Antonín Holý, chimiste qui a sauvé des millions de vies

Antonín Holý

Nous parlerons aujourd’hui d’une importante découverte tchéco-belge qui s’appelle « les antiviraux », des médicaments qui traitent notamment les patients atteints du sida et de l’hépatite B. A son origine se trouve le chimiste tchèque de renommée mondiale Antonín Holý, qui fêtera ses 75 ans le 1er septembre prochain. Il y a vingt-cinq ans de cela, les résultats de ses recherches révolutionnaires ont été publiés pour la première fois dans le prestigieux magazine Nature.

Les lentilles de contact inventées par Otto Wichterle et les antiviraux découverts par Antonín Holý : voilà deux des plus grands succès de la science tchèque au XXe siècle. Deux succès qui on eu un impact mondial.

« Je ne suis pas quelqu’un d’exceptionnel. Des gens comme moi, il y en a plein, rien que dans notre Institut. Je suis un scientifique ordinaire qui a découvert par hasard, lors de ses recherches, quelque chose de particulier », affirmait Antonín Holý dans une interview accordée en 2003 au site www.idnes.cz.

Dans ce même entretien, il expliquait : « Toute ma vie, je travaille parallèlement sur trois ou quatre matières, pour que les choses bougent. Un scientifique ne doit pas se concentrer sur un seul travail, c’est une perte de temps énorme. Nous ne savons pas encore créer une substance efficace à l’ordinateur. (…) Nous devons appliquer la méthode essai-erreur, il n’y a pas d’autre voie pour l’instant. Je vérifie mes idées en pratique, mais pour cela il faut avoir une grande intuition et beaucoup d’expérience. L’expérience est ennuyeuse, mais c’est elle qui compte le plus. »

Antonín Holý est né en 1936 à Prague d’un père ouvrier et d’une mère au foyer. Dès son enfance, il se passionne pour les expériences chimiques. Il s’en souvient :

« A l’époque, nous avons pu fabriquer à la maison un feu de Bengale, par exemple. Il a été un peu difficile de se procurer du verre chimique, mais nous en avons quand même trouvé chez des petits commerçants. Ensuite, tout a disparu des magasins, surtout les produits chimiques. Les autorités communistes ont probablement eu peur des explosifs faits maison. »

Antonín Holý a étudié la chimie organique à la Faculté des sciences de l’Université Charles. Jeune diplômé, il intègre l’Institut de chimie organique et de biochimie de l’Académie des Sciences, auquel il restera fidèle pendant toute sa vie et où il effectuera toutes ses recherches, axées, depuis les années 1960, sur les acides nucléiques. Un travail rendu compliqué par le contexte politique : après 1968, la majorité de ses collaborateurs de l’Académie des Sciences prennent le chemin de l’exil. Même s’il possède de nombreux contacts à l’étranger, Antonín Holý, marié à une spécialiste en chimie alimentaire et père de deux filles, choisit de rester en Tchécoslovaquie.

1976 marque un tournant dans sa carrière : c’est à ce moment-là qu’il commence à collaborer avec son collègue belge Erik de Clercq, professeur en sciences biologiques et médicales à l'Université catholique de Louvain et spécialiste en virologie. Antonín Holý lui envoie une substance développée à Prague qui aurait des effets anti-viraux et lui demande de la tester à Louvain, d’abord sur des cellules et ensuite sur des souris. Cette collaboration fructueuse, qui se poursuit aujourd’hui encore, a donné naissance, entre autres, au Vistide, au Viread et à l’Hepsera, autant de médicaments traitant les maladies virales comme l’herpès, la variole, l’hépatite B ou le sida.

Erick de Clercq, qui fête cette année ses 70 ans, vient régulièrement en République tchèque. Lors de l’une de ses visites, au printemps 2007, la faculté de médecine de l'Université Charles à Prague lui a remis le titre de doctor honoris causa. A cette occasion, Erick de Clercq s’était souvenu, au micro de Radio Prague, de sa première rencontre avec Antonín Holý, à une époque où leurs pays, Belgique et Tchécoslovaquie, étaient séparés par le rideau de fer.

Erick de Clercq
« J’ai rencontré Antonín Holý un peu par hasard, lors d’une conférence qui s’est déroulée à l’Institut Max Planck de Güttingen. Les chimistes ont cherché des pistes pour le traitement antiviral et moi, j’ai été intéressé par une collaboration avec les chimistes. Avec Antonín Holý, notre premier objectif a été de trouver un médicament contre l’herpès. A l’époque, c’était un véritable fléau. J’avais déjà développé un produit de base, le DHPA. Ce n’était pas un médicament, mais il nous a permis de développer ensuite les ‘phosphonates’. Le premier produit de ce genre a été actif contre l’herpès, le deuxième contre l’hépatite B et le troisième contre le sida. »

Il s’agit, en fait, d’une collaboration tchéco-belgo-américaine, car Antonín Holý et Eric de Clercq se sont liés avec l’entreprise pharmaceutique Gilead Sciences de San Francisco. Eric de Clercq précise :

« La synthèse chimique est faite à Prague, à l'Institut de chimie organique et de biochimie (UOCHB), tandis que l'évaluation biologique antivirale est faite à l'institut Rega, à Louvain. Les produits que nous avons découverts ont trouvé une application dans l'industrie puisque nous avons eu l'opportunité de collaborer avec Gilead Sciences, un laboratoire pharmaceutique. Il s'agit donc d'un travail en commun de trois entités : la chimie, la biologie médicale et l'application industrielle par les Américains. Cela veut dire que le monde a la perception que ces produits sont découverts aux Etats-Unis, alors qu'ils le sont en République tchèque et en Belgique. Il s'agit donc de produits européens dont les Américains ont la réputation d'être les inventeurs. »

Une explication pour les amateurs de chimie : comment fonctionnent concrètement ces médicaments antiviraux ? Eric de Clercq :

Virus HIV fixé sur un lymphocyte vu en microscopie électronique  (fausses couleurs,  le VIH est en vert),  photo:CDC/ C. Goldsmith,  P. Feorino,  E. L. Palmer,  W. R. McManus/Centers for Disease Control and Prevention,  public domain
« Nous avons développé des produits dont le nom de famille est ‘phosphonates’. En termes très simplifiés, il s'agit d'analogues à ce que l'on appelle les phosphates. Les phosphates forment en quelque sorte la colonne vertébrale de ces molécules. Et ça, c'est important, car c'est aussi un élément dans les acides nucléiques qui forment la base des virus. Donc, l'invention de notre côté est que nos produits ont une action antivirale parce qu'ils imitent ce qui se passe dans l'ARN du virus, ainsi que dans l'ARN des rétrovirus comme le virus du sida, mais aussi les virus à ADN. Et cela explique pourquoi les produits qui imitent ce qui est essentiel pour la composition du virus vont tromper le virus et développer une activité antivirale. »

Il existe actuellement trois formes pharmaceutiques du médicament pour le traitement du sida : Viread, Truvada et Atripla, le dernier étant pour l’instant le plus efficace. Mais dans quelle mesure ces produits soignent-ils du sida ? Eric de Clercq :

« C'est très simple. Il n'y pas de moyen d'éradiquer le virus. Personne, aucun produit, ne sait le faire et ne sera le faire même à l'avenir. Mais nous avons de très bons résultats pour la suppression du virus. Dès qu'on est infecté par le VIH, on l'est pour toute la vie. Mais ce que nous savons faire, c'est affaiblir le virus de telle sorte à ne plus avoir de symptômes de la maladie. Il est donc possible de vivre avec pendant « toute la vie », ai-je envie de dire. »

Antonín Holý
Environ 60% des personnes séropositives dans le monde suivent un traitement développé par Antonín Holý et Eric de Clercq. Bien que souffrant d’une maladie de cordes vocales qui l’empêche de voyager et de communiquer avec les médias, Antonín Holý continue de mener ses recherches. Lui même et ses quatre jeunes équipes scientifiques de l’Institut de chimie organique et de biochimie se consacrent, entre autres, au développement de médicaments actifs contre l’hépatite C et le cancer.

Auréolé de nombreuses récompenses, Antonín Holý a été proposé par l’Académie tchèque des Sciences pour le prix Nobel de médecine 2009. Un trophée dont il est bien le détenteur imaginaire, dans l’esprit de beaucoup de Tchèques. « Il n’a pas de concurrent dans l’histoire de la science tchèque. Dans son cas, nous parlons de millions de vies sauvées », conclut Jan Konvalinka, le collègue d’Antonín Holý à l’Académie des Sciences.