Adolf Wenig, un maître d'école devenu maître-conteur

Photo illustrative: spaceninja on Foter.com / CC BY-NC-SA

Au début du XXe siècle, les livres de contes d'Adolf Wenig ornés des belles illustrations de son frère Josef sont un cadeau rêvé des enfants tchèques. Ils souhaitent ardemment trouver ces beaux livres sous l'arbre de Noël. Lus et relus maintes fois par les enfants et souvent aussi par leurs parents, ces superbes livres sont considérés comme des joyaux de leurs bibliothèques.

Photo: Éd. B. Kočí

Les contes et les légendes

Photo: Olympia

Les Contes de fées, Les Légendes des châteaux forts, Les Anciennes légendes de Prague,  Un bouquet de légendes pragoises, Žito, le magicien, Les Contes diaboliques, Les Héros tchèques, La Racine magique et autres histoires, Les Contes de Moravie et de Silésie, Les Animaux et les brigands  - ce ne sont que quelques titres de livres choisis dans l’œuvre abondante d'Adolf Wenig (1874-1940). Instituteur de son métier, il était aussi un écrivain prolifique, un conteur admirable et un collectionneur infatigable des contes de fées et de légendes tchèques.

Photo: Éd. Šolc a Šimáček

Un garçon promis à une carrière universitaire

Jan Wenig,  photo: Archives de ČRo

Aujourd'hui encore les collectionneurs sont à la recherche des premières éditions des livres d'Adolf Wenig dont l'usure signale qu'ils ont été trop lus, trop feuilletés et trop aimés. Dans les premières décennies du XXe siècle leur auteur règne sur la littérature enfantine tchèque mais il ne renonce pas pour autant à son métier d'instituteur. Beaucoup plus tard, son fils Jan expliquera à la radio que c'était une tradition familiale :

« Mon père provenait de Staňkov, un petit bourg de Bohême de l'Ouest où les Wenig étaient maîtres d'école depuis le XVIIIe siècle. Nous gardons dans la famille un vieux document rédigé en allemand  qui autorise un certain Wenig à quitter l'armée luttant contre Napoléon pour pouvoir revenir à sa profession qui était celle de maître auxiliaire. Par la suite mon père a été envoyé à Domažlice, la ville la plus proche où il y avait un lycée. »

Adolf Wenig,  photo: Archives de ČRo

La vie du jeune lycéen n'est pas facile. Eloigné de sa famille, Adolf est logé chez l'habitant. A l'époque il est courant que les étudiants éloignés de leurs proches trouvent refuge dans des familles d'artisans et de fonctionnaires. Jan Wenig explique cependant que cela ne voulait pas dire que la situation de ces adolescents ait été enviable et qu'ils aient été traités de la même façon que s'ils étaient chez eux :

« Lors de ses études le jeune étudiant était logé et nourri chez le tailleur Votruba dans des conditions extrêmement modestes. Il paraît que la femme du tailleur coupait le pain en tranches si fines qu'on pouvait voir à travers le clocher de l'église de la ville. »

Prague et les attraits du théâtre

Malgré ces inconvénients, le jeune Adolf poursuit ses études avec succès. Il travaille assidûment et prépare avec application son avenir universitaire. Ses projets hardis s'effondrent cependant comme un château de cartes après un coup de sort inattendu – le suicide de son père. Jan Wenig raconte :

František Adolf Šubert,  photo: public domain

« Au cours de ses quatre ans d'études à Domažlice, mon père a si bien appris le latin, la botanique et d'autres disciplines qu'il avait toutes les connaissances nécessaires pour être admis à l'université. Mais le destin en a décidé autrement. Mon père n'avait que 14 ans lorsque mon grand-père est mort tragiquement. C'est l'oncle Schubert, un vieux garçon, qui a pris en charge ma famille qui comptait encore trois autres enfants, deux filles et un fils, Josef, qui devait devenir un peintre connu. »

La mère d'Adolf, Marie Wenigová, s'occupe désormais du foyer de son frère František Adolf Schubert à Prague. Son frère est une personnalité importante. Entre 1883 et 1900, il est le premier directeur du Théâtre national de Prague et il se trouve donc au centre même de la vie culturelle de la capitale. Le milieu artistique exerce inévitablement une forte influence sur le jeune Adolf mais, selon Jan Wenig, il doit d'abord accomplir les devoirs du fils aîné de sa famille :

« Le rêve de mon père de faire des études universitaires s'est évanoui. Il a dû rapidement finir ses études à l'Ecole normale de Prague pour pouvoir subvenir aux besoins de sa mère, de son frère et de ses sœurs. Et il a donc commencé à enseigner à Prague. Adulte et marié, il pleurera encore amèrement à chaque cérémonie de remise de diplômes d'université de ses cousins plus chanceux. »

Adolf Wenig est donc d'abord instituteur et il le restera pendant toute sa vie, mais le milieu théâtral dans lequel il vit, ne le laisse pas indifférent et ses dons artistiques et littéraires éclateront bientôt au grand jour. Déjà pendant ses études à l'Ecole normale il étudie aussi le chant et commence à écrire. Il ne sera pas chanteur mais les leçons de chant lui seront sans doute bien utiles lorsqu'il écrira des livrets d'opéra.

Photo: Éd. Josef Hokr

Le Diable et Catherine

'Le Diable et Catherine',  photo: Éd. Alois Wiesner

En 1897, Adolf gagne un concours lancé par le Théâtre national avec un livret basé sur le conte populaire Le Diable et Catherine. C'est l'histoire d'un diable qui emmène en enfer une jeune femme très désireuse de se marier mais il s'avère que face à cette paysanne forte en gueule, même les puissances infernales sont impuissantes. Le livret rocambolesque attire l'attention d'Antonín Dvořák, le plus grand compositeur tchèque de ce temps-là. Beaucoup plus tard, Adolf Wenig évoquera au micro sa première rencontre avec le célèbre maestro :

« Le grand jour est arrivé. J'ai été invité par le maestro Dvořák à lui rendre visite. Je suis monté, la gorge serrée, l'escalier de sa maison, rue Žitná. Je tremblais à l'idée de me retrouver devant le grand compositeur qui s’intéressait au travail d'un librettiste débutant. Mais tout s'est bien passé. Je garde un souvenir inoubliable de la première poignée de main de Dvořák, une main suave comme un petit édredon de soie. Il m'a dit à mon immense plaisir qu'il acceptait mon livret pour composer l'opéra Le Diable et Catherine. »

'Le Diable et Catherine',  photo: e-sbírky/Musée national

Le compositeur magnifiera le texte du librettiste débutant d'une musique pétillante et sublime. La première de l'opéra au Théâtre national en 1899 est un succès et cette comédie féerique fera désormais partie du répertoire essentiel des théâtres lyriques tchèques.

Photo: repro Adolf Wenig,  'Pohádky',  Éd. B. Kočí

Encouragé par cette réussite, Adolf Wenig continue à écrire des livrets et se lance aussi dans d'autres activités littéraires et théâtrales. Ses premiers recueils de contes de fées paraissent dès le début du XXe siècle et il devient bientôt un auteur aimé par les enfants tchèques.Tandis que les enfants aiment surtout le ton captivant et évocateur de ses contes, les adultes apprécient son style simple et élégant. Souvent, il collabore avec son frère Josef dont les illustrations donnent à ses livres le charme de l'Art nouveau. Il écrit et traduit des pièces de théâtre, il publie des articles dans des journaux et revues, il fonde et rédige même deux magazines pour enfants, il collabore avec la radio et le cinéma.

Photo: Éd. L. Mazáč

Adolf Wenig et Emma Destinnová

Ema Destinnová,  photo: Bain News Service/Library of Congress,  public domain

Adolf Wenig se marie et il a trois enfants qui ont hérité de ses dons artistiques. Sa vie privée est ordonnée et calme mais elle aurait pu être bien différente. Jan Wenig rappelle un épisode sentimental de la jeunesse de son père :

« A l'époque où mon père écrivait le livret de l'opéra Le diable et Catherine, il faisait la cour à la jeune cantatrice Emma Destinnová. Il était précepteur de trois frères de la jeune femme. Il était amoureux d'Emma mais les Wenig n'étaient pas aventuriers et se marier avec une chanteuse risquait de rompre l'équilibre de son existence. Adolf et Emma sont pourtant restés amis pendant toutes leurs vies, une vie que mon père a vécue finalement avec la cousine d'Emma, ma mère. »

Les chemins d'Adolf Wenig et d'Emma Destinnová se sont donc croisés, mais ne se sont pas unis. Tandis qu'Adolf enseignera à l'école et écrira des contes, Emma deviendra une des plus grandes cantatrices de son temps. Adulée par le public, courtisée par Caruso, admirée par Puccini et Toscanini, elle cueillera les lauriers au Metropolitan Opera de New York.

Photo: repro 'Zvířátka a loupežníci',  Éd. Novina

Une foule de personnages féeriques

Adolf Wenig,  photo: Archives de ČRo

Aujourd'hui encore le nom même d'Adolf Wenig fait resurgir toute une pléiade de personnages de ses contes et légendes. Il a créé dans ses livres qui sortent encore de nos jours, tout un monde dans lequel des rois, des princes, des princesses et des chevaliers côtoient des héros moins nobles mais plus drôles. Il s'agit par exemple de « hloupý Honza », nom qu'on pourrait traduire « Honza, le simple d'esprit », un fainéant qui montre finalement plus d'astuce que tous ceux qui se sont moqués de lui et finit par se marier avec une princesse. Aidé par tous ces princes, tous ces petits paysans bons ou méchants et cette foule de fées, ondins, sorcières, diables et dragons qui peuplent ses contes, Adolf Wenig reste donc avec nous même au début du XXIe siècle et nous permet de retrouver dans ses livres l'enfant que nous avons été.

Photo: Éd. F. Topič