Les sépultures de guerre tchèques, de la France aux Philippines
En Tchéquie, le Département des anciens combattants et des sépultures de guerre (OVVV) du ministère de la Défense s’occupe non seulement des vétérans des conflits passés ou présents, mais également des monuments aux morts et cimetières militaires. Le terme de « sépultures de guerre » (válečné hroby) recouvre les deux réalités et peuvent ainsi correspondre au lieu où se trouvent les dépouilles des soldats tchèques, ou être un simple mémorial. Entre 2007 et 2009, ce département a créé une carte interactive qui répertorie toutes ces sépultures érigées en hommage à ces soldats tchèques morts au combat, en Tchéquie et à l’étranger, comme le décrit Pavel Kugler qui en est le directeur-adjoint.
« A l’heure actuelle, nous répertorions 38 000 sépultures de guerre sur le territoire de la République tchèque et environ 4 000 à l’étranger. Ce sont, pour la plupart, des sépultures sans dépouilles. Evidemment, le plus grand nombre de ces sépultures correspond à la Première et la Deuxième Guerre mondiales. Si je devais citer la plus vieille sépulture de guerre de notre base de données, elle correspond à la bataille de Marchfeld (Moravské pole) de 1278 où est tombé le roi de Bohême Přemysl Otakar II. De même, nous considérons comme sépultures de guerre celles liées aux missions actuelles de l’armée tchèque à l’étranger. Ainsi, que ce soit l’Afghanistan, l’ex-Yougoslavie, si des soldats sont tombés, ils ont une sépulture de guerre. Donc, notre base de données correspond réellement à des siècles d’histoire de conflits. »
De nombreux Tchèques sont tombés pendant la Première et la Deuxième Guerre mondiales en France et en Belgique notamment. Qu’en est-il de leurs sépultures de guerre ?
« En France, on dénombre environ 600 sépultures de guerre correspondant à environ un millier de victimes. Après la Slovaquie, la France est le deuxième pays où nous comptons le plus de soldats tombés à l’étranger. Pour la Belgique, leur nombre est moindre mais on y trouve aussi des sépultures pour la Première et la Deuxième Guerre mondiale. »
Qu’en est-il de l’entretien de ces monuments aux morts et sépultures en France ? Coopérez-vous avec l’Association des volontaires tchécoslovaques en France ?
« Oui, nous collaborons avec eux pour répertorier les soldats tombés sur le sol français, faire des recherches dans les archives, compléter les informations qui les concerne. Mais aussi lorsqu’il est nécessaire de construire un monument ou restaurer les sépultures déjà existantes. Pour nous cette association est un partenaire qui nous sert d’intermédiaire en France. Ils nous aident à avoir accès aux sources et aux archives françaises ce qui nous permet d’enrichir notre travail ici à Prague. »
Où trouve-t-on ces sépultures de guerre tchécoslovaque et tchèques en France ? On pense notamment aux cimetières du Père Lachaise, à la Targette, à Cernay également…
« Il y en a vraiment beaucoup en effet. Pensons aussi à Darney, un lieu qui représente un lien très fort avec notre histoire. Mais aussi Dunkerque qui rappelle les très nombreux soldats de la Brigade blindée indépendante tchécoslovaque tombés à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Il y aussi Arras. Là où passaient les lignes de front entre la France et l’Allemagne, on retrouve aussi des volontaires tchécoslovaques dont de nombreux sont morts au combat. Terron est aussi un endroit lié à ces combats auxquels ont participé des soldats tchécoslovaques. Et je rajouterai enfin que nous considérons aussi le lieu de la bataille de Crécy en 1346 comme un lieu de sépulture de guerre : en 2019, nous avons financé la restauration de la croix qui se trouve sur le site de cette bataille médiévale (durant laquelle est mort le roi de Bohême Jean de Luxembourg, ndlr). »
Retrouve-t-on encore aujourd’hui des dépouilles de soldats tchèques tombés à l’étranger lors des deux conflits mondiaux ?
« A l’heure actuelle, aucune exhumation n’est en cours. Il y en a eu évidemment beaucoup juste après la guerre. Par exemple, en France, il y a eu à l’époque le transfert des dépouilles de soldats tombés à Dunkerque jusqu’au cimetière de la Targette. C’est plutôt l’inverse qui se produit : en Tchéquie, il est fréquent que nous retrouvions encore les dépouilles de soldats allemands ou russes. D’abord, il y a une fouille archéologique, puis nous essayons dans la mesure du possible de rentrer en contact avec la partie allemande, ou jusqu’à récemment, la partie russe, afin de donner une sépulture digne de ce nom à ces soldats. En général, ils sont inhumés dans un cimetière des environs, avec leurs compagnons d’armes. A ma connaissance, toutes les dépouilles des soldats français tombés sur le sol tchèque ont été rapatriées par le passé. »
Vous évoquez les soldats russes. Y a-t-il encore des contacts avec la Russie sur ces questions depuis le début de la guerre en Ukraine et le gel des relations ?
« A la fin des années 1990, un accord a été signé avec la Fédération de Russie portant sur la coopération pour l’entretien mutuel des sépultures de guerre. Cette coopération a fonctionné un temps. Mais depuis 2015, nous sentons bien que l’intérêt a décru côté russe. L’accord prévoyait la création d’une commission tchéco-russe sur cette question, avec des réunions annuelles, mais il n’y en a plus depuis 2017. C’est lié notamment au déboulonnage de la statue du maréchal Koniev dans le VIe arrondissement de Prague. En ce qui concerne les sépultures et monuments tchécoslovaques en Russie, nombre d’entre eux ont été restaurés ou de nouveaux ont été construits. Avec certaines administrations locales, la coopération s’est bien passée. Dans d’autres régions moins. Nous suivons la situation de loin, même si c’est compliqué. Mais nous n’avons pas d’informations sur d’éventuels dommages causés à des monuments aux légionnaires tchécoslovaques ou aux soldats de la Deuxième Guerre. »
L’histoire de l’armée tchèque et son développement est spécifique. La présence de ces soldats tombés dans différents pays est aussi le reflet de cette histoire particulière. Par exemple, pendant la Première Guerre mondiale, des Tchèques se sont engagés du côté de la Triple-Entente, les Alliés, mais d’autres du côté des Empires centraux…
« Tout à fait. La Première Guerre mondiale est un conflit où d’un côté nous avons les légionnaires qui ont combattu à l’étranger. Mais la plupart des monuments que vous voyez en Tchéquie dans les villages sont ceux correspondant aux soldats qui ont combattu pour l’Autriche-Hongrie, soit entre 200 et 250 000 hommes. C’est un des objectifs de notre département : compléter les données de ces soldats morts pour l’empire et qui ont été un peu oubliés. Pourtant dans de nombreuses familles, dont la mienne, il arrive souvent que l’on ait un frère légionnaire qui a survécu à la guerre et le deuxième est tombé en se battant pour l’empire quelque part en Pologne, en Russie ou en Italie. Nous avons une dette envers eux. Nous essayons donc d’enrichir la base de données afin de faire correspondre les données des archives avec les sépultures de guerre, afin de faire correspondre les données de celles-ci avec le lieu des tombes réelles des soldats. »
Votre département répertorie des sépultures de guerre dans 45 pays. La France donc, mais aussi jusqu’aux Philippines, en passant par l’Australie, le Japon, les Bermudes, le Panama. Ceci est encore une fois lié à l’histoire spécifique de l’engagement des soldats tchèques à l’étranger…
« Oui. D’ailleurs, nous n’avons pas encore de sépulture de guerre correspondante, mais il faut rappeler que de nombreux Tchécoslovaques ont combattu dans la Légion étrangère. L’an prochain nous allons commémorer les 70 ans de Điện Biên Phủ : un chercheur de l’Institut d’études des régimes totalitaires a dénombré 300 soldats tchèques tombés lors de cette bataille sur les 1 500 engagés dans la Légion. Après les deux guerres mondiales, c’est le plus grand nombre de soldats tchèques ayant participé à un conflit à l’étranger, du côté de la France dans ce cas précis. Si c’est possible, nous aimerions leur rendre hommage également si nous arrivons à nous mettre d’accord avec les autorités vietnamiennes qui, évidemment, ont un autre regard sur cette bataille. »