Covid-19 : un médecin tchèque revenu de France aider l’hôpital de Přerov
A l’automne dernier, pendant la deuxième vague de coronavirus, le président de la Chambre tchèque des médecins avait appelé les praticiens tchèques exerçant à l’étranger à rentrer au pays pour prêter main-forte au personnel médical dans les hôpitaux submergés par l’afflux de patients. Lubomír Skopal est oncologue et travaille depuis quelques années dans l’est de la France. Il est un des rares médecins à avoir pu proposer son aide à l’hôpital de sa ville d’origine, Přerov, en Moravie. Il a raconté son expérience au micro de Radio Prague Int.
Un geste citoyen
« C’était plus ou moins un hasard, parce que j’avais déjà posé mes congés en France, et je voulais les passer ici, en Tchéquie, où se trouve ma famille. Mais j’ai en effet entendu cet appel à ce moment-là. Je me suis dit que si j’avais la possibilité de donner un coup de main dans nos hôpitaux, je le ferais. »
« J’ai passé trois ou quatre jours à l’hôpital de Přerov dans l’unité Covid où je me suis engagé aux côtés des autres médecins tchèques. Pour moi, c’était avant tout un geste citoyen parce que je suis d’origine tchèque, toute ma famille et mes amis sont ici. »
Concrètement, quel était votre rôle ?
« Mon rôle, c’était la visite des patients, leur accueil, la prescription de thérapies, tout comme dans n’importe quel hôpital. »
Quelle était la situation à ce moment-là à l’hôpital de Přerov ?
« A ce moment-là, c’est vrai qu’ils étaient assez submergés par le nombre de patients. Infirmiers, infirmières et médecins étaient vraiment fatigués par le travail à accomplir… »
Savez-vous s’il y a effectivement d’autres médecins tchèques qui sont rentrés pour venir aider ? On peut imaginer que cela peut être compliqué : on peut avoir envie de revenir, mais aussi être utile sur place, dans son pays d’accueil…
« Pendant la première vague du printemps dernier, je travaillais à l’hôpital de Haguenau en Alsace. On n’avait pas le droit de prendre de congés à ce moment-là, en raison de la pandémie. Je me rends compte que pour les autres médecins tchèques qui travaillent en Angleterre, en Autriche ou en Allemagne, ça ne devait pas non plus être facile de quitter leurs patients et de rentrer en Tchéquie. Pour moi, comme je le disais, c’était plus le fruit du hasard. »
Le gouvernement tchèque a cru avoir vaincu l'épidémie
Vous vivez plus ou moins entre la France et la Tchéquie, comment jugez-vous la gestion de la crise sanitaire par les deux pays ?
« Je pense que les Français sont plus expérimentés à certains moments dans la gestion du Covid. A mon avis, le gouvernement français est mieux organisé qu’ici. Il a pris des dispositions dès le début pour protéger les malades avant tout. Et puis surtout, les hôpitaux français sont plus nombreux et il y a plus de structures pour prendre en charge les malades du Covid aigu et les patients post-Covid. »
Actuellement, tant la France que la Tchéquie ont lancé leur campagne de vaccination avec en priorité les personnes les plus vulnérables. Beaucoup d’espoirs ont placés dans ce vaccin Pfizer mais qui ont été quelque peu douchés avec l’annonce des retards de livraison. Comment jugez-vous ces campagnes de vaccination en France et en Tchéquie ? Est-ce que cela avance assez vite ou est-ce que les cafouillages, c’est un peu partout ?
« Je pense que la France est plus avancée. La campagne de vaccination a été préparée bien en amont, pendant l’été et l’automne derniers. Le gouvernement tchèque a selon moi laissé tomber l’affaire. Ce qui est important également, c’est que le ministre de la Santé français est généralement médecin de formation, comme actuellement Olivier Véran. En Tchéquie, ces trois dernières années, le ministre était un jeune avocat (Adam Vojtěch jusqu’en septembre 2020, ndlr). Cette situation a créé énormément de tensions entre la Chambre des médecins et le ministère de la Santé. »
Cela reste étonnant de voir comme le pays pouvait se targuer au printemps dernier de n’avoir presque aucun cas de Covid-19 et très peu de morts, et comment la situation s’est totalement inversée…
« Pour moi, c’est clairement dû à une absence de professionnels aux plus hauts niveaux du ministère de la Santé. Puis, il y a eu une vraie négligence de la part du gouvernement tchèque qui a cru qu'il avait vaincu l’épidémie. En France, pendant l’été, le masque était obligatoire dans l’espace public, les transports, les magasins, alors qu’en Tchéquie, ce n’était plus le cas. »
Dernière question sur la pandémie de Covid-19 avant de passer à un autre sujet. Comment expliquez-vous la très importante mortalité due au coronavirus en République tchèque (15 618 à ce jour, ndlr) ? Est-ce dû à une certaine hygiène de vie des Tchèques, alors qu’on sait que le pays est un de ceux où l’obésité est un vrai problème (d’après les données de l’Institut tchèque des statistiques, 47% des hommes et une femme sur trois sont en surpoids, tandis que 18% des femmes et un homme sur cinq souffrent d’obésité, ndlr) ?
« En République tchèque, il y a en effet ce problème d’obésité, allié à une forte consommation d’alcool et de tabac. Cela joue aussi un rôle. Et nous avons également beaucoup de personnes qui souffrent du diabète de type 2. Ces malades sont évidemment beaucoup plus vulnérables. »
Si une infirmière gagne moins qu’une vendeuse en supermarché, c’est un vrai problème
Rappelons que vous êtes parti exercer votre métier d’oncologue en France il y a quelques années, mais assez tardivement dans votre carrière, car vous aviez 57 ans. Pourquoi ce changement de carrière tardif ?
« Les soins oncologiques en France et en Tchéquie sont deux mondes totalement différents. En Tchéquie, l’administration des traitements modernes est très centralisée dans les grands hôpitaux. Pendant ma carrière professionnelle, je suis allé très souvent en France, j’étais au courant de ce qui se faisait couramment dans les pays voisins, en Autriche et en Allemagne, où les patients peuvent avoir accès aux traitements dans les hôpitaux périphériques également. Or en République tchèque, cela n’était pas possible. J’ai donc décidé de quitter mon pays et d’exercer mon métier à l’étranger, en France, pour remplir mes ambitions professionnelles. »
Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’une personne souffrant d’un cancer en Tchéquie, mais vivant en province, doit se faire soigner ailleurs, dans une plus grande ville par exemple ?
« Oui. Un exemple concret : un malade souffrant d’un cancer du côlon sera souvent traité avec un médicament qui s’appelle Avastin, un traitement connu depuis vingt ans. En France, vous pouvez administrer ce traitement dans tous les hôpitaux qui soignent les personnes ayant un cancer. Tandis qu’en République tchèque, cela commence lentement à être distribué dans des hôpitaux de province comme à Olomouc ou Nový Jičín, mais ce n’est pas si fréquent que cela comme ça l’est en France, en Allemagne ou en Autriche. »
Comment l’expliquez-vous ?
« Ce sont des médicaments assez costauds et très onéreux. Je pense également que la Société oncologique tchèque est assez réticente à négocier avec les assurances maladie pour que ces traitements soient remboursés dans les hôpitaux périphériques. C’est en tout cas mon point de vue. »
Il y a quelques années, on a beaucoup parlé du départ de médecins et de personnel médical tchèque à l’étranger. Vous êtes une de ces personnes-là. Dans de nombreux cas, il y a un vrai problème au niveau des salaires qui conduit à cette « fuite » à l’étranger. Or on se retrouve en pleine pandémie avec un pays où un des problèmes majeurs et systémiques est la pénurie de personnel médical…
« Il y a un vrai problème dans l’organisation du système de santé en République tchèque. Il y a toujours des médecins qui partent à l’étranger pour exercer leur métier. Aujourd’hui, de plus en plus de médecins slovaques qui font leurs études en Tchéquie et y exercent ensuite, mais aussi des médecins ukrainiens. C’est un problème global qui ne touche pas seulement les médecins, mais il y a aussi une pénurie d’infirmiers et infirmières. En cause la surcharge de travail et la question des salaires. Si une infirmière gagne moins qu’une vendeuse en supermarché, c’est un vrai problème : la responsabilité n’est absolument pas comparable. Cette responsabilité, il faut la rétribuer. En outre, ce n’est pas un problème lié au gouvernement actuel. C’est le cas depuis bien longtemps. Je me souviens des décisions prises par des gouvernements précédents qui ont clairement diminué les effectifs des médecins et infirmières dans les hôpitaux dans un objectif de ‘rationalisation’. Quand je compare avec la France, honnêtement, les hôpitaux français sont toujours en meilleure forme que les tchèques. »
On parle quand même beaucoup de problèmes de financement des hôpitaux en France…
« La France donne 11 ou 12% de son budget à la santé. Les Tchèques, eux, donnent 7% de leur petit budget à ce secteur. Sauf que les prix d’achat du matériel médical sont les mêmes partout ! Si vous voulez acheter des appareils en France ou en Tchéquie, c’est en général le même prix… »