Béatrice Mohedano-Bréthes : « Ce n’est pas encore dans les mœurs tchèques d’aller voir un psy »
Béatrice Mohedano-Bréthes est psychologue clinicienne. Agée de 36 ans, elle a fait des études de psychologie en France et en Belgique. Depuis l’été 2002, Béatrice Mohedano-Bréthes vit en République tchèque, pays d’origine de sa mère. A Prague, elle donne des consultations aux adultes et aux enfants, en tchèque et en français, au sein du centre Psychotera, dans le quartier de Vršovice. Elle se consacre également au traitement du traumatisme chez les réfugiés et au travail avec les jeunes élevés en institution. Au micro de Radio Prague, Béatrice Mohedano-Bréthes a parlé de sa bi-culturalité ainsi que des problèmes qu’affrontent ses clients tchèques et français.
« En fait, au début, je ne m’en rendais pas trop compte que j’étais d’un milieu bilingue. Pour moi, c’était juste qu’avec papa, je parlais français et avec maman, je parlais tchèque. L’âge avançant, vers l’entrée à l’école, je me suis rendue compte que j’avais quand même quelque chose de spécial. J’ai commencé à m’en vanter à l’école en disant : ‘Moi, je suis Tchèque !’ Cela a fini par énerver certains de mes amis qui m’ont dit : ‘Eh bien, rentre chez toi !’ »
Vous avez alors grandi en France.
« Oui. On déménageait beaucoup. J’étais aussi pendant trois ans en Algérie. Mais principalement, nous étions en région parisienne. »
Votre mère, comment est-ce qu’elle s’est retrouvée en France ?
« Son amie était une correspondante de mon père. Quand l’amie est partie en France, maman est allée avec elle et voilà, ils se sont mis ensemble. »
Avoir une double culture est sans doute enrichissant. Mais quand même, est-ce que cette situation a aussi ses côtés problématiques ou carrément négatifs ?
« Non, je dirais que non. Je pense qu’au contraire, c’est un avantage. Par exemple à Noël, moi, j’avais les cadeaux le 24 au soir, alors que mes copains étaient obligés d’attendre jusqu’au 25. Non, je ne vois pas de côtés négatifs à être bi-culturelle. Au contraire, on comprend mieux même les autres cultures que les nôtres. On est plus préparé à comprendre, à s’adapter aux autres. »
Est-ce que vous vous occupez, tout de même, des difficultés liés au bilinguisme dans votre travail de psychologue ? Avez-vous des clients qui viennent vous consulter pour ce genre de problèmes ?
« Oui, j’en ai quelques-uns. Mais leurs problèmes ne sont pas vraiment liés au fait qu’ils sont bi-culturels. Le problème, c’est que ces enfants apprennent, dès petits, deux langues. Parfois, cela pose effectivement des problèmes. Certains d’entre eux vont par exemple commencer à bégayer. D’autres vont avoir des problèmes à communiquer avec des enfants de l’extérieur. C’est plutôt dans ce sens-là, dans l’apprentissage du langage qu’il y a un problème. »
Mais vous, vous n’aviez pas ce genre de problèmes...
« Non, pas du tout. (rires) Je pense que j’ai un accent français quand je parle en tchèque et je ne dis pas bien le ‘r’ en tchèque. Ma grand-mère voulait me l’apprendre, mais j’ai refusé. J’avais peur d’oublier le ‘r’ français. »
Pourquoi vous avez décidé d’aller vivre à Prague, une fois vos études terminées ?
« Ma mère s’est installée ici, suite au décès de mon père, donc je l’ai suivie. De toute façon, c’était mon rêve, que j’avais depuis toute petite, de venir vivre ici, de voir comment ça fonctionnait vraiment. Parce que j’avais une image très idéale de la République tchèque, l’image des vacances où vous ne faites absolument rien, juste vous vous amusez. Je voulais voir ce que c’était la réalité. »Aujourd’hui, vous vous sentez chez vous ici ou en France ?
« Ici, je suis chez moi. »
Existe-t-il des différences entre les études de psychologie en République tchèque et dans les pays francophones ? Ensuite, pour les jeunes diplômés qui veulent ouvrir un cabinet privé, ce sont plus ou moins les mêmes conditions partout ?
« Je dirais qu’il y a de petites différences. Moi, j’ai commencé mes études en France, j’ai fait le DEUG. La France est très axée sur la psychanalyse. Ensuite, je suis arrivée en Belgique où j’ai terminé mes études de psychologie. Là-bas, c’est très ouvert, vous avez la possibilité de choisir la psychologie que vous voulez : comportementale, psychanalytique, systémique... En plus, l’avantage même par rapport à la Tchéquie, c’est qu’en Belgique, il faut avoir un an d’expérience : vous partez de l’université et pendant un an, vous travaillez, tout en ayant un soutien universitaire, c’est-à-dire que vous avez des séminaires, vous pouvez poser des questions. Mais pendant une année, vous ne mettez pas les pieds à l’université. Puis, vous y retournez pour apprendre les dernières choses pour que l’on puisse vous laissez partir. Je pense que c’est très important parce que vous touchez à votre métier futur. Cela semble peut-être un peu tard d’y toucher à ce moment-là, mais au moins, vous savez si ça valait la peine de faire tout cela. Ici, en Tchéquie, la formation est énormément basée sur la théorie. Il existe très peu de stages, où alors vous devez les faire par vous-même. En Belgique, c’est très organisé, il y a des centres de stage où vous pouvez aller avec des références. Ici, chacun fait comme il peut. Ensuite, pour commencer à travailler, je ne peux pas comparer avec les autres pays, parce que j’ai commencé ici. Il n’était pas facile de trouver une place, parce que j’étais toute fraîche sortie de l’université. Mais une fois que vous y êtes, c’est assez simple. Ensuite, il faut trois ans d’expérience professionnelle pour obtenir l’autorisation d’ouvrir son cabinet personnel. »
Quelle est la proportion de vos clients tchèques et français ?
« Je ne travaille pas avec les assurances maladie tchèques, les gens sont obligés de me payer. Déjà, j’ai une certaine catégorie sociale de personnes. Il est vrai que les Français ont plus les moyens de payer que les Tchèques. Je dirais que la proportion est de 70% des Français et de 30% de Tchèques. Mais c’est principalement dû aux finances. »
Peut-on comparer leurs problèmes ? Sont-ils similaires ?
« Oui, très similaires. Moi, je ferais plutôt la séparation hommes-femmes. Les hommes qui viennent me consulter sont souvent stressés par le fait qu’ils doivent beaucoup travailler pour rapporter de l’argent à la maison, par le fait que les femmes ont certaines demandes par rapport aux hommes (réparer la plomberie et ce genre de choses, s’occuper des enfants). Ils sont sous pression et dépressifs car ils n’arrivent pas à répondre à toutes les attentes de leurs compagnes ou de la société. Les femmes, c’est plutôt dépression, problèmes de couple, problèmes avec les enfants. Les problèmes des femmes sont liés à la famille, ceux des hommes concernent la sphère professionnelle, la pression sociale et familiale. »Pour revenir aux Français et aux Tchèques : est-ce qu’ils ont la même approche envers la thérapie ? Abordent-ils leurs problèmes différemment ?
« Ce n’est pas qu’ils les abordent différemment. Les Français ont beaucoup plus d’expérience en ce qui concerne la thérapie. Ils savent ce qu’ils peuvent en attendre. Les Tchèques ont moins cette expérience. Ce n’est pas encore dans les mœurs d’aller voir son psychologue. Souvent, ils ont des attentes un peu magiques. Ils arrivent et ils veulent recevoir une recette : comment sortir de mon problème ? Sur ce point-là, je suis obligée d’être très claire pour dire que ma foi, je ne suis pas une magicienne et qu’il faudra travailler dur. Les Français sont plus préparés à travailler en thérapie que les Tchèques. »
Vos clients français, ont-ils des difficultés d’adaptation au milieu tchèque ?
« Oui, et ce sont surtout des femmes. Quand elles partent de France, elles se retouvent dans un milieu étranger, sans amis, la plupart du temps sans emploi, donc enfermées à la maison, devant d’occuper des enfants, n’ayant plus de possibilité de sortir avec des amis ou d’avoir des hobbies. Elles confondent ce manque de confort social et la République tchèque. Certaines femmes se mettent à détester la République tchèque. Mais ce n’est pas dû à un autre pays, c’est dû au fait qu’ici, elles ne se sentent pas à l’aise. Elles n’ont rien de ce qu’elles avaient avant. C’est vrai qu’il y a une communauté française qui se serre pas mal les coudes, qui organise des activités justement pour ces femmes-là, mais ce n’est pas forcément adapté à tout le monde. Certains enfants qui arrivent en République tchèque ont, eux aussi, des problèmes d’adaptation. C’est un milieu très restreint : le lycée français, certains amis français et ça s’arrête-là. »