours une façon de faire passer un message. Il suffit d’avoir du pif ! Quand on est curieux et positif, on communique cette énergie aux gens… »Quel va être le débouché de ce projet ?
« Cela va commencer par une exposition dont le vernissage est le 7 décembre. Mais ma priorité est la réalisation d’un livre. Ces images fonctionnent en série parce qu’elles racontent à chaque fois une journée. Surtout, il y a un petit texte avec chaque portrait. Pour moi, le texte est très important, je m’en suis servi dans tous les projets précédents. Je ne peux pas me contenter seulement d’images. Ce livre est en cours de réalisation. Il va être publié sous peu puisqu’on espère le sortir pour le jour du vernissage de l’exposition. »Je voudrais également parler de votre travail précédant. Vous avez passé beaucoup de temps en Russie, où vous avez vécu. De cette expérience sont nées des expositions, un livre et un blog, très intéressant sur cette vie russe ou plutôt « ce » vie russe, comme vous avez titré votre ouvrage (Le vie russe, Editions Allia, 2014, ndlr). Qu’est-ce qui vous a attiré en Russie à l’époque ?
« A l’époque, j’y voyais un grand potentiel de pouvoir trouver tout ce que je ne pouvais pas trouver en France, à savoir plus de surprises, plus d’imprévu. Pas de risques, parce qu’on peut en trouver en France, mais un certain contexte pour pouvoir me concentrer sur moi-même. En France, comme je comprenais la langue, j’avais toujours l’impression d’être distrait. Quand les gens parlaient dans la rue, je comprenais tout : ça me distrayait de mes pensées et de mes propres points de concentration. Partir à l’étranger était une solution. Pourquoi la Russie ? Parce que j’avais fait mon Erasmus à Riga, en Lettonie où se trouve une grosse minorité russe qui engendre certains problèmes. Mais j’ai été assez fasciné par cette première approche de la culture russe. J’ai eu envie d’y aller. J’ai eu l’opportunité d’y aller pour des études et j’ai voulu y rester pour faire ce livre car j’ai rencontré beaucoup de surprises et de caricatures entremêlées les unes aux autres. C’était vraiment fascinant et inspirant. La langue m’a plu aussi. Le côté absurde de certains aspects de la vie m’a beaucoup séduit aussi même si je suis persuadé que je serais incapable d’y vivre toute une vie. Je pense qu’il faut rentrer, faire des sas de décompression. Mais la Russie pour moi a été vraiment inspirante parce que perturbante. J’aime quand les choses sont très perturbantes et la Russie est un pays très propice à perturber les étrangers. »Plus que la République tchèque ? Plzeň ?
« Oui, même s’il y a aussi pas mal de choses étranges à Plzeň. Après, la Russie, et notamment la Sibérie où j’étais, a un côté très ‘sauvage’, même si terme n’a plus beaucoup de sens. Même les habitants de Sibérie disent qu’ils ont vingt ou trente ans de retard sur Moscou. C’était un peu comme dans les Visiteurs, j’avais l’impression d’être à une autre époque, ce qui m’a beaucoup plu. Plzeň, on va dire que c’est une transition entre chez nous et chez eux. C’est un juste milieu qui est intéressant aussi. Le fait que je ne comprenne absolument rien à la langue tchèque est inspirant aussi. J’arrive juste à attraper quelques mots au passage, parce qu’ils sont proches du russe, mais sinon c’est une langue très particulière et qui doit être difficile à apprendre. »Avez-vous eu l’impression de mieux comprendre la Russie et ses habitants, par rapport aux clichés que l’on a dû pays depuis l’Occident : Poutine, la vodka… et tout l’imaginaire charrié par la Russie ?
« Ce qui est perturbant avec les Russes, c’est qu’ils sont très fiers de ces clichés. Ils sont fiers d’être inquiétants, de faire peur. D’avoir une réputation d’alcooliques, ça ne les dérange pas. En tout cas, pas quand ils boivent… Ils sont très fiers d’être dissuasifs, surtout ces derniers temps, d’imposer un certain respect. Est-ce que je comprends mieux le pays ? Non. Je pense que plus on va en Russie, moins on la comprend. Même les Russes ne comprennent pas la Russie. C’est peut-être un peu présomptueux de ma part… En tout cas, c’est dur de comprendre cette culture et je ne sais pas si on en sera capable un jour. Ce que j’en ai ramené, c’est une vue subjective, très subjective de ce pays que je ne comprendrais jamais vraiment. Il y a une espèce d’infini renouvellement qui me plaît beaucoup. C’est un puits sans fond. »
Qu’est-ce qui vous pousse dans ces aventures photographiques ? L’envie de raconter des histoires ?
« Bonne question… Je crois que c’est l’envie de faire les livres que j’aimais lire quand j’étais petit, que j’aimerais trouver aujourd’hui dans les magasins et que je ne trouve pas. C’est ce que disait mon premier éditeur, Gérard Berréby, des éditions Allia. Il disait qu’il avait commencé à faire des livres parce qu’il ne trouvait pas ce qu’il voulait lire dans les librairies. Je crois que cela se rejoint. C’est vouloir trouver des objets un peu intermédiaires qui ne sont pas du journalisme, pas de l’art, mais cet entre-deux que je trouve digne d’intérêt. Produire ça soi-même est très intéressant et puis ça fait de bons souvenirs, de belles histoires à raconter. Après, je suis très conscient que je ne pourrais pas faire ça toute ma vie, car ça exige une certaine santé, forme physique et instabilité que je ne pourrais pas supporter plusieurs années. Mais pour le moment, ça me plaît vraiment beaucoup. Je pense être quelqu’un de très chanceux en ce moment et j’en profite ! Ce serait une offense à ceux qui ont moins de chance de ne pas en profiter. »