Allemagne-Tchéquie : deux nouveaux chefs de gouvernement et des relations à réinventer

En Allemagne, l’ère Merkel est désormais terminée. Depuis le mercredi 8 décembre, Olaf Scholz est le nouveau chancelier fédéral, à la tête d’une coalition dite « feu tricolore » rassemblant Sociaux-démocrates, Verts et Libéraux. Cette alternance côté allemand représente aussi un tournant pour la République tchèque. Angela Merkel, en tant qu’Allemande de l’Est, avait une compréhension particulière des anciens pays communistes et de leurs problèmes. Côté tchèque, on tempère. La classe politique espère maintenir et approfondir les liens étroits qui unissent les deux pays.

Olaf Scholz | Photo : Guglielmo Mangiapane,  ČTK/AP

Le 8 décembre, le social-démocrate Olaf Scholz a prêté serment au Bundestag et est ainsi devenu le neuvième chancelier fédéral d’Allemagne depuis 1949. L’alternance politique du grand voisin est observée de près par Prague et tout particulièrement par le nouveau Premier ministre tchèque, Petr Fiala, qui a déclaré sur le sujet à la Télévision tchèque :

« L’Allemagne est notre partenaire privilégié au sein de l’Union européenne. C’est un partenaire politique et économique important, non seulement au niveau de l’Etat, mais aussi en raison des nombreux liens entre nos régions et nos citoyens. C’est vraiment un pays très important pour nous. Je pense qu’un nouveau gouvernement à Berlin ne signifiera pas un tournant pour les relations entre la République tchèque et l’Allemagne. Au contraire, nous devrons nous efforcer d’approfondir ces relations dans l’intérêt de nos deux Etats. »

Angela Merkel | Photo : Faces Of The World,  Flickr,  CC BY 2.0

La plupart des politiques tchèques qui se sont exprimés sur le changement de gouvernement à Berlin ont également pris à cœur de rendre hommage une dernière fois à la chancelière sortante, Angela Merkel. C’est le cas de Rudolf Jindrák, directeur du service des Affaires étrangères du cabinet présidentiel et ancien ambassadeur tchèque en Allemagne.

« Elle a été patiente face à un ou deux dérapages dans notre politique étrangère et à notre inexpérience dans ce domaine. Nous n’étions, après tout, pas membres de l’Union européenne depuis si longtemps. Elle a acquis une expérience lors d’un séjour de recherche à Prague de plusieurs mois qui a certainement joué un rôle. Elle va assurément nous manquer. Je ne suis certes pas pleinement compétent pour porter un tel jugement, mais je pense qu’avec le temps il apparaîtra que Merkel était, de tous les anciens chanceliers, celle qui fut la plus proche de l’Europe centrale et orientale », a déclaré Jindrák.

Rudolf Jindrák | Photo: PPPir,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 4.0 DEED

Selon Jindrák, les points de friction les plus importants actuellement entre Prague et Berlin se situent au niveau de la politique énergétique. Si la République tchèque mise sur l’énergie nucléaire, l’Allemagne, elle, prévoit de se séparer de ses derniers réacteurs dès l’année prochaine. La coalition dite « feu tricolore » ambitionne également une sortie du charbon pour 2030. Berlin est ainsi susceptible de faire pression sur ses voisins pour accélérer la mise en œuvre du Green Deal dans l’Union européenne, comme le souligne Rudolf Jindrák :

« L’énergie en tant que telle, l’ensemble du Green Deal ou l’agenda vert, peuvent présenter des points de friction, parce que la République tchèque, en tant qu’économie la plus industrialisée d’Europe, dépend de certains processus énergétiques. Nous devons donc mener à ce sujet un dialogue intensif avec l’Allemagne. Nous y travaillons. Nous devons à présent redéfinir en partie les priorités […]. Néanmoins, comme nous avons un nouveau gouvernement dans ce pays aussi, c’est une bonne occasion pour aborder le sujet en détail. »

Jan Lipavský | Photo :  Bureau du Gouvernement tchèque

La position est partagée par le nouveau ministre des Affaires étrangères Jan Lipavský (Pirates) qui a annoncé à la Télévision tchèque :

« Pour le nouveau gouvernement tchèque, il sera primordial de décider du chemin à suivre avec les nouveaux ministres allemands, de sonder les intérêts communs et d’expliquer les positions tchèques. C’est un défi pour nous. Dans certains domaines la politique du nouveau gouvernement fédéral nous sera assurément bénéfique – par exemple dans les relations avec la Russie. Il y a cependant aussi des domaines dans lesquels nous aurons pour mission d’expliquer patiemment les priorités de la République tchèque. Je pense, par exemple, à la politique en matière d’énergie. »

Pour le politologue allemand Robert Schuster, cependant, les divergences, y compris dans ce domaine, ne devraient pas être aussi insurmontables qu’elles le paraissent actuellement.

Photo d'illustration : Jeff Djevdet,  Flickr,  CC BY 2.0

« En ce qui concerne la transition énergétique, le Green Deal, ou plutôt la transition vers des formes plus durables de production d’énergie, je pense que la Tchéquie emboîtera le pas tôt ou tard. La structure industrielle de ce pays est, en effet, très similaire à celle de l’Allemagne, se caractérisant par une attention particulière portée à l’industrie automobile. Les constructeurs automobiles allemands se sont engagés à se convertir aux technologies vertes. S’ils produisent également en République tchèque ou ont un lien avec la République tchèque, alors l’industrie de ce pays rejoindra la tendance à un moment donné. L’économie pourrait donc prendre le pas sur le politique en Tchéquie, mais ce dernier suivra aussi ensuite », confie l’expert allemand.

Outre la question énergétique, dans l’accord de coalition du nouveau gouvernement allemand figure également l’ambition de faire évoluer l’Union européenne vers un Etat fédéral. Côté tchèque, en revanche, au regard des propos tenus ces dernières années par de nombreux politiques tchèques, l’idée est inconcevable. Le politologue Robert Schuster note cependant que le nouveau gouvernement fédéral met simultanément l’accent sur le principe de subsidiarité, selon lequel une compétence n’a pas vocation à être systématiquement transférée à Bruxelles, si les problématiques qui y sont rattachées peuvent être mieux traitées et résolues à l’échelle locale, régionale ou nationale.

Robert Schuster | Photo :  Radio Prague Int.

« Je pense que, même en Allemagne, personne dans l’opinion publique ne veut d’une république fédérale d’Europe. Je ne vois pas, par conséquent, à cet égard une source majeure de conflit. Cela dépendra davantage de la force, par exemple, avec laquelle le nouveau gouvernement fédéral allemand tentera d’exercer son influence sur les institutions européennes autour de thèmes comme le Green Deal ou la transformation de l’économie en général. Cela pourrait conduire à un éventuel conflit avec le nouveau gouvernement tchèque. Mais, à mon avis, ce sont là des idées vagues qui ne coïncident pas avec la réalité politique », explique Robert Schuster.