B’Tselem : 25 ans de suivi des abus des droits de l’homme dans les territoires occupés

Le Prix Václav Havel, photo: Facebook de la Bibliothèque Václav Havel

En septembre dernier, le Prix Václav Havel, décerné par le Conseil de l’Europe pour la deuxième année consécutive, a mis à l’honneur le militant azerbaïdjanais des droits de l’homme, Anar Mammadli, fondateur en 2001, du Centre pour l’observation des élections et pour la démocratie. Incarcéré dans son pays, il ne pouvait pas se rendre à la conférence organisée en aval de la remise du prix par la Bibliothèque Václav Havel, où il était représenté par son père et un proche collaborateur. Les deux autres finalistes, l’ONG israélo-palestinienne B’Tselem, qui recense les violations des droits de l’homme dans les territoires occupés, et le Service jésuite aux réfugiés de Malte, étaient, eux, bien présents à la conférence intitulée « Les droits de l’homme : 25 ans plus tard ». Radio Prague vous propose le dernier des interviews réalisées avec tous les finalistes. Muhammad Sabah et Hagai El-Ad ont répondu à nos questions relative à B’Tselem et à la situation dans la bande de Gaza.

L’association israélo-palestinienne B’Tselem est active depuis vingt-cinq ans dans les territoires occupés et recense les abus des droits de l’homme dont les forces armées d’Israël sont les principaux responsables. Au micro de Radio Prague, Muhammad Sabah et Hagai El-Ad pour introduire B’Tselem :

« B’Tselem existe depuis vingt-cinq ans en tant que centre d’information pour les droits de l’homme dans les territoires occupés. Notre bureau est à Jérusalem, mais nos collaborateurs de terrain, comme c’est le cas de Muhammad, sont implantés en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et dans la bande de Gaza. Nous faisons du monitoring, recueillons témoignages, nous documentons, analysons et puis publions les résultats. »

Le recensement des violations des droits de l’homme par les forces de l’ordre israéliennes est une tâche délicate dans le contexte toujours aussi tendu. Si les rapports réguliers de B’Tselem sont discutés dans les médias, ils ne sont pas pour autant applaudis. The Jerusalem Post a même caractérisé B’Tselem comme une organisation de gauche radicale qui falsifie et déforme les données. Hagai El-Ad poursuit :

Photo: Facebook de la Bibliothèque Václav Havel
« Vous savez, parler des droits de l’homme n’est pas un concours de popularité et si c’était le cas, nous ne l’aurions probablement pas gagné. En même temps, si une organisation des droits de l’homme est populaire, cela peut être une raison de s’inquiéter. Malheureusement, nombreux sont des Israéliens qui perçoivent les Palestiniens comme ennemis et ne sont donc pas prêts à se battre pour le respect de leurs droits. Tandis que pour nous, cela fait partie de notre responsabilité morale. Le respect des droits de l’homme ne peut que profiter à nos deux communautés. »

B’Tselem a été fondée en février 1989 par un groupe d’avocats, journalistes et députés israéliens. Déjà en décembre de la même année, il a reçu le Carter-Menil Prix des droits de l’homme, accordé aux individus et organisations promotrices de ces droits. Outre les campagnes d’information publiques, B’Tselem informe régulièrement les députés de Knesset, le parlement israélien, sur les résultats de ses rapports. Pour les réaliser, l’organisation bénéficie d’un réseau de collaborateurs sur le terrain, dont Muhammad Sabah fait partie. Ce dernier évoque le contexte dans lequel se déroule son travail :

« Cela fait neuf ans que je travaille pour B’Tselem. Mon travail consiste à documenter les violations des droits de l’homme dans la bande de Gaza et je suis également les implications du blocage imposé par Israël sur ce territoire. Ce blocage empêche la satisfaction des besoins de base des habitants. Dans les derniers sept ans, il y avait trois opérations militaires réalisées par Israël à Gaza avec plus de 3 000 victimes et des dégâts matériaux considérables. Les gens n’ont pas accès à l’eau et à l’électricité, ils n’ont pas de possibilité de trouver du travail et souhaitent la fin de ce blocage et la résolution de ces problèmes. »

Quant aux perspectives pour l’avenir proche, Muhammad Sabah a été plutôt pessimiste.

Muhammad Sabah,  photo: Facebook de la Bibliothèque Václav Havel
« Beaucoup de gens n’ont plus d’espoir car cela fait longtemps que les conditions ne s’améliorent pas pour les Palestiniens. Pour cette raison, l’émigration de la bande de Gaza vers d’autres territoires est très importante. Le fait que des milliers de gens n’ont toujours pas où se loger après l’offensive militaire de cet été accentue ce désespoir. De nombreuses familles restent dans les refuges et dans les écoles. »

De plus, s’il est difficile de rester dans la bande de Gaza, il est aussi difficile de la quitter. Muhammad Sabah a lui-même été bloqué pendant trois jours sur place avant de pouvoir partir de Gaza à Strasbourg et à Prague.

L’essentiel du travail de B’Tselem tourne autour de la collecte de données et de la publication des rapports. Sur son site internet, l’association s’exprime également au sujet des derniers événements. Parmi les entrées les plus récentes, nous trouvons par exemple l’expression des condoléances aux familles des blessés, victimes d’une attaque de voiture du 5 novembre 2014. Dans le même commentaire, B’Tselem a mis en alerte contre le ton belliqueux de la réaction officielle du ministre pour la Sécurité publique israélien qui a déclaré qu’ « un terroriste qui blesse des civiles devrait être tué ». B’Tselem dénonce ainsi un appel à l’exécution sans jugement venant de l’autorité officielle.

Quant à la couverture médiatique de la situation en Palestine, elle fait souvent l’objet de critiques pour être biaisée et partiale. Néanmoins, selon Hagai El-Ad, il faut différencier entre trois courants :

Hagai El-Ad,  photo: Facebook de la Bibliothèque Václav Havel
« Je pense qu’il y a essentiellement trois courants différents. Le premier, c’est la couverture médiatique en Israël. Elle est focalisée sur la souffrance du peuple israélien et sur les victimes civiles des roquettes envoyées sur son territoire. On peut s’attendre à ce que les médias informent de ces cas. Néanmoins, il est regrettable qu’ils ignorent presque complètement de ce qui se passe à Gaza. Les médias internationaux, c’est une tout autre histoire. Je ne peux pas juger si leur couverture était particulièrement équilibrée mais à la différence du passé, depuis récemment, les chaînes et journaux internationaux ont leurs correspondants à Gaza. Ils sont capables de faire leurs propres reportages. Le troisième élément, ce sont les réseaux sociaux. Il est nouveau que les gens de partout dans le monde avaient l’occasion de découvrir des histoires personnelles des habitants du Gaza. B’Tselem a fait également l’usage de ses réseaux sociaux pour traduire en anglais et publier ces témoignages. »

Les rapports de B’Tselem constituent depuis 25 ans une source d’information précieuse car accessible également en anglais. Parmi les articles les plus récents du B’Tselem se trouve celui sur le nombre croissant de Palestiniens en détention administrative. Ce nombre a triplé au cours de la dernière année de sorte que cette incarcération sans jugement, destinée à prévenir un acte criminel plutôt que de punir un qui aurait déjà été commis, concerne 470 personnes, selon les chiffres officiels du Service israélien des prisons (IPS). Voici un exemple du type d’information que met l’association B’Tselem à la disposition de tous les intéressés anglophones, arabes et hébreux.

Le Prix Václav Havel,  photo: Facebook de la Bibliothèque Václav Havel
Du fait de leur activité quotidienne qui s’étale sur plusieurs dizaines d’années, les membres de l’organisation bénéficient d’un aperçu sur la situation dans la bande de Gaza et non seulement. Le dernier rapport du B’Tselem porte sur les « Murs invisibles de l’occupation ». Publié en octobre 2014, il explore un quartier à Ramallah, coupé de son entourage par des restrictions à la liberté de mouvement. Sur près de soixante-dix pages, le rapport décrit les conditions de vie des habitants de ce quartier résultant du contrôle militaire israélien, qui a duré quarante-sept ans. Lorsque interrogé sur sa vision d’une résolution idéale à l’avenir, Hagai El-Ad se montre prudent et conclut :

« Nous sommes l’organisation des droits de l’homme et non pas un parti politique et donc une définition spécifique de la solution dépasse notre mandat. Néanmoins, ce que nous demandons, c’est le respect immédiat des droits de l’homme. Ce qui est frustrant, c’est que le processus de paix ne semble pas aboutir à l’avenir proche. Ainsi, la situation caractérisée par les abus des droits de l’homme est susceptible de durer. Nous adhérerions aux différents scénarios de solution politique à condition qu’ils incluent le respect des droits des Palestiniens et des Israéliens. »