A Prague, un chercheur français découvre des fragments d’une partition du XIIIe siècle
Un chercheur français, spécialiste de la musique médiévale, a récemment signalé la présence de fragments d’un parchemin du XIIIe siècle, dans un ouvrage plus tardif conservé à la Bibliothèque nationale dans le bâtiment du Clementinum à Prague. Ces fragments sont ceux d’une partition de musique originaire du bassin parisien, composée dans le cadre de ce qu’on appelle aussi l’Ecole Notre-Dame, un courant de musique innovant à l’époque. Radio Prague Int. a joint à Strasbourg Dominique Gatté, à l’origine de cette découverte :
« Je suis chercheur indépendant depuis une quinzaine d’années. Je m’occupe d’une association appelée Musicologie médiévale pour laquelle on administre plusieurs sites internet, dont l’un où l’on essaye de regrouper tous les manuscrits comprenant des notations musicales et disponibles en ligne. »
C’est un site très complet et très fourni en effet…
« De manière très mécanique, j’épluche toutes les nouvelles ressources de manuscrits numériques mis en ligne. Je regarde en particulier ce qu’on peut trouver dans les reliures ou les renforts de reliure des manuscrits, pour voir s’il y a du parchemin qui a été remployé à cet effet. Et donc, il arrive de temps à autres de trouver, comme ici, des fragments de parchemins notés. Plus généralement, on trouve du chant grégorien simple avec des antiphonaires utilisés pour les offices ou des graduels utilisés pour la messe. Là, la particularité de ces fragments, c’est qu’il s’agit de polyphonie. C’est ce qu’on appelait autrefois la polyphonie de l’Ecole Notre-Dame, donc liée avec Notre-Dame de Paris, cette cathédrale dont le chantier a commencé vers 1160. On a attribué cette école de polyphonie à des chantres, Léonin et Pérotin, autour de l’année 1200. »
Si j’ai bien compris, cette Ecole Notre-Dame était un centre musical innovant à l’époque…
« Voilà. Ce qu’on appelait l’Ecole Notre-Dame, c’est de la polyphonie assez innovante. Jusqu’à présent, les polyphonies qu’on utilisait, c’était un organum plus simple, moins orné. Là, on va avoir au contraire des créations musicales qui pouvaient peut-être un peu déranger l’oreille à l’époque. Par contre, on s’est aperçu, grâce aux historiens de la musique, que parler d’Ecole Notre-Dame est un peu un mythe, que parler de fondateurs de cette école, Léonin et Pérotin qui ont bel et bien existé, relève plutôt de la légende. Mais il y a en effet eu un courant musical, né en France, qui va donner un nouvel envol à la polyphonie. Ce fragment est donc très intéressant car on est au cours de la première moitié du XIIIe siècle, donc c’est un fragment contemporain à la nouvelle école. »
Revenons à ce fameux renfort de reliure : c’était une pratique courante de réutiliser de vieux parchemins dans de nouveaux ouvrages…
« Tout à fait. Ma collègue tchèque Hana Vlhová a eu l’idée qu’il y aurait eu un manuscrit polyphonique qui serait arrivé en Bohême pour l’exécution de la polyphonie telle quelle et qu’il aurait ensuite été démembré et réutilisé. Personnellement, je pense que ce qui est beaucoup plus vraisemblable c’est que, comme on le sait, quand un livre était désuet à l’époque, on le cassait et il était revendu au kilo pour refaire des reliures. Par exemple, on reliait beaucoup de livres de contes à partir de vieux parchemins parce que les manuscrits n’étaient plus utilisés. C’est peut-être totalement par hasard que ce manuscrit est arrivé à Prague. »
Cela veut dire qu’on ne peut évidemment pas dater le moment de son arrivée à Prague…
« Non, mais ce qu’on peut faire, c’est dater sa période de réemploi. Les fragments se trouvent ici dans un manuscrit du XVe siècle, relié à Prague. Donc on sait de manière sûre que ces fragments étaient à Prague au XVe siècle, mais on ne peut savoir quand ils y sont arrivés. »
Qu’est-ce qui va se passer maintenant avec ces fragments, maintenant que l’on sait qu’ils ont une importance autre que celle de servir de reliure ?
« La bibliothèque du Clementinum et des musicologues vont essayer de les analyser de plus près. Les chants qui sont dedans, on les connaît déjà, via deux sources : la source dite de Florence, une des plus complètes pour ce répertoire et la source de Wolfenbüttel. Toutes deux sont originaires de Paris. Les chants, on les connaît donc, mais il faudrait essayer de pousser les investigations au niveau paléographique pour savoir si ces fragments sont antérieurs aux deux autres sources de ces chants déjà connues. L’un des chants a quelques variantes musicales qu’on ne retrouve pas dans les deux autres. Il faudra aussi que ce soit transcrit en notes modernes. Il faudra également regarder avec des historiens de l’art car on a des lettrines qui sont décorées, ce qui pourrait aider à la datation. Puis, il reviendra à la bibliothèque de choisir ou non de détacher les fragments. De nos jours, c’est quelque chose qu’on fait beaucoup moins parce qu’on préfère garder les sources dans leur jus. De ce qu’on peut en voir, le fait de détacher ces fragments ne permettrait pas d’en voir plus… »