Convention d’Istanbul : pourquoi sa ratification traîne-t-elle tant en République tchèque ?
En 2016, la République tchèque signait la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes, un traité international mieux connu sous le nom de Convention d’Istanbul. Sept ans plus tard, elle figure cependant toujours parmi les six pays membres de l’Union européenne qui n’ont pas ratifié le texte. En mars dernier encore, quatre ministères ont exprimé leur souhait de reporter la procédure.
La Convention d’Istanbul vise à défendre les femmes contre la violence grâce à quatre piliers clés que sont la prévention, la protection, les poursuites et les politiques coordonnées. Les pays signataires s’engagent ainsi non seulement à adopter des mesures contre les violences, mais aussi à allouer des fonds à la fois pour aider les victimes et former médecins, police et juges.
Si, depuis son adoption en 2011, la très grande majorité des États siégeant au Conseil de l’Europe l’ont signé, seule sa ratification permet au texte d’entrer en vigueur dans les États signataires. Un acte juridique auquel se refusent pour l’heure toujours six pays membres de l’UE, et ce bien que, fin 2022 encore, le Parlement européen ait exhorté leurs gouvernements à opérer sans délai. Outre la République tchèque, il s’agit de la Bulgarie, de la Hongrie, de la Lettonie, de la Lituanie et de la Slovaquie.
Hana Stelzerová est la directrice de Czech Women´s Lobby (‘Česká ženská lobby‘), une organisation qui regroupe 37 associations de défense des droits des femmes en République tchèque. Régulièrement appelée à intervenir dans les débats parlementaires tant au niveau tchèque qu’européen, elle avance quelques raisons pouvant expliquer la non-ratification de la Convention par la République tchèque. À l’entendre, cependant, la principale d’entre elles semble être la totale méconnaissance du sujet ou le détournement de son sens original :
« Il s’est passé tellement de choses depuis 2016... Il y a d’abord eu une vague migratoire qui a été reliée à la Convention d’Istanbul. Le discours était que si nous ratifions le document, il y aurait plus de migrants, et cela a suscité une certaine peur. Le fait que cette Convention soutienne les ONG qui aident les femmes victimes de violence a également posé problème avec un discours anti-ONG en toile de fond. Puis, il y a un mouvement sur la question du genre qui se positionnait contre l’égalité entre les hommes et les femmes mais aussi contre les personnes LGBTQIA+ et valorisait l’idée des familles dites ‘traditionnelles’. Toutes ces questions ont été intégrées au débat alors que la Convention vise uniquement à aider et à résoudre le problème des violences faites aux femmes dans la société. »
À la fin du mois de mars, les ministères de l’Agriculture, de l’Environnement, du Travail et des Affaires sociales et de la Culture ont conjointement demandé un délai d’un an pour discuter de la mise en œuvre de la Convention dans le contexte tchèque. Trois de ces quatre ministères sont dirigés par des membres du Parti démocrate-chrétien (KDU-ČSL) et, selon eux, davantage de temps est nécessaire pour parvenir à un consensus politique au sujet d’un texte qui concerne aussi les Églises et les groupes religieux. Des justifications qu’Hana Stelzerová peine à comprendre :
« Notre société est laïque et nous pensons que ces arguments ne concernent pas la majorité de la société. Il ne s’agit que d’une petite partie qui, très souvent, ne sait rien de la réalité de la Convention. De plus, au sein de l’Église catholique, les violences faites aux femmes ou les agressions sexuelles restent un tabou. Je pense donc que ce n’est pas une raison valable pour reporter la ratification. Il ne s’agit de rien d’autre que d’une demande de certains politiciens conservateurs qui s’opposent activement à la ratification. »
Résistance à l’Est
Le 23 janvier dernier, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies (CDH) examinait l’état des droits de l’homme en Tchéquie. Une occasion que certains de ses membres, parmi lesquels la France, ont saisie, entre autres, pour appeler la République tchèque à élargir sa définition du viol et à ratifier la Convention d’Istanbul.
Douze ans après sa signature par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, près de neuf ans après son entrée en vigueur ou encore six ans après sa signature au nom de l’UE par la commissaire européenne à la Justice et à l’Égalité des genres, une fonction qu’occupait alors la Tchèque Věra Jourová, la Convention est ainsi devenue, de façon inattendue, une source de désaccords culturels entre les Europe de l’Est et de l’Ouest.
Peu à peu, à l’image de la Hongrie ou de la Pologne, qui a un temps menacé de s’en retirer, certains pays ont tourné le dos au document, affirmant que celui-ci érodait leur vision des « valeurs familiales ». Si certains médias vont jusqu’à qualifier la situation de « guerre culturelle » entre les États n’ayant pas ratifié la Convention et les autres membres du Conseil de l’Europe, Hana Stelzerová espère qu’une meilleure compréhension du texte permettra, ne serait-ce qu’en République tchèque, de débloquer la situation :
« Il y a déjà eu environ trente recommandations provenant de différents États pour la ratification de cette Convention. Elles doivent donc être plutôt claires sur le fait que ce document ne concerne que les droits de la personne. La Convention ne vise qu’à mieux vivre en société, elle ne contient aucune des fausses informations qui circulent à son sujet. L’énoncé est clair et c’est pourquoi il est important de la ratifier le plus tôt possible. »
Selon une étude de l’Agence européenne des droits fondamentaux, une femme sur trois au sein de l’UE (soit environ 62 millions de femmes) a déjà subi des violences physiques et/ou sexuelles. La directrice du Czech Women’s lobby insiste donc sur le fait que la Convention d’Istanbul doit d’abord permettre d’apporter des solutions concrètes au problème :
« Il y a une connotation symbolique, bien sûr, mais aussi beaucoup d’éléments pratiques que la Convention tente de résoudre. Notamment parce que l’aide est complexe dans les cas de violence. Comment la police doit-elle agir ? Comment les services peuvent-ils se rendre disponibles pour les victimes ? Comment les juges doivent-ils traiter ces dossiers ? Les questions sont multiples, mais les réponses figurent précisément dans la Convention, qui sert en quelque sorte de guide sur la manière de résoudre ces problèmes. La société évolue et nous devons être en mesure de réagir à cette évolution de manière positive. »