Ces banalités qui trahissent les secrets de nos vies

'Les animaux blancs sont souvent sourds', photo: Host

Parmi les livres nominés cette année pour le prix Magnesia Litera il y avait aussi un recueil de nouvelles au titre bizarre, Bílá zvířata jsou velmi často hluchá (Les animaux blancs sont souvent sourds), sorti aux éditions Host. Ce n’est que le deuxième ouvrage publié par l’écrivaine et journaliste Ivana Myšková (*1981) qui a su, dès le début, attirer l’attention des lecteurs et de la critique par son talent à dénicher sous les banalités les aspects profonds de l’existence.

Une forêt de sensations inavouables

Ivana Myšková,  photo: ČT
Le dénominateur commun des héros des nouvelles d’Ivana Myšková est une sorte d’incertitude intérieure qui ressemble à de la honte. Ils ressentent un certain malaise face à leur vie, à leurs idées et leurs comportements et souvent, ils portent sur eux-mêmes des jugements sévères. Ils n’arrivent pas à se pardonner d’être tels qu’ils sont. Ivana Myšková dévoile dans ses récits toute une forêt de sensations inavouables et parfois douloureuses, de petits péchés, de craintes absurdes et de reproches intérieurs que nous cachons sous un comportement que nous considérons comme normal. Cette vie cachée surgit parfois par de petits signes qui semblent être sans importance mais qui trahissent un inquiétant désordre intérieur. Ivana Myšková épie ces petits signes :

« C’est ce qui m’intéresse. Les banalités confrontées aux choses essentielles. Les contrastes. Les gens qui sont merveilleusement généreux, affectueux, nobles et en même temps tout à fait minables, primitifs, égoïstes, méchants. La nature ambivalente de l’homme est probablement le thème majeur de ma vie. (...) La vie est plus bizarre que mes contes. »

Les pièges que nous tendons à nous-mêmes

Les héros et les héroïnes des nouvelles d’Ivana Myšková vivent souvent comme dans une prison intérieure et tombent dans des pièges qu’ils se tendent à eux-mêmes. Tel est le cas d’Alena, personnage principal du conte intitulé La senteur du foyer, qui n’arrive pas à résister à l’égoïsme de son mari cherchant à se débarrasser du vieux chien malade qui a été jadis le chouchou de la famille. Cette incapacité à résister à sa faiblesse intérieure ou à l’influence des autres, cette tendance à l’auto-accusation et à la soumission se manifestent aussi chez d’autres personnages de ces nouvelles.

La femme qui est le personnage principal du conte Le danger des voies d’accès finit par chercher des excuses à l’homme qui l’a violé. Par contre Soňa, personnage du conte Le rideau, qui se montre nue à la fenêtre de son appartement et provoque par sa nudité la chute mortelle d’un homme qui lave les carreaux de la maison d’en face, ressent l’horreur de cette situation mais aussi quelque chose comme une satisfaction inavouable, comme la preuve de sa séduction féminine. C’est le processus douloureux entre ce qui est inavouable et l’aveu, le cheminement vers la confession sous diverses formes, qui est un des grands thèmes de ce livre. L’auteure est convaincue qu’il faut parler de ces choses-là :

« Combien de temps passons-nous à parler des choses pragmatiques qu’il est inutile d’analyser d’une façon aussi détaillée ? Mais nous ne parlons pas de certaines situations que nous vivons et ce mutisme nuit à notre santé. Ce qui reste inexprimé est un des thèmes du conte principal de mon recueil. Ce conte devait avoir pour sous-titre ‘Pourquoi vous taisez-vous tellement et parlons-nous tellement ?’ »

Le silence des hommes et la volubilité des femmes

'Les animaux blancs sont souvent sourds',  photo: Host
Un des thèmes du conte est donc aussi le déséquilibre dans la communication entre hommes et femmes, la différence entre les quantités de mots que nous nous disons les uns aux autres, le laconisme des hommes qui fait contraste avec la volubilité des femmes. Et Ivana Myšková constate que ce mutisme des hommes a peut-être quelque chose de séduisant mais que ce manque de volonté de partager les émotions laisse un vide dans nos relations. Elle n’arrive pas à se faire au manque de sensibilité et d’empathie, à l’indifférence et à la déshumanisation qui se manifeste entre autres dans nos réactions à la vague migratoire. Elle se considère comme une sorte de scribe, de copiste qui décrit de menues situation réelles ce qui se traduit aussi dans sa méthode caractérisée par un long mûrissement. Elle retient un motif, une situation, une phrase, elle le note parfois et puis elle réfléchit longtemps :

« Mes textes sont donc basés sur la réalité mais ensuite j’y ajoute de la fiction ou bien je compose plusieurs motifs différents qui ont quelque chose en commun. Et ensuite, souvent avant de m’endormir, il me vient à l’idée un simple sujet. Quand je réfléchis au comportement d’un de mes personnages, les motifs commencent à se relier. Mais cela prend beaucoup de temps. Entre la première apparition du motif et la rédaction d’un conte peut s’écouler une période de cinq ans. »

Une secousse salutaire

'Les animaux blancs sont souvent sourds',  photo: Host
Les personnages des contes d’Ivana Myšková n’arrivent en général pas à sortir de leurs prisons intérieures, à faire tomber leurs illusions, à abattre les barrières qui obstruent leur vision de la vie. Dans la nouvelle Les animaux blancs sont souvent sourds qui a donné le titre à son livre, l’auteure a quand même choisi un ton plus optimiste. Elle décrit une relation compliquée entre une fille adulte et son père avare de mots. Ces deux êtres qui s’aiment et n’arrivent pas à l’exprimer, finissent par se parler et se comprendre grâce à une secousse salutaire dans leur vie. Le conte principal du recueil révèle donc la force des lueurs d’espoir qui dorment sans doute dans chacun de nous.

Ivana Myšková se dit consciente des limites de sa méthode et de son talent. Elle discute fréquemment de son travail avec son mari dont la pensée est, comme elle dit, logique et rationnelle, et dont les questions suggestives l’amènent souvent à donner forme à son texte :

« Je suis une piètre narratrice d’histoires, dans la vie réelle c’est une catastrophe. Mais en écrivant je peux jouer avec les motifs et les mots. Je ne fabrique pas des histoires et je ne le ferai jamais. Ce qui m’importe, c’est le thème. Je dois donc faire des efforts mais cela en vaut la peine. »

L’écriture est mon foyer

Observatrice subtile des banalités qui trahissent les tensions profondes de la vie, Ivana Myšková n’est donc pas une écrivaine qui peut plaire à tout le monde. Mais le résultat de son travail apporte à ceux qui aiment réfléchir sur la nature humaine, un regard étonnant sur les recoins secrets de l’âme. Et l’écriture apporte une satisfaction aussi à Ivana Myšková, même si, habituellement, c’est pour elle une activité très difficile :

« Les situations où je peux écrire jour et nuit sont très rares. Quand on parvient à ce genre d’excitation, c’est comme une fête. Je ne suis pas ce type d’écrivain, cette sorte de geyser qui n’arrête pas de jaillir, je dois beaucoup remanier mes textes. L’écriture est quelque chose comme mon foyer où je peux être moi-même et où je peux donner une information sur le monde. Et je peux aussi faire plaisir aux gens ce qui est très important pour moi. »