À Prague, « One World », le grand festival du film sur les droits de l’homme, fête ses 25 ans
C’est traditionnellement un des temps forts de l’année culturelle en République tchèque. « Jeden svět » (One World), le festival international du film documentaire sur les droits de l’homme, démarre ce mercredi à Prague. Jusqu’au 2 avril, 75 films du monde entier seront proposés au public dans 27 villes de Bohême et de Moravie. Pour cette 25e édition du plus important événement cinématographique du genre organisé en Europe centrale, qui se tient un an après le début de la guerre en Ukraine, « Le prix de la sécurité » a été retenu comme thème central.
« One World » célèbre cette année son quart de siècle et il est désormais loin le temps des premiers pas, quand il ne rassemblait encore que quelques films. Branche de l’organisation de l’ONG « Člověk v tísni » (People In Need), le festival est devenu, au fil des années, une véritable tribune de sensibilisation aux violations des droits de l’homme dans le monde.
L’édition 2023 ne déroge pas à cette ligne de conduite. Si le thème du « prix de la sécurité » a été retenu, c’est parce qu’il embrasse quelques-uns des principaux sujets d’actualité qui ont résonné tout au long de l’année écoulée : la guerre en Ukraine, bien évidemment, mais aussi la crise énergétique, les changements climatiques ou encore l’insécurité sociale. Kristyna Genttnerová est une des programmatrices du festival. Elle précise la nature de la réflexion qui a abouti au choix de ce thème précis :
« Chaque année, nous choisissons un thème plutôt large. Pour changer, nous avions envie d’amener le public à se demander ce qu’être en sécurité signifie pour lui et quel prix il serait prêt à payer pour se sentir en sécurité. Cela ne concerne pas uniquement la sécurité financière. Cela concerne aussi la sécurité que l’on peut ressentir dans nos relations avec les autres. Tous les films présentés cette année répondent à leur façon à ces questions. »
« La situation en Ukraine a beaucoup influencé ce choix. Mais nous ne voulions pas nous concentrer sur un sujet spécifique. C’est pourquoi, nous avons choisi ce grand thème pour ne pas nous limiter à une seule problématique. Un thème aussi large permet de faire en sorte que chacun puisse en parler à sa manière. Chaque film possède sa propre approche par rapport au thème. C’est la raison pour laquelle il y a plusieurs catégories cette année. »
Une scène culturelle et politique
Kristyna Genttnerová souligne également que « One World » est une scène qui permet de mettre en lumière les causes que l’ONG « People in Need » défend dans différents endroits du monde :
« Nous ne voulions pas que le festival ne soit qu’un événement culturel où l’on peut voir de très bons films. À nos yeux, il est plus important d’en faire un événement où l’on peut entendre des histoires, mais aussi échanger avec les directeurs, les producteurs ou les protagonistes des films afin d’en apprendre davantage sur les situations évoquées où que ce soit dans le le monde. »
Présenter des documentaires qui traitent des enjeux globaux tout en racontant des histoires puissantes est l’un des autres objectifs du festival. Celui-ci est aussi l’occasion de mettre en avant des réalisateurs et producteurs indépendants qui, pour certains d’entre eux, manquent parfois de visibilité internationale.
« Cela se reflète dans la manière dont nous sélectionnions les films. Nous faisons le tour des festivals pour débusquer les meilleurs documentaires. Grâce aux différentes missions de ‘People in Need’, nous coopérons aussi avec des bénévoles et des employés partout dans le monde. C’est de cette manière que l’on parvient à dénicher des films étrangers. L’exemple le plus concret est le film ‘Wanibik : The People Who live in Front of their Land’. Réalisé par les populations de l’ouest du Sahara, ce film raconte la vie de ce peuple qui vit sur un territoire dont la souveraineté n’est pas reconnue par ses voisins. Ils vivent donc sur un territoire qui leur appartient sans avoir le droit d’être sur ces terres. Sa présence dans la programmation du festival permet ainsi de montrer au public la situation dans cette région du monde. »
Chaque année, un jury international est présent à Prague pour juger les films en lice et décerner les prix. Simon Lereng Vilmont est ainsi présent pour cette édition 2023. Il revient à Prague après avoir défendu son film « A House Made of Splinters » aux Oscars 2023. Ancienne programmatrice du Sundance festival et productrice indépendante, Caroline Libresko sera là elle aussi.
La réalité virtuelle à l’honneur
Le festival se répartit en quatre compétitions principales. L’une est consacrée aux productions internationales réunissant des films qui sensibilisent le public aux violations des droits de l’homme dans le monde. Une autre catégorie est dédiée aux films tchèques, dont certains sont présentés en première. Mais cette année, la catégorie qui se distingue le plus, est celle consacrée à dix projets de réalité virtuelle : « One World interactive ». Kristyna Genttnerová revient sur ce choix :
« Je pense que la réalité virtuelle offre des perspectives différentes. Nous ne voulions pas nous concentrer uniquement sur les innovations techniques ou technologiques mais plutôt sur les possibilités d’impact qu’offre la réalité virtuelle. »
« Je recommande à tout le monde d’aller voir, par exemple, le film ‘El Helicoide Historical Memory Museum’. C’est un projet venu tout droit du Venezuela qui évoque la prison d’El Helicoide, où des prisonniers politiques sont toujours détenus. En mettant le casque de réalité virtuelle, vous vous retrouvez en immersion dans la prison. Les visiteurs virtuels peuvent ainsi voir cette prison de l’intérieur et apprendre l’histoire de certains prisonniers. C’est une expérience puissante car un documentaire pourrait difficilement être plus réel. »
Homo Homini, un prix pour la défense des droits humains
Le festival comprend également la remise du seul prix international tchèque des droits de l'homme, Homo Homini. Un prix spécifique qui, cette année, sera remis à l’activiste vénézuélien Javier Tarazona.
« Nous attribuons ce prix depuis plusieurs années lors de la cérémonie d’ouverture qui a pour cadre cette fois le centre ‘Pražská křižovatka’, qui est une ancienne église dans le centre de Prague. Nous remettons ce prix aux personnes qui mettent en lumière les violations des droits de l’homme et les combattent à travers le monde. Cette année, le lauréat est Javier Tarazona, un activiste vénézuélien qui se bat contre la situation politique et sociale qui ne s’améliore pas dans son pays. Il ne sera d’ailleurs pas présent, car il est emprisonné, justement dans la prison d’El Helicoide, en tant que prisonnier politique. Sasha Romantsova, lauréate du Prix Nobel 2022, sera également présente. »
À noter pour ceux qui n’ont pas la possibilité de suivre le festival directement dans les salles que certains des films présentés en compétition seront ensuite accessibles grâce au festival ‘One World Online’. En attendant les premières projections, Kristyna Genttnerová recommande plus particulièrement deux films dans la catégorie internationale :
« Le premier est ‘After Work’, dirigée par Erik Gandini. Un de ses films, ‘The Swedish Theory of Love’, figurait dans la programmation du festival il y a quelques années et il avait été fortement apprécié par le public. ‘After Work’ explore la relation entre le temps libre et le temps de travail. Il se déroule en Italie, en Corée du Sud et dans d’autres pays. Dans ce documentaire, certains protagonistes expliquent qu’ils préfèrent travailler, d’autres avoir du temps libre. Leurs histoires montrent la difficulté de trouver un équilibre entre les deux. Même si une personne ne travaille pas, ce qui est le rêve de beaucoup de gens, elle peut se demander ce qu’elle veut ou peut faire de tout ce temps libre. Or, généralement, les gens répondent qu’ils ne savent pas. Le film évoque tous ces questionnements. Je pense que ce sera un film très apprécié du public, car le rapport entre temps de travail et temps libre est un thème très actuel. »
« Ma seconde recommandation est une co-production franco-burkinabaise, ‘Si tu es un homme’ (‘If You Are A Man’). Ce film est présenté dans la catégorie ‘Déraciné’ qui aborde les enjeux du post-colonialisme dans les pays confrontés aux problématiques liées au passé colonial. L’histoire porte sur un enfant qui travaille dans les mines d’or au Burkina-Faso pour pouvoir payer les frais de scolarité de son école. C’est un cercle vicieux qui est présent tout au long du film. »
Pour tout savoir sur la programmation du festival, rendez-vous sur le site de ‘One World’, disponible en pas moins de six langues, parmi lesquelles l’ukrainien.