Centenaire de la disparition de Gustav Mahler
Retour, dans cette page d’histoire, sur le centenaire de la mort de Gustav Mahler que nous venons de commémorer le 18 mai. Plusieurs événements échelonnés sur toute l’année rendront hommage à ce chef d’orchestre et compositeur de génie, contemporain et ami de Richard Strauss, Gustav Klimt ou Franz Kafka. Radio Prague s’est rendue à Jihlava pour y visiter la maison où le compositeur a vécu pendant quinze ans et qui est aménagé en musée dédié à la famille de Gustav Mahler, sa femme Alma, ses parents, ainsi qu’à ses proches et amis.
Gustav Mahler est né le 7 juillet 1860 à Kaliště, aux environs de Jihlava, une ville du Plateau tchéco-morave. En octobre 1860, la famille avec le nouveau-né s’installe à Jihlava, dans la maison située au numéro 4 de l’actuelle rue Znojemská, au bas de la place centrale, raconte l’historien d’art et guide au musée Mahler à Jihlava, Jakub Koumar :
« C’est dans cette maison et dans la maison adjacente que Gustav Mahler a passé quinze ans de sa vie. Les origines de la maison remontent au XVIe siècle, néanmoins, c’est au cours d’un remaniement réalisé au début du XIXe siècle dans le style du classicisme que le bâtiment a été surélevé d’un étage et orné d’une façade intéressante. Dans le cadre des célébrations du 100e anniversaire de la naissance de Gustav Mahler, en 1960, une plaque commémorative réalisée par le sculpteur Milan Knobloch a été inaugurée sur la façade de la maison. »
Le processus d’émancipation des Juifs entamé en 1848 permet à la communauté juive de Bohême et de Moravie d’obtenir la pleine égalité de leurs droits, donc aussi le droit d’habiter dans les villes et d’ouvrir un commerce. Cela change complètement la vie des parents de Gustav Mahler, ainsi que le raconte Jakub Koumar :
« Bernard Mahler en profite, et deux mois après la naissance de son fils Gustav il déménage à Jihlava, dans cette même maison appelée en mémoire de la famille, la Maison Mahler. Il installe une distillerie de vins dans l’aile donnant dans la cour et un débit d’alcool au rez-de-chaussée. Les parents de Gustav Mahler, c’était comme le feu et l’eau comme le disait le compositeur lui-même : le père était un homme ambitieux, énergique et assertif, la mère, Marie Herrmannová, une femme maladive et sensible qui souffrait de dépression, après la mort de huit des quatorze enfants du couple. Pour toutes ces raisons, la vie a été assez traumatisante pour Gustav Mahler, du moins pendant son enfance. »
Le talent musical de Gustav Mahler se manifeste très tôt : dès l’âge de 4 ans, il joue de l’accordéon et du piano et à 10 ans il donne son premier concert public. A Jihlava, le jeune Gustav fréquente l’école primaire et le lycée allemand. En 1875, il part étudier au conservatoire de Vienne et fait simultanément des études de philosophie. Après cela, il ne retourne que sporadiquement à Jihlava, pour la dernière fois en 1889. Les quinze années passées dans cette ville auront toutefois une influence décisive sur le reste de la vie de l’artiste, souligne notre guide :« Jihlava a beaucoup influencé Gustav Mahler. Jihlava – Iglau, était un petit îlot allemand dans le milieu tchèque, à mi-chemin entre Prague et Vienne. Une importante communauté juive y était implantée. Ainsi, au débit d’alcool de son père, le petit Gustav entendait des chansons juives. Comme Jihlava était une ville de garnison, la musique militaire a également influé sur sa création, ainsi que la chanson populaire tchèque dont l’inspiration se fait entendre notamment dans la Première symphonie ainsi que dans ses autres opus, sans oublier la musique liturgique et la musique religieuse juive. En dépit de ses origines juives, Gustav Mahler ne se rendait pas souvent à la synagogue. Attiré par la thématique chrétienne, il aimait aller à l’église Saint-Jacques. »
La synagogue n’existe plus, aujourd’hui, à Jihlava. A son emplacement, un parc avec une statue de Gustav Mahler a été inauguré en 2010, en l’honneur du 150e anniversaire de la naissance du compositeur. La vie à Jihlava telle qu’elle se présentait aux temps de la jeunesse de Gustav Mahler nous est rapprochée par une exposition thématique au musée Mahler dans lequel Jakub Koumar nous sert de guide :« Trois cultures se rencontrent à Jihlava dans la deuxième moitié du XIXe siècle : allemande, juive et tchèque. Auparavant, la culture allemande prédominait, Jihlava était complètement allemande, néanmoins, après 1848, la culture tchèque s’est imposée, avec le mouvement du Réveil national. Face à cette réalité, Gustav Mahler se sent trois fois apatride, comme il le disait : en tant que Tchèque parmi les Autrichiens, en tant qu’Autrichien parmi les Allemands et en tant que Juif dans le monde entier qui n’est bienvenu nulle part. »
Fixé à Vienne, Gustav Mahler accepte pourtant des offres de venir travailler dans des villes tchèques et moraves. Ainsi, en 1883, il dirige l’orchestre du théâtre municipal d’Olomouc. En 1885, il obtient, à Prague, le poste de chef d’orchestre du théâtre allemand. En 1888, il retourne encore à Prague mais pour un court séjour seulement. La première exécution de sa Septième symphonie à Prague donne lieu à une rencontre de ses admirateurs et amis parmi lesquels des intendants des premières scènes européennes, des chefs d’orchestre et des écrivains praguois de langue allemande Max Brod et Franz Kafka.Une exposition au troisième étage de la maison Mahler à Jihlava est intitulée Gustav et Alma :
« Alma Mahler, née Schindler, muse et femme fatale, a attiré dans son orbite de nombreux grands artistes. Ainsi, le peintre expressionniste autrichien, Oskar Kokoschka, figure parmi ceux qui souhaitaient l’épouser. Or c’est Gustav Mahler qui a fini par l’épouser, en 1902. Alma aime la musique et elle est très déçue lorsque son mari l’interdit de composer. Leur mariage est heureux et malheureux à la fois, mais les deux époux se soutiennent réciproquement au cours de leur vie ce qui n’est toujours pas facile, d’autant que Gustav Mahler était rempli de contradictions, son âme était partagée entre l’esprit lumineux, la mélancolie et le désespoir suicidaire. Après la mort de leur fille, à l’âge de 5 ans, la crise est inévitable et Alma vit une aventure avec Walter Gropius. »Walter Gropius est un architecte, designer et urbaniste allemand naturalisé américain, et fondateur du Bauhaus, mouvement clé de l’art européen de l’entre-deux-guerres. En 1915, il épouse la veuve de Gustav Mahler, Alma.
En 1907, après une carrière à Leipzig et à Vienne, Gustav Mahler part à New York pour rester pendant plusieurs saisons le directeur musical du Metropolitan Opera de New York. En dépit de ses succès, l’artiste ne s’adapte pas entièrement au milieu américain et est nostalgique. « Mon temps viendra, » disait-il face aux difficultés qu’il rencontrait pour faire accepter ses œuvres. Il faudra un demi-siècle, pour que le public mondial accepte le message de ce compositeur novateur :
« Mahler est contraint de quitter Vienne pour des raisons politiques. Pour pouvoir être admis comme directeur de l’Opéra de la Cour de Vienne, il doit se convertir au christianisme. Il faut dire qu’il le fait de son plein gré, le christianisme l’attire plus que le judaïsme. Il n’empêche qu’en fin de compte, la conversion n’a aucun sens car les origines juives de Gustav Mahler s’avèrent être un obstacle insurmontable et il doit quitter Vienne. A New York où il s’installe, son état de santé se dégrade rapidement et il meurt, peu de temps après, en 1911. » Transporté, malade, en Europe et hospitalisé à l’institut Pasteur à Paris, Gustav Mahler meurt à Vienne, le 18 mai 1911, à l’âge de 51 ans. Son ex-épouse Alma ne cessera de promouvoir son œuvre et de veiller sur son héritage. Après son divorce avec Walter Gropius, Alma épouse un autre artiste, Franz Werfel, romancier et dramaturge praguois de langue allemande proche de Franz Kafka ou de Max Brod, des figures de proue de la culture judéo-allemande de Prague. Et c’est à ces personnalités qu’une partie de l’exposition au musée Mahler est consacrée. On y trouve aussi le nom de Josef Hoffmann, architecte né à Brtnice près de Jihlava. Josef Hoffmann a créé la pierre tombale de son ami, Gustav Mahler. La tombe se trouve au cimetière de Grinzing, près de Vienne. Sur la pierre, il n’y a pas d’inscription, sauf le nom du compositeur, ce qui était son souhait : « Ceux qui me cherchent savent qui j’étais et les autres ne doivent pas savoir. » Les parents de Gustav Mahler sont inhumés au cimetière juif de Jihlava où ce génie de la musique classique a passé son enfance qui l’a influencée pour le reste de sa vie.