Alena Longour, une Tchèque qui aide à réimplanter les animaux sauvages dans le sud de la France

La Réserve biologique des Monts d'Azur, photo: Kateřina Srbková

Dans les environs de la commune de Thorenc, dans les Alpes-Maritimes, la Réserve biologique des Monts d’Azur accueille les amateurs d’espèces ancestrales de la faune et de la flore. Fondé et géré par le couple franco-tchèque Alena et Patrice Longour, ce parc zoologique est dédié, entre autres, à la protection de deux espèces en voie d’extinction, le bison d’Europe et le cheval de Przewalski. Sur plusieurs centaines d’hectares de landes, forêts et prairies, se promènent aussi des cerfs, élans, sangliers, chevreuils et autres chamois. Au-delà de leur volonté de reconstituer la faune européenne d’autrefois, Alena Longour et son mari entendent également faire vivre au public l’expérience de l’espace sauvage. Rencontre avec Alena Longour, dans le domaine du Haut-Thorenc.

Alena Longour et son mari,  photo: Archives d'Alena Longour
« J’ai atterri en France par hasard et par amour il y a vingt ans de cela. J’ai rencontré mon mari à Prague en 1998. Il partait alors pour la première fois pour la réserve Białowieża en Pologne, pour y voir les bisons à l’état sauvage. Nous nous sommes installés ici en 2002, puisque mon mari était vétérinaire sur la Côte-d’Azur. Petit à petit, nous avons installé des clôtures, effectué des travaux, amené les premiers bisons… J’aidais mon mari à négocier avec l’Europe de l’Est pour les échanges d’animaux notamment. »

Aviez-vous un parcours en lien avec les animaux ?

« Pas du tout. J’étais étudiante à l’Université d’économie de Prague, donc à des années-lumière des animaux sauvages. Mais le projet de mon mari m’a séduite. Ce qui m’a interpellée aussi, c’est la différence dans l’approche de la vie et des animaux sauvages en France par rapport aux pays slaves. Une fois que nous nous sommes installés ici, j’ai été interpellée par les difficultés administratives auxquelles on se retrouve confrontés dès lors que l’on touche aux animaux sauvages. Il nous a fallu plus de dix ans pour que le projet soit dans les règles, ce qu’il n’est d’ailleurs toujours pas tout à fait aujourd’hui encore. La raison est qu’il n’existe nulle part ailleurs en Europe de réserve d’animaux sauvages où il est possible de se promener à pied. Il n’y a pas d’équivalent ni au niveau administratif, ni au niveau politique, ce qui explique que l’on ne rentre jamais dans le cadre de la règlementation prévue par exemple pour les parcs zoologiques. »

Nous sommes à l’intérieur de l’enclos, les animaux ont de la place

Vous êtes donc bien l’unique réserve de ce type en Europe ?

« D’autres réserves, petites et grandes, se montent un peu partout en Europe en s’inspirant de ce que nous avons fait avec Patrice. C’est une très bonne nouvelle parce que c’était notre but. Nous voulions êtres des pionniers et que d’autres personnes suivent notre exemple. Nous ne sommes absolument pas jaloux, bien au contraire. Ceci dit, il n’existe pas d’autre réserve d’une telle étendue où des bisons d’Europe, des chevaux sauvages et des cervidés, ainsi que des élans, qui arriveront bientôt de Suède, sont mélangés. »

Votre mari s’est inspiré de ce qui existe déjà en Afrique, où il vivait avant, c’est bien cela ?

« Il n’a pas beaucoup vécu en France. Durant une vingtaine d’années il a vécu seulement trois ou quatre mois par an en France pour passer le reste du temps en Afrique. Son but était d’aider les pays dans lesquels il vivait à développer une vision de la gestion non seulement de la protection des bovins mais aussi des recettes du tourisme autour des animaux sauvages. Ces pays avaient exactement les mêmes problèmes que ceux que l’on rencontre dans les pays européens. Il faut faire cohabiter ces deux entités vivantes que sont les animaux domestiques et les animaux sauvages, mais aussi faire en sorte que les éleveurs puissent en vivre et ne voient pas leurs bêtes sans cesse attaquées par les animaux sauvages. Comme en Europe avec les loups et les moutons, il existe des problèmes en Afrique avec par exemple les lions et les vaches. Ici dans la réserve, nous avons un espace central qui ne fait qu’un ou deux hectares, c’est donc nous les humains qui sommes à l’intérieur d’une clôture. Les 300 à 350 hectares restants sont réservés aux animaux sauvages. C’est aussi ce qui a été fait en Afrique où ils ont aussi fait en sorte que la population locale puisse bénéficier de ce type de tourisme. »

La Réserve biologique des Monts d'Azur,  photo: Kateřina Srbková

Des chevaux de Przewalski importés de Prague

Quelles ont été les étapes de la construction de la réserve ?

« Nous avons d’abord acheté le terrain et avons déménagé. Nous avons ensuite commencé à déblayer le terrain au niveau administratif pour connaître toutes les procédures à mener de façon à pouvoir amener des animaux et accueillir le public. Puis il nous a fallu obtenir les diplômes nécessaires pour pouvoir être les propriétaires de ces animaux. Mon mari est parti à Paris pour passer ce qu’on appelle des ‘capacités’ et ainsi pouvoir s’occuper des bisons d’Europe et des chevaux de Przewalski car il s’agit d’espèces en voie de disparition. Nous avons engagé une société et il a fallu faire rentrer de l’argent tout de suite pour pouvoir rembourser les crédits contractés. On s’occupait des chambres et du restaurant, tandis que mon mari proposait des visites en calèche. A l’époque nous avions juste deux chevaux sauvages et douze bisons, et on ne voyait jamais les biches et les cerfs parce qu’ils avaient trop peur, c’étaient des animaux qui avaient l’habitude d’être chassés. »

D’où viennent les animaux ?

La Réserve biologique des Monts d'Azur,  photo: Kateřina Srbková
« Les cerfs et les biches sont des animaux qui étaient déjà là et qui sont restés lorsque nous avons installé les clôtures. Les bisons sont tous des bisons d’Europe qui ont été importés de Pologne, et pour ce qui est des chevaux de Przewalski, ils viennent pour la plupart de parcs zoologiques français. Seules trois femelles viennent du zoo de Prague. J’ai d’ailleurs trois copines tchèques qui travaillent avec moi. Le cheval de Przewalski n’existe aujourd’hui plus que dans les parcs zoologiques, ce n’était pas évident d’en avoir. Les chevaux de Przewalski forment des familles, et une fois qu’une famille est créée et que la hiérarchie est bien arrêtée, ils peuvent vivre presqu’en autarcie et se débrouillent entre eux. »

Une réserve n’est pas un zoo amélioré

Votre but est de sensibiliser le public à la fois à la préservation des animaux sauvages et aux questions écologiques, ce qui n’est apparemment pas facile…

« Non, ce n’est pas simple parce qu’il faut convaincre les gens de renoncer à certaines habitudes. Nous avons des habitudes depuis des dizaines d’années et il faut expliquer que nous pouvons les changer pour protéger la nature sans pour autant détériorer notre qualité de vie. Nous n’essayons pas de mener une révolution, seulement de convaincre le grand public, les administrations et les politiques que si la nature a fait les choses d’une certaine manière, remettre les choses en place dans ce sens ne peut que fonctionner. Nous souhaitons que les gens aient compris quelque chose quand ils repartent d’ici. Lors du premier contact que nous avons avec les clients, qui se fait souvent par téléphone ou via Internet, ils ne s’imaginent pas vraiment ce qu’est une réserve. Ils ont l’image d’un ‘zoo amélioré’ avec de gros enclos et donc du mal à comprendre pourquoi ils ne peuvent pas se promener seuls. »

Votre but est d’éduquer le public et d’offrir une alternative agréable aux activités de loisir. Avez-vous pour ambition d’introduire davantage d’animaux ?

« En ce moment, nous avons un nombre important d’animaux pour un espace restreint. Nous prévoyons donc pour les années à venir de déplacer certains animaux vers d’autres réserves ou de réintroduire en Pologne certains d’entre eux qui sont nés ici de façon à soulager un peu les troupeaux. Nous voulons aussi introduire d’autres animaux, puisque nous n’avons pas encore tous les animaux qui existent en Europe. Après avoir introduit récemment des élans, nous aimerions bien avoir d’autres cervidés comme les daims, mais aussi des marmottes par exemple. »

La Réserve biologique des Monts d'Azur,  photo: Kateřina Srbková

Les Tchèques et les Français n’ont pas le même rapport avec la nature

Comment avez-vous construit votre notoriété ici ?

« Tout simplement par le bouche-à-oreille. C’est une petite entreprise familiale, et je pense que la notoriété s’est faite parce que le projet n’était pas idiot. C’est quelque chose qui se justifie : les bisons d’Europe et les chevaux de Przewalski vivaient ici autrefois puisqu’on les voit sur les dessins des grottes de Lascaux. Je pense que nous accueillons aussi correctement les visiteurs. Nous leur donnons la possibilité de participer. Ce qu’il est important de souligner, c’est que s’il n’y avait pas de visiteurs aujourd’hui, le projet ne pourrait pas continuer. Nous ne recevons aucune subvention, aucune aide, il faut donc que nous parvenions à couvrir nos frais grâce aux visiteurs. »

Vous avez évoqué au début de cet entretien le rapport des Tchèques avec la nature et les animaux sauvages. Quelles sont, selon vous, les différences majeures entre la France et la Tchéquie ?

La Réserve biologique des Monts d'Azur,  photo: Kateřina Srbková
« Quand je suis arrivée en France, j’avais le sentiment que c’était quelque chose qui dérangeait et n’arrangeait que les chasseurs, alors que j’avais jusque-là toujours eu l’habitude de me promener dans les forêts tchèques. Ça faisait partie de notre vie, de notre culture. Il me semble qu’il y avait déjà une base de propriété commune qui existait pendant le régime communiste mais qui n’existe pas en France, où la majorité des terrains sont privés. Ils sont gérés par des propriétaires qui veulent en tirer des bénéfices et font donc de la chasse. Cette façon de concevoir l’espace sauvage, la propriété et l’attachement à cela, est la différence la plus tangible à mes yeux. »

Comment êtes-vous perçus par les habitants de la région ?

« C’était un peu délicat au départ, mais maintenant les gens se sont fait à l’idée, d’autant plus que tout le monde en profite. La réserve fait un peu vivre le pays, ce qui nous fait plaisir puisqu’il n’y a pour l’instant pas grand-chose à faire dans cette vallée. Nous avons commencé à employer du personnel, et aujourd’hui nous gérons une petite entreprise. Nous sommes une douzaine de personnes pendant la pleine saison et six personnes à l’année, ce qui est déjà pas mal. »