« Le dépistage et le traçage : voilà la recette du succès face à la pandémie »
Le professeur Ivan Hirsch, est un virologue tchèque renommé qui partage sa vie et sa carrière entre la République tchèque et la France. Il a notamment participé à la découverte du virus VIH, mais c’est désormais le coronavirus qui est au cœur de ses recherches. Ivan Hirsch est membre d’un groupe de chercheurs tchèques réunis autour de l’initiative John Snow, qui appellent à une approche scientifique et apolitique de la pandémie de Covid-19. Nous l’avons joint à Marseille, pour qu’il nous parle de son parcours et des défis de la virologie tchèque. Mais tout d’abord, Ivan Hirsch explique la stratégie que l’Etat tchèque devrait mettre en place pour endiguer l’épidémie.
« La situation actuelle, où l’on ferme tout et on limite les contacts entre les gens au strict minimum, est évidemment très désagréable. C’est triste, mais c’est la seule solution qui existe alors que le nombre de cas de contamination reste si élevé. Il existe toutefois un moyen de sortir de ce confinement complet. Il se résume en deux mots clé : le dépistage et le traçage. Il s’agit de dépister systématiquement tous les cas positifs et de les isoler, au lieu de confiner tout le monde. Le principe de cette stratégie, qui doit être mise en place le plus tôt possible, est simple, mais ce qui est plus difficile, c’est l’organisation de ce système. »
C’est un vrai défi pour tous les pays touchés par la pandémie, n’est-ce pas ?
« Certains pays ont déjà réussi à marginaliser le virus de cette manière, notamment les pays asiatiques comme la Corée du Sud, Taïwan ou le Japon. On pourrait dire que la mentalité asiatique y est pour quelque chose, mais la Nouvelle-Zélande ou l’Australie y sont également parvenues. Mais il faut se rendre compte que le système de dépistage et de traçage ne peut être efficace que si nous avons des dizaines ou peut-être quelques centaines de cas d’infection par jour et donc pas plus de 10 000 comme c’est le cas en République tchèque actuellement. »
Vous avez été, vingt-cinq ans durant, directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) en France. Pourriez-vous nous parler de votre parcours de chercheur en France ?
« Ma carrière de scientifique en France a commencé à la fin de l’année 1980. Quelques-uns des chercheurs qui ont participé à la découverte du virus VIH à l’Institut Pasteur ont décidé de lancer un nouveau laboratoire à Marseille. Celui-ci recrutait des collaborateurs et c’est ainsi que j’ai rejoint l’équipe. J’ai commencé d’abord comme chercheur postdoctoral. Deux ans après, j’ai passé le concours pour le poste de directeur de recherche à l’Inserm. Dès le début, j’ai été impliqué dans la recherche sur le VIH/Sida. »
Était-ce l’unique objet de vos recherches ?
« Non, les cinq dernières années, je les ai passées au sein d’un autre laboratoire où je me suis concentré sur le virus de l’hépatite C. C’était un défi pour nous, car à l’époque, il n’y avait pas de traitement efficace pour soigner cette maladie. Le vaccin contre le virus n’existe d’ailleurs toujours pas. J’ai poursuivi mes recherches au sein du Centre de recherche en cancérologie de Marseille, car l’hépatite C est étroitement liée au cancer du foie. Après mon retour en République tchèque, j’ai encore élargi mes recherches en me concentrant sur le virus de l’hépatite B. »
La virologie tchèque, que vous représentez, a une excellente réputation dans le monde entier. Pourriez-vous rappeler ses personnalités les plus marquantes et ses plus grands succès ?
« Je suis très fier de mes prédécesseurs, parmi lesquels figure notamment le professeur Karel Raška, actif au sein de l’Organisation mondiale de la Santé. Il a contribué à éradiquer la variole à l’échelle mondiale, dans les années 1950-1970. Un autre grand succès de la médecine tchèque est la lutte contre la poliomyélite dans l’ancienne Tchécoslovaquie. Elle a été le premier pays au monde à avoir éradiqué la maladie. Ce n’est pas le mérite d’une seule personne, mais de toute une équipe composée de virologues, d’épidémiologistes et de médecins. Ils ont utilisé le vaccin antipoliomyélitique oral développé par l’Américain Albert Sabin et prouvé son efficacité. »
« Jan Svoboda est l’artisan d’une autre grande réussite de la virologie tchèque : il est l’auteur du concept révolutionnaire du provirus, le génome d’un rétrovirus, responsable des maladies comme le cancer ou le Sida. Sa théorie a été ensuite développée par les chercheurs américains qui ont reçu pour leurs travaux le prix Nobel en 1975 et qui ont même mentionné Jan Svoboda lors de la cérémonie de remise du prix. La découverte de Svoboda a ouvert la voie à la mise au point des antiviraux par une autre grande figure de la science tchèque, le professeur Antonín Holý. »
L’Académie des Sciences a annoncé en octobre dernier vouloir fonder un nouvel institut tchèque de virologie. C’est un institut qui n’existe pas en Tchéquie ? Quelle serait sa mission ?
« L’Académie des Sciences a relancé ce projet dans le contexte de la crise du coronavirus. Sous l’ancien régime, nous avions un institut de virologie commun avec nos collègues slovaques. Après la partition de la Tchécoslovaquie, le siège de celui-ci est resté à Bratislava. Le projet actuel prévoit une synergie de plusieurs institutions, dont l’Académie des Sciences, le ministère de l’Education et des universités. L’objectif est d’élaborer une méthodologie de lutte contre l’épidémie actuelle et celles qui arriveront dans le futur. »