Comment ne pas surfer sur les vagues populistes ?

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Un état d’esprit ségrégationniste prédomine-t-il en République tchèque ? Compte tenu de la position plutôt réticente des autorités à l’égard des immigrés, et à la lumière des récents propos du président Miloš Zeman, qui s’est dit opposé à l’intégration des enfants souffrant d’un handicap dans les écoles fréquentées par des élèves non handicapés, la question a été soulevée dans plusieurs textes que nous avons retenus pour cette revue de presse. Un peu plus de deux semaines après le massacre à Paris, les éditorialistes tchèques constatent que celui-ci a animé le débat sur nombre de questions auxquelles il est difficile de donner des réponses. Enfin, la presse de ces derniers jours a informé également de la publication en France d’un ouvrage consacré au deuxième président tchécoslovaque, Edvard Beneš.

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« La vague actuelle de lâcheté, de xénophobie et d’hypocrisie (mauvaise foi) qui constitue le courant principal de la pensée politique tchèque face à la vague de réfugiés qui déferle sur l’Europe et aux attaques terroristes en France, rappelle, hélas, dans une certaine mesure, l’atmosphère de la société tchèque après Munich 1938, donc avant l’instauration de la Deuxième République. » Dans un commentaire publié sur le site aktualne.cz, c’est ce qu’écrit Jiří Pehe, politologue et journaliste, qui explique qu’à cette époque-là, à la fin des années 1930, la société tchèque, confrontée au nazisme allemand, s’est retrouvée atteinte de ce qu’il appelle « la bave du fascisme tchèque ». Jiří Pehe poursuit :

« Dans chaque société démocratique se trouvent bien entendu des fascistes latents. Cependant, ce qui distingue les sociétés démocratiques, c’est le courage des politiciens au pouvoir et de la société civique, leur faculté à faire front à de telles tendances. Actuellement, on ne trouve en Tchéquie que quelques hommes politiques qui refusent la rage ‘fascisante’ qui conduit à faire l’amalgame entre l’Islam, les islamistes et le terrorisme. »

Jiří Pehe constate que ces tendances ont pour dénomination commune la ségrégation, à l’opposé donc de l’intégration. Selon lui, les hommes politiques « corrects » sont maintenant appelés à expliquer patiemment le bien-fondé et les paramètres des problèmes actuels, et non pas, au contraire, à surfer sur la vague des radotages populistes. Jiří Pehe conclut :

« En se taisant ou en adoptant des mesures d’accueil plus strictes à l’égard des étrangers qui voudraient s’installer en République tchèque, les politiciens pensent peut-être pouvoir protéger leur nation. En réalité, ils ne font qu’accentuer les tendances à la xénophobie, au provincialisme et à l’absence de solidarité au sein de la société. Le tout non seulement à l’égard des réfugiés, mais aussi des pays de l’Union européenne qui portent le fardeau de la solidarité avec les réfugiés ».

Si Jiří Pehe rappelle la Deuxième République, qui constitue pour lui une période sombre de l’histoire tchèque, c’est parce que elle a été étayée par la lâcheté et le manque de perspicacité des politiciens représentant le principal courant démocratique. Toujours selon lui, cette situation s’est d’ailleurs partiellement reproduite dix ans plus tard, lors du putch communiste de 1948.

Les experts disent non à la ségrégation des enfants handicapés

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Le président de la République a exprimé l’avis selon lequel les enfants handicapés devraient être scolarisés dans des classes et des établissements différents de ceux fréquentés par les enfants non handicapés, autrement dit dans des écoles dites pratiques et spéciales. Miloš Zeman estime que ces enfants handicapés se sentent mieux au milieu des « leurs ». Ces propos ont bien entendu valu au chef de l’Etat une pluie de critiques. Par exemple, dans les pages du quotidien Právo, le psychologue pour enfants Miroslav Hudec écrit qu’un tel modèle d’éducation signifierait un retour en arrière. Nous citons :

« Si, à l’époque de sa création, il y a une centaine d’années de cela, une scolarisation spéciale constituait un pas en avant et une importante démarche humaine, cela n’est plus le cas. Aujourd’hui, il s’agit non seulement de transmettre aux enfants des connaissances, mais aussi de leur apprendre à vivre ensemble, en dépit des différences, et à aider ceux qui sont plus faibles et vulnérables. Plus un groupe ou une classe sont variés, plus les expériences qu’un enfant peut acquérir sont précieuses... En n’intégrant pas les enfants handicapés, nous irions à contre-courant des tendances actuelles dans le monde développé. »

Plusieurs experts ont également été interrogés dans une enquête lancée à cette occasion par l’hebdomadaire Respekt. Pour Petra Skalická, chargée de programmes éducationnels, l’existence encore aujourd’hui dans le pays d’une éducation sélective est un résidu de l’époque totalitaire. Elle précise :

« Au lieu de l’apprécier et de la considérer comme une source d’enrichissement, nous avons peur de la différence. Nous avons peur de l’inconnu et ne savons pas admettre que le monde autour de nous, tout comme la société, subit des transformations. Les écoles, les pédagogues et le système d’éducation n’y sont pas préparés non plus... Dans des pays possédant une démocratie développée, une éducation en commun est une évidence. Néanmoins, je me réjouis du fait que la déclaration du président Zeman ait suscité autant de réactions critiques et que, pour beaucoup de gens, la ségrégation soit inadmissible. ».

Président du Conseil national des personnes handicapées, Václav Krasa estime lui aussi que la majorité des experts en la matière ne partagent pas l’avis exprimé par le président Zeman :

« Le regard du président est un regard non initié qui traduit les mentalités du passé. Sous l’ancien régime, l’Etat ne soutenait pas la scolarisation des élèves handicapés avec les non handicapés. Seuls les parents courageux et déterminés parvenaient à faire en sorte que leurs enfants soient intégrés au système d’enseignement standard. »

Les spécialistes interrogés dans cette enquête s’accordent pour dire que les propos volontairement provocateurs du président de la République sont à contre-courant des efforts d’intégration qui ont été entrepris, malgré tout, dans le domaine de l’éducation.

Beaucoup de questions, peu de réponses

Photo: Commission européenne
Dans une récente édition du quotidien Právo, le politologue Lukáš Jelínek constate que, quelques jours après le massacre à Paris, la vie a repris son cours. Or, les polémiques relatives à la politique d’immigration, au multiculturalisme ou au terrorisme international ont repris la forme d’une lutte traditionnelle entre les différents courants et partis politiques, d’exhibitions intellectuelles ou d’attaques venimeuses sur les réseaux sociaux. Tout ceci traduit la difficulté à trouver un consensus européen sur de nombreuses questions de taille que les récents événements ont mis à jour, notamment concernant l’attitude é adopter à l’égard des réfugiés. Lukáš Jelínek formule ces questions comme suit :

« Faut-il ouvrir les bras aux personnes qui, au péril de leur vie, fuient des régimes obscurantistes, ou bien faut-il les redouter en les considérant comme une possible source de contamination avec des valeurs d’autres cultes ? Ou encore, doit-on procéder à une sélection de ces gens comme s’il s’agissait de bonbons dans une bonbonnière ? Est-il préférable de miser sur le côté humanitaire ou la protection de la sécurité ? Se couper du reste du monde ou cultiver les conditions de vie dans les régions concernées, et dans ce cas, quels moyens investir à cette fin ? Autant de questions parmi beaucoup d’autres auxquelles il est aujourd’hui difficile de trouver des réponses. »

Toujours dans le journal Právo, l’analyste sécuritaire Miloš Balabán a publié un texte dans lequel il émet l’hypothèse selon laquelle, nous citons, « 70 ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le destin de l’Europe est en jeu. »

Une biographie consacrée à Edvard Beneš est sortie en France

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« Edvard Beneš, de la gloire à l’abîme - Un drame entre Hitler et Staline » : tel est le titre d’un ouvrage consacré au deuxième président tchécoslovaque, Evard Beneš, qui vient de paraître en France aux Editions Perrin. Dans le quotidien Lidové noviny de mardi, Petr Zídek note à ce sujet :

« Il peut paraître paradoxal qu’Edvard Beneš, l’homme politique tchèque le plus francophile du XXe siècle, soit aujourd’hui une figure entièrement oubliée en France. Cette nouvelle biographie sortie de la plume de l’historien Antoine Marès pourrait toutefois changer les choses. L’auteur, professeur à la Sorbonne et spécialiste de l’Europe centrale, couronne ainsi un intérêt long de plus de quarante ans pour Beneš. En effet, le thème de la dissertation qu’il a défendue en 1975 était déjà consacrée au séjour d’Edvard Beneš en France dans les années 1915-1919. »

Petr Zídek remarque que, après les ouvrages des auteurs tchèques Zbyněk Zeman et Jindřich Dejmek, le livre d’Antoine Marès n’est que la troisième biographie moderne consacrée à Edvard Beneš. Situé dans des contextes connus en France, cette dernière est destinée en priorité à un lectorat français. Sa traduction en tchèque n’est donc pas prévue pour l’instant.