« Bohuslav Sobotka n’apparaît pas comme le grand leader du gouvernement actuel »
D’orange en 2012, couleur du parti social-démocrate (ČSSD), la carte de la République tchèque est passée au bleu-violet, couleur du mouvement ANO, après les élections régionales qui se sont tenues vendredi et samedi derniers. Avec 21,05% des suffrages recueillis à l’échelle nationale, la formation dirigée par Andrej Babiš s’est imposée dans neuf des treize régions du pays ; un résultat identique à celui réalisé il y a quatre ans de cela par le ČSSD, son principal partenaire au sein de la coalition gouvernementale. Maître de conférences à l’Institut d’études politiques de l’Université Charles, le politologue Michel Perottino estime pour Radio Prague que les résultats de ces régionales ont répondu aux prévisions formulées avant le scrutin :
Comment expliqueriez-vous le succès d’ANO ? Et celui-ci, de par son ampleur, est-il surprenant ?
« Surprenant, d’une certaine manière oui, car ANO est un arrivant relativement nouveau sur la scène politique. D’un autre côté, ce parti, justement parce qu’il est au gouvernement et qu’il est nouveau, dispose d’une possibilité de changer la donne dans certaines régions. Par contre, il reste toujours une série de points d’interrogation, notamment quant à la capacité d’ANO à former une coalition dans chacune des neuf régions où le mouvement est arrivé en tête. Cela semble être le cas même si, par exemple dans la région de Hradec Králové (Bohême de l’Est), une coalition d’opposition à ANO est en train de se mettre en place. Sur le plan de son personnel, ANO sera-t-il en mesure de lever les interrogations relatives au parti depuis quelques années déjà ? ANO a-t-il la capacité de gouverner ? A-t-il le personnel pour cela ? Et a-t-il la stabilité nécessaire pour rester à la tête d’une coalition pendant quatre ans ? »
Le mouvement ANO est incarné d’abord par son leader, le milliardaire Andrej Babiš. On le présente souvent comme un personnage controversé, or les résultats des dernières élections depuis les législatives en 2013 (européennes en 2014 et municipales en 2015) semblent indiquer qu’il fait de plus en plus « l’unanimité » auprès des électeurs tchèques…
« Sur ce point, je pense d’abord qu’il convient de relativiser le résultat des élections régionales. Ce ne sont ‘que’ des régionales, c’est-à-dire des élections de deuxième ordre. On ne peut donc pas en tirer trop de logique sur le plan national. On ne vote pas de la même manière pour des régionales ou des nationales. La deuxième chose est que le taux d’abstention est relativement élevé, avec un taux de participation de 35%. C’est là une donnée qui relativise le résultat brut d’ANO. Enfin, le troisième élément est qu’ANO, par son caractère de parti neuf qui propose quelque chose d’autre que les anciens partis, dispose d’une meilleure position de départ notamment par rapport aux anciens partis dominants en droite, en particulier l’ODS (le parti civique démocrate), mais aussi par rapport à la social-démocratie qui, de fait, a été le parti dominant dans les régions ces dernières années. »
Justement, comment analysez-vous ce score décevant de la social-démocratie (15,25% des suffrages et victorieux seulement dans les régions de Bohême du Sud et de Vysočina) ? Les résultats du gouvernement, dont le ČSSD est la principale formation, sont pourtant relativement bons et ce gouvernement est épargné par les scandales depuis sa nomination en janvier 2014, chose plutôt rare en République tchèque avec les gouvernements précédents. Les résultats des élections européennes et municipales, et même des législatives en 2013 avec alors à peine plus de 20% des suffrages, avaient déjà été une déception pour le principal parti tchèque de gauche...« Il y a d’abord un tassement qui touche tous les partis établis depuis vingt à vingt-cinq ans. De ce point de vue-là, la social-démocratie n’est donc pas épargnée. Deuxièmement, quand vous regardez le fonctionnement de la coalition gouvernementale, celle-ci est effectivement dominée pratiquement par la social-démocratie, mais ce n’est pas une domination aussi marquante sur le plan notamment médiatique. Cela est lié notamment à la personnalité du Premier ministre Bohuslav Sobotka, qui n’apparaît pas comme le grand leader du gouvernement actuel. L’autre point très négatif pour le ČSSD au niveau de ces élections régionales, ce sont les affaires qui sont apparues notamment dans les régions d’Olomouc et de Brno (Moravie de l’Est et du Sud) avec Michal Hašek. Cette série de scandales plus ou moins importants a terni l’image de la social-démocratie et renforcé a contrario la position d’ANO. »Quelles pourraient être les conséquences de ces régionales pour le ČSSD dans l’optique des élections législatives dans un an ?
« D’ici-là, il y aura d’abord le congrès du parti qui permettra certainement de mettre un peu à plat certaines choses. Pas forcément pendant le congrès lui-même, mais plutôt pendant les débats qui le précéderont. Personnellement, je pense que la position de Bohuslav Sobotka au sein de son parti reste relativement forte. Selon moi, le résultat en tant que tel des régionales ne débouchera pas sur un bouleversement à la tête du parti, même si on parle de plus en plus de l’influence grandissante du président de la région de Bohême du Sud, Jiří Zimola. Il n’en reste pas moins que s’il s’agit d’une personnalité importante au niveau régional, il n’a pas la capacité de concurrencer ou de mettre à mal le leadership de Sobotka. Il y donc là aussi toute une série de points d’interrogation auxquels nous aurons les réponses progressivement et il faut attendre un peu pour voir quelle sera l’évolution au fil des mois à venir. »