A Prague, le Prix Franz Kafka décerné à Milan Kundera et remis à sa traductrice en tchèque
Le Prix Franz Kafka 2020 a été décerné à l’écrivain Milan Kundera à l’occasion d’une cérémonie organisée ce jeudi à l’ambassade de France à Prague. Agé de 92 ans et installé en France depuis la moitié des années 1970, Milan Kundera a souhaité être représenté lors de la remise de cette récompense prestigieuse par son éminente traductrice en tchèque, Anna Kareninová.
La remise solennelle du plus ancien prix littéraire international décerné en République tchèque se déroule traditionnellement à l’automne, mais cette fois, elle a dû être reportée au mois de juin en raison de la pandémie. Milan Kundera, « le plus tchèque des écrivains français et le plus français des écrivains tchèques » selon l’ambassadeur de France à Prague Alexis Dutertre, est son 20e lauréat, après le poète Yves Bonnefoy récompensé par la Société Franz Kafka et la municipalité de Prague en 2007 et l’écrivain Pierre Michon, récipiendaire du prix en 2019.
Parmi ses lauréats figurent également Philip Roth, Václav Havel, Margaret Atwood ou Haruki Murakami. Le prix est attribué à un auteur vivant, tchèque ou étranger, dont l’œuvre, tout comme celle de Franz Kafka, s’adresse à tous les lecteurs, sans prendre en considération leur origine, nationalité et culture. Lors de la cérémonie, l’ambassadeur de France Alexis Dutertre a tenu à partager avec le public son souvenir personnel de Milan Kundera :
« Il y a trente ans, j’étais étudiant à l’Institut d’études politiques à Paris. J’avais pour habitude de travailler dans un café, situé tout près de Sciences Po. Il se fait que Milan Kundera fréquentait régulièrement ce même café, avec son épouse. Il m’a fallu plusieurs mois pour que j’ose m’approcher et lui demander de me dédicacer son livre qui m’avait le plus marqué, ‘L’insoutenable légèreté de l’être’. »
« Pour moi, Milan Kundera, c’est cette rencontre, ce café, ce moment d’identité très européenne, très française et très franco-tchèque… Je suis honoré de pouvoir accueillir aujourd’hui la remise de ce prix. »
Une distinction française pour la traductrice de Milan Kundera
C’est la traductrice de ses œuvres en tchèque Anna Kareninová qui a remplacé Milan Kundera à la cérémonie : après avoir reçu la statuette en bronze à l’effigie de Franz Kafka, telle une copie du monument à l’écrivain situé dans la Vieille-Ville de Prague, ainsi qu’une récompense de 10 000 dollars, Anna Kareninová a été elle-même distinguée par l’ambassadeur de France et faite chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres pour sa promotion d’auteurs français en Tchéquie. Traductrice des grandes plumes de la littérature mondiale, auteure renommée de sous-titres et de dialogues de cinéma, Anna Kareninová nous a parlé de son parcours, ainsi que de ses traductions de romans de Milan Kundera :
Vous traduisez des œuvres prosaïques, de la poésie et des films depuis plusieurs langues étrangères vers le tchèque, plus précisément du français de l'italien, de l'anglais… du néerlandais aussi ?
« Oui, de temps en temps. Mais le français a toujours joué un rôle primordial pour moi. »
Le français est-il la première langue étrangère que vous avez apprise ?
« Curieusement non. Petite, à l’âge de 5 ans, j’ai commencé à apprendre l’allemand. Je le comprends, je peux lire en allemand, mais je ne pourrais jamais traduire de l’allemand vers le tchèque. »
Dans votre travail de traductrice, vous vous êtes particulièrement consacrée à l’œuvre de Louis Ferdinand Céline et du poète américain Ezra Pound, pourquoi ces deux auteurs ont-ils attiré votre attention ?
« Ce sont deux grands auteurs qui n’étaient pas suffisamment traduits en tchèque. Je voulais les présenter aux lecteurs ici. »
Y a-t-il d'autres auteurs français que vous avez traduits et qui vous ont particulièrement marquée ?
« Peut-être Marguerite Duras, dont j’ai traduit des œuvres de prose et des films. Mais plus tard, je l’ai abandonnée pour pouvoir me consacrer pleinement à Céline. »
Il paraît que vous voyagez souvent à l'étranger, pour découvrir les lieux où ont vécu et travaillé les auteurs que vous traduisez. Quels sont les endroits que vous avez ainsi visités en France ou dans les pays francophones ?
« En ce qui concerne Céline, je suis allée sur ses traces en Normandie et en Bretagne. Là où il a vécu, j’ai découvert certains bruits et sons, bref, l’atmosphère dans laquelle il écrivait. Elle constitue ‘sa musique’, comme il le disait lui-même, c’est-à-dire le rythme de sa langue. »
L'année dernière a été publiée votre traduction en tchèque de La fête de de l'insignifiance de Milan Kundera. Cette publication a été un véritable événement en République tchèque, car l’écrivain a longtemps refusé de faire traduire ses romans en tchèque. Vous aviez déjà parlé de cette traduction sur notre antenne expliquant qu'il ne s'agissait pas seulement de traduire Kundera, mais de reconstituer son tchèque et son style. Qu'en est-il de votre traduction de ses romans L'ignorance, L'identité et La lenteur ?
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« J’ai terminé la traduction de L’ignorance et nous y travaillons encore avec l’auteur et son épouse. Je devrais ensuite traduire les deux autres romans. Le travail est toujours le même, il porte sur la reconstitution de son tchèque. »
C’est-à-dire que vous cherchez à utiliser les mêmes mots, la même syntaxe que lui, dans ses romans tchèques ?
« Exactement. Parfois, j’étudie aussi sa façon d’écrire en français, quand il se traduit lui-même du tchèque en français par exemple. Et je vais dans le sens inverse… »
Savez-vous quelle est son sentiment par rapport au Prix Franz Kafka ?
« Milan Kundera a été très ému. Il s’est sincèrement réjoui d’avoir reçu un prix qui porte le nom d’un écrivain qu’il estime beaucoup. Il a dit précisément : c’est un prix que je reçois de la part de mon collègue. »