Aide militaire à l’Ukraine : la Tchéquie veut acheter les munitions en dehors de l’UE
Face à l’incapacité de l’Union européenne de respecter son engagement à livrer un million d’obus d’ici le mois de mars, une initiative tchèque permettra-t-elle à l’Ukraine de disposer de davantage de munitions pour faire face à l’agression de la Russie ? Évoquée depuis déjà quelques semaines, l’idée de se fournir auprès de pays tiers a pris un peu plus d’épaisseur après les déclarations du président tchèque Petr Pavel à la Conférence de Munich sur la sécurité, en fin de semaine dernière.
La défense européenne était au cœur des discussions de la 60e édition de la Conférence de Munich. Face à la menace russe et à un éventuel désengagement américain évoqué récemment par Donald Trump, le Vieux Continent, deux ans après le début du conflit en Ukraine, se sent plus vulnérable que jamais.
Une vulnérabilité dont le président Patr Pavel, qui à Munich a averti que « si la Russie progressait de manière significative, cela aurait des conséquences très négatives pour tout le monde », le gouvernement et l’armée tchèques restent, eux aussi, bien conscients. Ce mardi, alors que se tenait à Prague une réunion des commandants de l’armée, le chef d’Etat-major général Karel Řehka a ainsi insisté sur toute l’importance de continuer à soutenir l’Ukraine et de ne pas l’abandonner à son sort. « L’issue de la guerre en Ukraine déterminera le type de monde dans lequel nous vivrons », a-t-il souligné.
Lundi encore, Volodimyr Zelensky, qui a rendu visite aux soldats sur le front, a reconnu que l’armée de son pays était confrontée à une situation « extrêmement difficile » face aux forces russes qui, selon lui, profitent précisément du fait que les Occidentaux livrent leur aide militaire à l’Ukraine avec du retard. Après des mois d’intenses combats, l’état-major ukrainien a ainsi décidé, samedi dernier, de retirer ses troupes des combats à Avdiïvka, dans la région de Donetsk, faute de munitions.
C’est pour éviter que ce scénario ne se répète et empêcher de nouvelles avancées russes, mais aussi face donc à l’incapacité de l’Union européenne à produire des munitions en quantités suffisantes, que la Tchéquie souhaite livrer à l’Ukraine des obus qui seraient achetés en dehors de l’UE.
Toujours à Munich, Petr Pavel a ainsi annoncé que la Tchéquie avait concrètement « identifié » un demi-million d’obus de 155 millimètres conformes aux normes de l’OTAN et 300 000 autres de calibre 122 millimètres, qui pourraient être disponibles d’ici quelques semaines. Cette livraison à l’Ukraine ne sera toutefois possible que si le financement en est assuré, alors que les pays tiers susceptibles de coopérer à la fourniture de ces munitions conditionnent leur participation à la non-divulgation de détails spécifiques les concernant, comme l’a également précisé le président tchèque :
« Le coût dépendra des négociations avec ces pays. Et pour ce qui est de leur identitié, nous ne pouvons pas la communiquer pour des raisons compréhensibles. Si leur identité pouvait être dévoilée, ces pays se chargeraient eux-mêmes des livraisons de ces munitions à l’Ukraine. »
Selon la ministre de la Défense, Jana Černochová, Prague négocie des ressources financières avec différents pays membres de l’UE, parmi lesquels figurent notamment l’Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark ou la Suède, mais aussi différents partenaires aux États-Unis et au Canada. Aux yeux du chef de la diplomatie, Jan Lipavský, la volonté de Prague de regarder au-delà des frontières de l’UE apparaît « très logique » compte tenu de l’impossibilité pour les Vingt-Sept de respecter l'engagement pris vis-à-vis de Kyïv :
« Dmytro Kouleba (ministre ukrainien des Affaires étrangères) a demandé une nouvelle aide militaire tout simplement parce que l’Ukraine a besoin de munitions et nous avons entendu la déclaration faite par le président Petr Pavel à la Conférence de Munich, à savoir que 800 000 pièces sont disponibles sur le marché mondial. Il faut donc trouver l’argent pour cela. »
Expert en affaires internationales et en sécurité à l’Université Charles, Michal Smetana voit lui aussi plutôt d’un bon œil l’initiative du gouvernement tchèque :
« Il est important de préciser que nous ne parlons pas là d’obus disponibles en Tchéquie mais dans des pays partenaires à l’étranger. Il ne s’agit probablement pas de pays de l’OTAN, mais plutôt de pays tiers, autrement dit de pays avec lesquels nous coopérons mais qui ne sont pas nécessairement des alliés de l’OTAN ou de l’UE. Nous ne savons pas de quels pays il s’agit. C’est à dessein, parce que ces pays ne sont pas prêts, pour diverses raisons, à le communiquer officiellement, peut-être parce qu’ils sont préoccupés par leurs propres relations avec la Russie. Un certain voile restera donc autour de ce projet, mais ce qui est certain, c’est que de nombreux pays produisent une quantité importante d’obus et de munitions qui pourraient être utilisés en Ukraine. Et si la Tchéquie et d’autres pays jouent le rôle de médiateurs, ils achèteront alors ces munitions et les livreront eux-mêmes à l’Ukraine. Cela semble être une bonne stratégie et une stratégie réaliste, c’est certain. »