Après la grande manifestation, l’affaire Babiš en Une de tous les journaux tchèques

Photo: ČTK/Michal Kamaryt

« Une place Venceslas pleine a réclamé [sa] démission », titre en Une le quotidien Lidové noviny ce mercredi matin. Quelque 120 000 personnes se sont rassemblées dans le centre de Prague, mardi soir, pour réclamer le départ du Premier ministre Andrej Babiš. Soupçonné de fraude aux subventions européennes, le chef du gouvernement et leader du mouvement ANO est également inquiété par un projet de rapport d'audit de la Commission européenne qui confirme qu’il serait bien en situation de conflit d’intérêts. Andrej Babiš s’est toutefois défendu à la Chambre des députés, mardi. Les réactions sont nombreuses et diverses dans les médias tchèques ce mercredi.

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Les photos montrant la foule rassemblée sur la principale artère de Prague, qui a scandé par exemple « C’est un voleur ! », figurent sur les Unes de tous les quotidiens tchèques de ce mercredi. « Dotační dusno » - soit quelque chose comme « Les étouffantes subventions » - titre même en grand Mladá fronta Dnes, qui s’était pourtant montré jusqu’à présent très discret les lendemains des quatre premières manifestations qui, depuis le début du mois de mai, avaient déjà mobilisé plusieurs dizaines de milliers de personnes dans la capitale et les autres grandes villes du pays. Il faut dire que le quotidien d’information générale le plus lu des Tchèques appartient au groupe de médias Mafra, filiale d'Agrofert dont Andrej Babiš a été le propriétaire, officiellement jusqu’en 2017.

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Une situation identique à celle de Lidové noviny, dont la rédaction est elle aussi souvent critiquée pour son manque d’indépendance. « Le Journal populaire » titre, lui, « Babiš : c’est une attaque contre la Tchéquie », préférant ainsi mettre l’accent sur la défense du Premier ministre face aux députés de l’opposition mardi. Ceux-ci considèrent que l’ancien homme d’affaires, auquel il est reproché de se servir de son influence politique pour servir les intérêts de ses nombreuses entreprises en leur faisant profiter des subventions européennes, « a pris le pays en otage ».

Dans un texte intitulé « Le hussard Babiš fait la guerre aux chars de la Commission européenne » (cf. : https://www.irozhlas.cz/komentare/andrej-babis-audit-evropska-komise_1906050639_jak), le commentateur de la Radio tchèque Petr Hartman estime que la défense du Premier ministre est logique et légitime compte tenu de l’évolution de la situation depuis la publication, en fin de semaine dernière, du projet de rapport d’audit de la Commission. Le document en question établit qu’Andrej Babiš est bien en situation de conflit d’intérêts.

« Andrej Babiš luttera jusqu’au dernier souffle, se dit convaincu Petr Hartman. S’il devait en être autrement, cela ferait longtemps qu’il aurait déposé les armes. Pourtant, il n’a présenté aucun argument concret à la Chambre des députés pour démontrer qu’il n’est pas en situation de conflit d’intérêts. S’il démissionnait de ses fonctions de Premier ministre, le problème serait résolu. Ce serait plus simple que de vendre Agrofert, éventuellement couper le groupe des subventions ou des commandes publiques. Andrej Babiš sait tout cela très bien. Mais il préfère combattre la Commission européenne, l’opposition et une partie de l’opinion publique qui ne veut pas croire que le Premier ministre n’est pas en situation de conflit d’intérêts. Et comme le mouvement ANO reste en tête des intentions de vote, Andrej Babiš peut continuer à prétendre qu’il n’a violé aucune loi et qu’il est la victime d’une campagne [contre sa personne]. »

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Cette analyse est partiellement partagée par le rédacteur en chef de l’hebdomadaire Respekt. « Plus de 100 000 personnes ont rempli la place Venceslas mardi, constate-t-il. Les protestations sont donc de plus en plus fortes. Pourtant, on entend dire que cela ne dérange pas Andrej Babiš parce qu’il peut continuer à gouverner. C’est vrai, sa coopération avec les sociaux-démocrates, les communistes et le [parti d’extrême-droite] SPD le lui permet. […] Mais le chef du mouvement ANO est visiblement irrité par le fait qu’une part croissante de la société proteste contre lui. Et ce d’autant plus que c’est justement la catégorie dont il voulait qu’elle le soutienne. Certes, il a réorienté sa politique pour séduire d’autres électeurs, mais cela ne signifie pas qu’il soit satisfait. »

Satisfait ou pas, mais en tous les cas sous la pression de l’opposition, d’une partie des médias et de l’opinion publique, le Premier ministre continue de se défendre comme il l’a toujours fait depuis le début de l’affaire : en clamant que l’audit de la Commission européenne est « une attaque contre la stabilité de la Tchéquie », comme le titrait aussi le quotidien Hospodářské noviny. Une ligne de défense qui devient, de manifestation en protestation, un argument pour ses opposants qui estiment, eux, que c’est plutôt lui, Andrej Babiš, qui nuit plus généralement aux intérêts d’un pays, la Tchéquie, qui est aussi le leur, et pas seulement le sien.

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