Les élections législatives allemandes et le départ d’Angela Merkel vus de Prague
En République tchèque aussi, on suit de très près les élections législatives en Allemagne voisine. Et pour cause, le pays est souvent désigné – pour le meilleur et pour le pire – comme un des Länder allemands. En outre, de tous les chanceliers allemands, Angela Merkel, qui quitte le pouvoir après 16 ans aux manettes, a probablement entretenu les relations les plus étroites avec la République tchèque. C’est en effet à Prague qu’elle a passé quelques mois en 1982 dans le cadre de son doctorat.
En raison de résultats très serrés, l’Allemagne s’est couchée, dimanche soir, sans savoir quel serait son futur chancelier. Et en République tchèque également la presse et la scène politique est dans l’expectative quant à la direction que va prendre le grand voisin allemand, et pas seulement parce que la République fédérale est le principal partenaire économique des Tchèques avec 32% des exportations nationales.
Le SPD est arrivé, dimanche, en tête avec 25,7 % des suffrages, suivi de très près par la CDU-CSU (24,1 %). Vrai succès pour le premier, résultat désastreux pour le second, ce coude-à-coude devra être tranché par les Verts et les libéraux qui sont en position de force pour former une coalition orientée plus à gauche ou plus à droite.
Mais quelle que ce soit la couleur politique finale du prochain cabinet fédéral, les commentateurs tchèques s’accordent sur le fait que les relations tchéco-allemandes ne changeront pas fondamentalement à l’avenir, si ce n’est que le prochain chancelier n’aura plus cette relation privilégiée avec la Tchéquie par son histoire personnelle.
Ce lundi matin, le ministre des Affaires étrangères Jakub Kulhánek (ČSSD) a félicité ses collègues « sociaux-démocrates allemands du SPD pour leur victoire électorale. Les négociations post-électorales vont maintenant commencer. Quel que soit le gouvernement qui sera formé à Berlin, il est important que nous nous comprenions et que nous sachions comment travailler ensemble dans l'intérêt de nos deux pays et de l'Europe, » a-t-il déclaré via son compte Twitter, notant que ces dernières années « les relations tchéco-allemandes (…) n'ont jamais été aussi bonnes. »
Pourtant cette relation spéciale, qui diffère de celle entre Paris et Berlin, n’est pas allé sans des grincements de dents ces derniers temps. Comme le relevait en mai dernier un commentateur du journal Deník pour la Radio tchèque, « le partenariat tchéco-allemand, patiemment construit pendant trois décennies par plusieurs générations de politiciens, de diplomates et d'historiens, » a pris un coup dans l’aile avec la crise du Covid. Car la fermeture stricte des frontières a directement impacté ceux qui vivent des possibilités de mobilité offertes par Schengen : les travailleurs frontaliers. D’un côté, ces derniers qui vont travailler en Allemagne pour de meilleurs salaires, mais qui pallient aussi au manque de main d’œuvre côté allemand, ont pu avoir un sentiment de « citoyens de seconde zone », de l’autre, l’absence de visiteurs allemands a aussi eu ses conséquences dans les régions frontalières tchèques, grandes oubliées de la prospérité.
Autre sujet de tensions plus lointain, certes, mais toujours dans les esprits en Tchéquie, surtout actuellement en pleine campagne pour les législatives où les thèmes liés à la migration ont refait surface : le « Wir schaffen das ! » d’Angela Merkel en 2015, au plus fort de la crise migratoire, un slogan de la politique d’accueil des réfugié pas du tout partagé de ce côté-ci de la frontière.
Enfin quelle que soit la coalition finalement formée en Allemagne, la transition énergétique du pays est déjà bien entamée et va se poursuivre. Par rapport à la République tchèque, dont le moteur de l’économie est l’industrie automobile, la politique allemande est déjà très verte. En Allemagne, tous les grands partis veulent que le pays atteigne la neutralité climatique au plus tard en 2045, c'est-à-dire qu'il réduise ses émissions à pratiquement zéro. Or le voisin tchèque n'a clairement pas d'objectif de ce type : encore récemment le Premier ministre Andrej Babiš (ANO) déclarait qu'il n'accepterait pas l’interdiction de la vente de voitures fonctionnant aux combustibles fossiles.
L'année dernière, les deux pays ont échangé des marchandises pour une valeur de plus de deux mille milliards de couronnes et la balance commerciale mutuelle a nettement augmenté au cours des dix dernières années. La réforme de l'économie allemande allant en s'accélérant, la pression en faveur de la durabilité et d'une approche écologique devrait impacter à terme le fonctionnement des exportateurs tchèques, relève le vice-président de la Chambre de commerce tchèque Tomáš Prouza, qui devront s’adapter à cette nouvelle donne pour rester dans le coup.
Or, Angela Merkel, politicienne chevronnée, connue pour sa sympathie vis-à-vis de la République tchèque, ne sera plus là, comme par le passé, pour désamorcer les tensions sur ces questions controversées telles que la migration ou l'énergie.
La proximité d’Angela Merkel avec le pays remonte au début des années 1980, lorsque jeune doctorante, elle a passé six mois dans la Tchécoslovaquie d’alors, à l'Institut de chimie organique et de biochimie de Prague. C’est là qu’elle a travaillé sous la direction de Rudolf Zahradník, son mentor à l’université. Celle qui n’a jamais rompu ses contacts avec ses amis tchèques, même quand elle était chancelière, est d’ailleurs attendue cet automne à Prague pour rendre hommage à ce professeur, décédé l’an dernier au plus fort de la deuxième vague de Covid-19 en Tchéquie et pour lequel les adieux officiels avaient dû être repoussés à des temps plus propices.