« Daughter of the Nation », première série originale de Canal+ tournée en Tchéquie
Le groupe audiovisuel français Canal+ tourne sa première mini-série originale en Tchéquie. Intitulée « Dcera národa » (Daughter of the Nation – La Fille de la nation), elle s’inspire de la vie de Zdeňka Havlíčková, fille du célèbre homme de lettres et politicien tchèque du XIXe siècle Karel Havlíček Borovský.
Tout à la fois poète, satiriste, critique du régime austro-hongrois et journaliste si talentueux qu’il est considéré comme le père fondateur du journalisme tchèque moderne, Karel Havlíček Borovský est devenu une icône pour les Tchèques. Symbole de leur émancipation au sein de l’empire des Habsbourg, il est mort de la tuberculose en 1856, alors qu’il n’était âgé que de 34 ans.
Au cour de l’année révolutionnaire 1848, Borovský fonde son propre journal, Národní noviny, un titre très vite apprécié des lecteurs. Dans ses articles, il dénonce la bureaucratie et la corruption du régime autrichien sans pour autant épargner le patriotisme grandiloquent très répandu dans la société tchèque. Alors que des mouvements libéraux se mobilisent un peu partout en Europe face aux régimes autoritaires, Karel Havlíček Borovský exerce pendant quelques mois son mandat de député au parlement de Vienne et… devient père de la petite Zdeňka.
En 1851, sa critique des autorités autrichiennes vaut au journaliste d’être condamné à un exil forcé à Bressanone, en Italie, d’où il revient au bout de cinq ans. Entre-temps, sa femme meurt et lui-même décédera peu après son retour en Bohême.
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Très vite, la mort de Borovský donne naissance à un certain mythe autour de sa personne. Jusqu’à la fin du XXe siècle, le journaliste est vénéré en tant que martyre national. En 1945, la ville de Německý Brod est ainsi rebaptisée Havlíčkův Brod en l’honneur de sa mémoire. Son héritage intellectuel sera exploité par différents mouvements et régimes politiques qui ne se soucieront que rarement de la signification réelle de son œuvre.
Héroïne de la nouvelle série de Canal+, Zdeňka Havlíčková, emportée elle aussi très jeune par la tuberculose, fait partie de cette légende qui entoure son père. Agée de 8 ans quand celui-ci est décédée, Zdeňka a d’abord été élevée par la famille de sa tante, dans un milieu modeste. Adolescente, elle est devenue, pour les intellectuels et patriotes tchèques de l’époque, l’incarnation de la fierté et de l’identité nationales. Une collecte pour la « fille de la nation », dont le bénéfice a permis de la nourrir et financer son éducation, a même été organisée. Ses parrains, parmi lesquels les politiciens František Palacký et Ladislav Rieger, s’occupaient ainsi du bien-être de la jeune femme et lui ont choisi son futur mari.
L’histoire d’amour que Zdeňka a vécue avec un officier polonais de l’armée autrichienne a donc été un choc pour eux, et a terni cette image idyllique.
Co-réalisatrice de la série, Cristina Groşan explique :
« Ce qui m'a attirée dans le scénario, c'est justement cette histoire d’amour dans ce contexte historique si particulier. Zdenka vit un amour malheureux qui, dans ces circonstances précises, n’a pu être accompli. Elle a ses rêves, mais les politiciens attendent d’elle qu’elle assume un rôle qui lui a été imposé par la société, qu’elle vive selon ses règles. Bien sûr, de nombreuses scènes sont imaginées et sont le fruit de la fiction, et même si nous avons respecté les événements réels autant que possible, c’est notre propre interprétation de la réalité que nous proposons au public. »
Créée par une équipe internationale à partir du scénario de la Tchèque Lucie Vaňková et co-produite par la Télévision tchèque, la série « Dcera národa » (« Fille de la nation », en français) se veut être captivante même pour le jeune public. Avec une forme de narration et un langage modernes, ses auteurs livrent le récit d’une totale incompatibilité entre désirs personnels et attentes de la société, avec, en toile de fond, une époque historique toujours dépeinte jusqu’alors avec beaucoup de pathos dans le cinéma tchèque. Les cinéastes proposent cependant une autre optique, comme le raconte Cristina Groşan :
« C’est en fait une comédie romantique qui se passe à l’époque du Renouveau national tchèque. Ce genre de films est très rare dans la cinématographie locale. Je suis heureuse de participer à ce projet en tant qu’étrangère. Je suis une réalisatrice d’origine hongroise et roumaine et l’histoire du peuple tchèque au XIXe siècle est similaire à celle de mon peuple. Lui aussi a lutté pour sa reconnaissance, mais dans une autre partie de l’Empire autrichien. Ces sujets sont généralement abordés avec beaucoup de sérieux. Nous ne remettons pas en question l’importance de ces événements, mais je pense qu’il est nécessaire de les raconter aujourd’hui sous une autre perspective. Les patriotes avaient une bonne cause - encourager les femmes tchèques, mais leur façon d’y parvenir, dans ce cas précis en achetant pratiquement la liberté d’une jeune femme, était loin d’être idéale. Heureusement, nous avons un personnage féminin fort qui est prêt à se battre. »
« Par ailleurs, de nombreux personnages de notre série sont des personnalités bien connues des Tchèques. Nous voulons montrer un autre visage de ces hommes qui ont marqué l’histoire du pays, en les présentant comme des êtres un peu capricieux, amusants et pleins de contradictions ; ce qu’ils étaient probablement. »
Inspirée de plusieurs séries historiques à succès, dont celles sur l’impératrice de Russie Catherine II, l’écrivaine Emily Dickinson ou l’impératrice Sissy, « Dcera národa », avec Antonie Formanová dans le rôle principal, a été tourné à Prague, au monastère de Doksany ou encore dans les châteaux de Nové Město nad Metují et de Jaroměřice nad Rokytnou. Elle sera diffusée sur Canal+ en République tchèque et en Slovaquie en septembre 2024. La Télévision tchèque prépare sa diffusion pour le début de l’année prochaine.