Présidence de l’UE : « Il faut être à la fois manager et leader »

Depuis Bruxelles, c’est elle qui a mené la présidence tchèque du Conseil de l’Union européenne. Edita Hrdá est la représentante permanente de la République tchèque auprès de l’Union européenne. En décembre, à quelques jours de la fin de la présidence – qui ne se reproduira pas avant 13 ans – elle a accepté de répondre aux questions de Radio Prague International, pour faire le bilan de ces six mois chargés.

La présidence tchèque a duré six mois. Que voulez-vous que l’on retienne de ce semestre ?

Edita Hrdá | Photo: Keith Bedford,  INSIDER IMAGES/Flickr,  CC BY 2.0

« J’espère vraiment que les gens retiendront notre capacité à chercher des consensus, et que nous avons fait de notre mieux, en ces temps très difficiles, pour rassembler les Etats-membres et décider de choses aussi importantes. Et tout cela dans une très bonne ambiance, pour que chacun y trouve son compte. »

La présidence pourra-t-elle être utile à la République tchèque au-delà de ces six mois ?

« Bien sûr ! Sans aucun doute. Nous avons préparé la présidence longtemps en amont et nous avons beaucoup appris. Nous avons appris des choses dont nous ne soupçonnions pas l’existence … »

La découverte du monde maritime 

Quoi par exemple ?

Photo illustrative: Neil Gould,  FreeImages

« Il y a certains sujets sur lesquels, nous, Tchèques, ne sommes pas spécialement impliqués… Par exemple : on savait à quel point les négociations sur la pêche sont rudes. Nous connaissions certaines espèces de poisson, mais on n’imaginait qu’il y en ait autant en réalité ! Leur nom, ce à quoi ils ressemblent… la découverte du monde maritime était une bonne chose pour beaucoup d’entre nous ! »

Quand vous discutez de sujets comme celui de l’énergie par exemple, les Allemands ont certaines positions et les Français ne sont pas d’accord. Comment vous, en tant que représentante de la République tchèque, vous faîtes pour aller chercher des accords alors même qu’ils vous considèrent comme un « petit pays » ?

« Je ne devrais pas vous le dire, vous savez tout cela est secret. Et cela ne concerne pas que la France et l’Allemagne… Il y a 27 pays et à chaque fois le pays qui assure la présidence doit recenser la position de chaque Etat et chercher les combinaisons qui pourraient marcher en embarquant tout le monde. Des fois, cela prend des mois, voire des années. En temps de paix, nous sommes capables de chipoter sur des détails, mais en temps de crise, l’Union européenne fonctionne très bien : nous nous mettons d’accord rapidement, nous nous écoutons et nous cherchons les solutions acceptables par tous. »

Il ne faut laisser personne au bord de la route

Les Français, quand ils ont pris la présidence, voulaient imposer un leadership politique fort pour le Conseil. Comment se considère la République tchèque ? Plutôt leader ou manager ?

« On ne peut pas comparer la France avec la République tchèque ou la Suède. Nous travaillons en trio, c’est très important. Notre agenda, nous l’avons construit tous les trois, ensemble. Évidemment il faut en partie jouer les ‘managers’. Les Français l’étaient aussi. Mais il faut aussi être ‘politique’, quand des décisions importantes sont prises. Être un bon manager signifie que vous ne laissez personne sur le bord de la route, mais si vous avez le leadership politique c’est plus simple, car tout le monde veut être à bord avec vous. »

Photo: EU2022.cz

Alors, ce leadership, vous l’aviez ?

« C’est aux autres de dire, mais je pense que oui. »

Si on devait donner un exemple, sur quel sujet avez-vous su embarquer les autres ?

« Un bon exemple, serait ce qui s’est passé le 13 décembre dernier. Le Conseil a rendu ses conclusions sur l’élargissement de l’UE. Les négociations étaient compliquées mais on a travaillé pour avoir un texte solide. Sur le pacte migratoire nous avons été capables de débloquer, avec la France et les présidences à venir, une situation compliquée avec le Parlement européen. Il y a un bon équilibre entre la solidarité d’un côté et la responsabilité de l’autre. »

Photo: René Volfík,  iROZHLAS.cz

« Je pense que nous avons bien géré la crise des réfugiés ukrainiens. Nous avions des millions de réfugiés en quelques semaines dans nos pays, et nous avons été capables avec l’aide de l’UE de fournir des logements, l’école pour les enfants, une protection sociale, je pense qu’il y avait des moments importants pendant notre présidence. Nous avons montré que l’UE peut faire la différence. »

L’Ukraine… mais aussi l’environnement, le numérique et le libre-échange

Parmi les priorités publiées début juin, la Russie était omniprésente et citée dans chacun des sujets : énergie, pouvoir d’achat, sécurité, démocratie, numérique… Cette présidence était-elle en fait monothématique ?

Fit for 55

« Je ne dirais pas cela ainsi. Évidemment que la situation en Ukraine occupait une part importante. Mais d’un autre côté, nous n’avons pas arrêté de travailler sur les autres dossiers. On a fait énormément sur les dossiers environnement et numérique. Tous les dossiers liés au paquet ‘Fit for 55’ [12 propositions de la Commission européenne pour réduire les émissions de CO2] ont avancé, nous terminons beaucoup de trilogues avec le Parlement européen. Enfin, nous avons conclu un accord sur la taxe carbone aux frontières de l’UE. »

« Par ailleurs, les présidences précédentes n’ont pas pu avancer sur les accords de libre-échange, ni même en général dans les accords avec les États tiers. Nous venons de confirmer un accord politique avec le Chili, un accord avec la Nouvelle-Zélande et l’Australie est en bonne voie … C’est quelque chose qui n’est pas très visible, mais nous sommes allés de l’avant. »

L’élargissement de l’espace Schengen : une opportunité loupée

Des regrets pendant ces six derniers mois ?

Source: SchengenVisa

« Je n’ai pas forcément de regrets, mais l’élargissement de l’espace Schengen a été une opportunité loupée. Certes, il y a le succès qu’est l’intégration de la Croatie au 1er janvier [la Croatie est entrée également dans la zone euro à cette date, ndlr]. Je regrette toutefois que nous n’ayons pas pu débloquer l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’espace Schengen. La situation était compliquée et tous les compromis n’ont pas pu être trouvés dans un laps de temps aussi court. »

C’est la version diplomatique, ce sont deux pays qui bloquent, on le sait, l’Autriche et les Pays-Bas. Vous n’avez pas réussi à les convaincre ?

Photo: EU Civil Protection and Humanitarian Aid,  Flickr,  CC BY-NC-ND 2.0

« Il y avait des circonstances particulières. Nous étions proches d’un accord mais certains enjeux ont changé : le nombre de migrants arrivant par la route de Balkans était en hausse et pour certains pays, étant donné leur situation politique interne, c’était trop compliqué. Peut-être que si le projet revenait dans deux ou trois mois, la situation serait différente. »

mots clefs:
lancer la lecture

En relation