« Avec la disparition de Karel Schwarzenberg, la Tchéquie perd un homme d’État »
Les funérailles de Karel Schwarzenberg sont prévues ce samedi à Prague avant que sa dépouille rejoigne le caveau familial d'Orlík nad Vltavou. Soutien indéfectible à la dissidence sous le régime communiste, proche collaborateur de Václav Havel, chef de la diplomatie puis candidat malheureux à la présidentielle face à Miloš Zeman, celui qui était surnommé Le prince (Kníže) laisse un souvenir impérissable à tous ceux qui l'ont côtoyé. Aux membres de sa famille aussi, comme le confirme à Radio Prague Int. son cousin Constantin Kinský.
Que perd la Tchéquie avec le départ de Karel Schwarzenberg ?
Constantin Kinský : « Un homme d’État. C'est quelque chose de particulièrement important dans des pays qui sont encore en reconstruction comme tous les pays d'Europe centrale, les pays post-communistes. C'est particulièrement important dans un pays dont la richesse - et au fond le rôle - est d'être multiculturel et ouvert dans le contexte du projet européen et c’est ce qui manque dans bien des pays : quelqu'un qui sait faire la différence entre la politique avec un petit p et avec un grand P. »
Jacques Rupnik, dans le quotidien français Le Monde, parle de Karel Schwarzenberg comme d’un « personnage d'exception », est-ce votre avis également ?
« Chaque rencontre avec lui était inspirante, passionnante, y compris avec sa capacité à se décentrer et à rester dans une forme d’humilité dans son analyse d’une situation historique, géopolitique ou de politique nationale. Donc c'était vraiment un homme d’exception. La deuxième caractéristique de son côté exceptionnel est qu’il était un grand seigneur, un grand prince qui s'inscrivait dans une longue dynastie historique mais qui avait presque une forme de tendresse pour les humbles de ce monde, qui d’ailleurs le lui rendaient bien. »
« Un sourire malicieux »
Vous étiez cousins, vos pères étaient demi-frères - est-ce que vous vous rappelez de votre première rencontre avec lui ?
« La première non, mais certaines des dernières oui. Je me souviens quand on s'est rencontré récemment, il m'encouragé avec raison à aider un fonds qui finance les études à l'étranger d'étudiants tchèques brillants qui se destinent au service public de façon à ce qu'ils aient une expérience internationale. C'était toujours quelqu'un qui était orienté vers l'investissement dans les hommes et qui inscrivait son action dans le long terme. »
Si vous deviez garder un souvenir de lui, lequel serait-ce ?
« Un sourire malicieux, il avait énormément d'humour, pas seulement d'ironie mais d'humour. »
En quelle langue est-ce que vous parliez tous les deux ?
« En tchèque, il avait un tchèque d’une très très grande qualité qui gardait des traces de son enfance, donc un tchèque de la Première république et c'était très étonnant parce qu'il arrivait à corriger le tchèque de personnes qui avaient vécu dans le pays toute leur vie alors que lui a passé la moitié de sa vie en exil. »
Comité Helsinki, bibliothèque du samizdat et "plus vieux métier du monde"
Professionnellement, à quelle période est-ce que vous l'avez connu le plus heureux ? Est-ce quand il a travaillé aux côtés de Václav Havel, quand il a été chef de la diplomatie ou bien avant ?
« Je crois que chaque période lui a apporté à la fois des charges et des soucis mais du bonheur aussi, déjà comme président du Comité Helsinki et dans son action dans l'ombre mais aussi dans le public pour aider les dissidents de l'époque, quand il a eu l'idée de créer la bibliothèque du samizdat tchèque au château de Scheinfeld qui appartient à la famille Schwarzenberg. Puis il a été surpris par Havel qui lui a proposé de d'être son bras droit. »
« Quand il était ministre des Affaires étrangères, je crois qu'il avait une façon assez amusante de définir le bonheur et le malheur de son métier : il disait que c'était 'aussi le plus vieux métier du monde parce que vous faisiez des choses inavouables avec des gens de mauvaise compagnie aux petites heures de la nuit’.
« Mais au fond quand je l'ai vu le plus heureux, c'était ces derniers temps quand il avait l'occasion de renouer avec cette qualité exceptionnelle que donne le sentiment que c'est la dernière fois qu'il rencontrait ses amis et nous autres de la famille, il avait une forme de sourire qui était lumineux. »
Vous avait-il paru blessé par les attaques de M. Zeman sur sa « tchéquitude » pendant la campagne présidentielle ?
« Non, pas du tout. Il savait que tous les coups étaient permis. Ce qui l’a un petit peu déçu – et nous aussi – c'est que ce type de comportement puisse être considéré comme tactiquement utile par un adversaire, ce qui montre à quel point il est important de continuer ce qu'il a fait, c'est-à-dire d'aider le pays à cicatriser ses blessures et à contribuer d'une façon sereine, en étant sûr de soi et ouvert, à la construction du projet européen. »
« Le goût de l’excellence, les racines profondes combinées avec l'ouverture »
Karel Schwarzenberg avait lui-même prononcé l'éloge funèbre pour votre père Radslav. Est-ce que vous savez comment cela va se passer pour ses funérailles samedi ?
« C’est un événement officiel donc c’est la présidence de la République qui a la main et je ne peux vous en dire plus sinon qu’il y aura beaucoup de ses amis et parents, dans les limites de la capacité d'accueil de la cathédrale. Nous serons tous unis dans son souvenir et aussi dans le soutien des valeurs qu'il a essayé d'incarner. »
Quelles sont les premières de ces valeurs qui vous viennent à l'esprit quand on parle de Karel Schwarzenberg ?
« Le goût de l’excellence, les racines profondes combinées avec l'ouverture, une très grande ouverture et la compréhension profonde et fine du dynamisme et du poids de l'histoire dans la vie d’un peuple. Une très discrète et énorme générosité et évidemment les valeurs démocratiques qui ont toujours été au cœur de son action, mais cela va sans dire. »
Serez-vous également à Orlík nad Vltavou pour la cérémonie privée ?
« La famille a souhaité que ce soit en très petit comité, il n’y aura que les frères et sœurs et les enfants. Donc nous n'y serons pas, cela se comprend aussi parce que l’endroit est en pleine forêt et couvert de neige. On y avait été pour le décès de son frère, mais c’était à la belle saison. Donc on sera uni en pensées. »