En Tchéquie aussi, le personnel soignant surchargé face à une hostilité croissante

Alors que les hôpitaux tchèques sont à nouveau sous tension avec l’afflux de patients Covid et malgré la relative stagnation de l’épidémie depuis quelques jours, les soignants à tous les échelons se retrouvent à gérer, en plus des malades, le scepticisme de nombreuses personnes qui parfois peut dégénérer en violences verbales voire, dans le pire des cas, physiques. Un phénomène qu’on retrouve dans d’autres pays également, mais qui peut surprendre en République tchèque qui affiche une fois de plus parmi les pires chiffres de contaminations et de décès au monde.

On aurait pu croire la Tchéquie traumatisée par les terribles chiffres de contaminations et surtout de décès des deux grosses vagues de Covid en automne 2020 puis au début de cette année. Au printemps dernier, les quelque 30 000 croix blanches pour chaque mort du Covid peintes sur les pavés de la place de la Vieille-Ville à Prague avaient transformé ce lieu touristique en mémorial éclairé par des bougies et parsemé de fleurs, comme l’expression poignante d’une prise de conscience collective.

L’hôpital de Kyjov | Photo: Ľubomír Smatana,  ČRo

Et pourtant, six mois plus tard, le pays est de retour à la case départ, ou presque, avec des contaminations qui sont reparties en flèche à partir du mois d’octobre, des hôpitaux sous tension, à la différence près que, de héros, les soignants qui sont en première ligne dans la lutte contre l’épidémie, sont devenus la cible privilégiée de patients incrédules en dépit de leur état de santé, ou d’opposants à la vaccination.

« Pendant la première vague, on recevait des petits fours, on nous applaudissait depuis les balcons, les gens se mettaient à chanter. De nos jours, on redoute d'aller faire ses courses de peur de s’en prendre une. Et alors quand on dit qu’on est médecin, on a peur de se faire lyncher parce qu’on est le méchant qui pousse à la vaccination. »

L’hôpital de Kyjov | Photo: Ľubomír Smatana,  ČRo

Jiří Vyhnal est le chef du département d'anesthésiologie et de réanimation de l’hôpital de Kyjov en Moravie. Très actif sur les réseaux sociaux, il s’efforce via ses tweets de mettre en lumière le quotidien du personnel soignant, l’épuisement, la perte de motivation, les conséquences concrètes de l’afflux de patients Covid qui a entraîné le report de nombreuses opérations et l’interruption du suivi d’autres pathologies graves, mais aussi la réalité de la prise en charge, très lourde, des malades du Covid.

Une réalité quotidienne que les infirmières voudraient bien que les sceptiques voient de leurs propres yeux :

« Des connaissances me demandent sans cesse ce qui se passe ici, si c'est vrai que ça va si mal, mais dans le fond, ils ne me croient pas. Ils n'y croient tout simplement pas. C’est difficile de discuter avec quelqu’un qui n’est pas vacciné et ne change pas d’avis sur la question. Personnellement, j’ai abandonné. Je sais que c'est utopique, mais j’aimerais vraiment qu’ils viennent voir ici comment même des jeunes gens doivent lutter contre la maladie et mettent un temps fou à pouvoir à nouveau respirer sans machine... »

Milan Kubek | Photo: Michaela Danelová,  ČRo

Dans certains cas, l’opposition au personnel soignant et aux représentants de la profession s’exprime plus violemment : récemment, le quotidien Deník N rapportait que le président de l’Ordre des médecins, Milan Kubek et sa famille font l’objet de tentatives d’intimidation d’opposants aux règles sanitaires et à la vaccination : l’un d’entre eux l’a même suivi et filmé lorsque ce dernier sortait de son lieu de travail. Agressions verbales, harcèlement téléphonique, menaces de mort par e-mail, des comportements qui sont même allés jusqu’à déposer des excréments dans sa boîte aux lettres, comme l’explique Milan Kubek.

Des voitures garées devant l'hôpital de Kladno ont ainsi été vandalisées | Photo: Policie ČR

Des soignants ordinaires ont également été pris pour cibles. En novembre, une dizaine de voitures garées devant l'hôpital de Kladno ont ainsi été vandalisées, leurs pneus lacérés et leurs rétroviseurs brisés. Début décembre, la police tchèque a inculpé un homme de 63 ans pour avoir menacé le personnel médical de l'hôpital de Benešov avec un couteau et une arme à feu.

De manière générale, la police reconnaît avoir enregistré une agressivité croissante à l'encontre des autorités sanitaires, des travailleurs de la santé ainsi que des politiciens et a déjà lancé des procédures judiciaires dans plusieurs cas de harcèlement.

Une manifestation contre la vaccinacion à Prague | Photo: Ondřej Deml,  ČTK

Ce phénomène, révélateur sans doute aussi d'une division de la société et d'une lassitude profonde, intervient au moment où la cinquième vague de Covid-19 met les hôpitaux tchèques sous pression accrue et que le nombre de soignants eux-mêmes infectés a augmenté. Samedi dernier, l'Institut d'information et de statistiques de santé recensait 6 356 soignants contaminés, soit près de 400 de plus qu’une semaine auparavant. Une situation compliquée dans un secteur de la santé déjà exsangue, qui oblige les hôpitaux à modifier à la dernière minute des services déjà surchargés, à déplacer le personnel d'un service à l'autre ou même demander l'aide de bénévoles. La capacité des lits des unités de soins intensifs est quant à elle inférieure à 30 % depuis mardi, et les quatre cinquièmes des unités de ventilation pulmonaire du pays sont actuellement occupés.

Jiří Vyhnal | Photo: Ľubomír Smatana,  ČRo

Interrogé récemment par la Radio tchèque, le psychologue Jan Kulhánek évoquait un nombre croissant de professionnels de la santé qui se retrouvent dans son cabinet en raison de troubles de stress post-traumatique, une réaction aux deux dernières vagues de l’épidémie et à la pression extrême sur les hôpitaux. Une dure réalité qui n’empêche pas Jiří Vyhnal, de l’hôpital de Kyjov, de rester optimiste :

« L'attitude de la société a complètement changé. Mais nous allons continuer à faire notre travail, peu importe ce que les gens pensent de nous. »

Auteurs: Anna Kubišta , Ľubomír Smatana
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