David Cvach, diplomate d’origine tchèque aux avant-postes de la présidence française de l’UE
Le diplomate français David Cvach est le directeur de l'Union européenne au Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. Fils de l’artiste tchèque Miloš Cvach, il est l’un des responsables à Paris de l’actuelle présidence française de l’Union européenne, à laquelle succèdera en juillet la présidence tchèque.
Extraits de cet entretien disponible en audio dans son intégralité en cliquant sur Lecture sur la photo ci-dessus :
Comment prononce-t-on votre nom de famille en France ?
« Ha, il y a toutes sortes de versions mais j’essaie de faire de la pédagogie et de me faire appeler tel que cela se prononce en tchèque (TSVAKH). Je suis assez heureux qu’au bout de 25 ans au Quai d’Orsay la plupart de mes collègues aient réussi à prononcer mon nom. Je suis condamné à rester dans cette maison quelque temps parce que cela prend une vingtaine d’années ! »
Je suppose que ça commence par des KVACHE et des SVAK…
« … et des KVAK, etc. Mais il y a quelque chose qui me plaît en Bretagne que j’aime beaucoup et d’où mon épouse est originaire : c’est probablement la région de France où mon nom pose le moins de problèmes parce qu’il est ‘adopté’ et on dit KVAC’H, avec une apostrophe entre le C et le H, ce qui fait couleur locale ! »
En 25 ans au Quai d’Orsay vous avez occupé plusieurs postes importants au sein de cette administration (notamment Conseiller Afrique du Nord et Moyen-Orient du précédent président français) et vous avez été ambassadeur en Suède. En quoi consiste votre rôle aujourd’hui au sein de la diplomatie française ?
« Je suis en charge de la direction qui couvre l’Union européenne et un peu plus que cela, avec les pays candidats et même désormais avec le Royaume-Uni ou la Norvège. On s’occupe à la fois des affaires communautaires – toute la négociation qui est à Bruxelles – et des affaires bilatérales. »
« Peut-être pas automatiquement le réflexe français »
J’ai pas mal voyagé en Tchécoslovaquie avant et après 1989, cela m’a appris des choses.
« Je suis né à Paris et dans un sens je suis un produit typique du système français. Mais avec mon nom, mes origines et le fait que j’ai pas mal voyagé en Tchécoslovaquie avant et après 1989, cela m’a appris des choses. Par exemple, dans le débat français vous avez souvent une opposition entre le fait d’être européen et le fait d’être atlantiste. En République tchèque, comme dans beaucoup d’autres pays, cette opposition n’a pas de sens – on est simultanément les deux – et c’est intéressant à prendre en compte. »
« L’autre chose qui me frappe dans mon job actuel est que dans l’Europe il n’y a pas de petit pays. Une fois que vous êtes dans ce club de l’UE, vous pesez parce qu’on a des règles – l’unanimité ou la majorité – et donc l’UE n’efface pas les rapports de force mais nous rend interdépendants. C’est une dépendance choisie, consentie, assumée et paradoxalement cela nous renforce chacun au niveau national. Je suis très frappé par de voir que des pays comparables n’ont pas la même importance pour nous selon qu’ils sont dans l’UE ou non. »
« Cette constatation tirée de la réalité quotidienne de la négociation rejoint ce que j’ai vécu à titre personnel dans mon expérience et ma famille : vous pouvez avoir des grands européens dans des petits pays. Donc on a à apprendre de tout le monde dans cette affaire. Ce n’est peut-être pas automatiquement le réflexe français et c’est vrai que c’est quelque chose que j’ai un peu en moi. »
« Mon tchèque est un peu rouillé malheureusement »
A ce propos, l’ancien Premier ministre tchèque Mirek Topolánek évoquait sur la radio publique les difficultés de la première présidence européenne de la Tchéquie face à la pression de l’administration française. Il disait en gros que sans le soutien d’Angela Merkel, cela aurait être difficile pour les Tchèques de faire face à cette pression de la partie française, qui déjà à l’époque avait précédé la présidence tchèque. Cette coopération franco-tchèque veut désormais s’afficher comme bien meilleure. Est-ce votre impression, côté français ?
« (…) Je pense que nous Français ne devons pas être caricaturaux et pas seulement dans l’injonction, l’initiative quotidienne voire la pression sur les partenaires, mais en même temps je pense que si on était uniquement dans la recherche du consensus ou du dénominateur commun, beaucoup de partenaires viendraient nous dire ‘en fait on vous aimait mieux avant !’. Donc on essaie de combiner. »
« Nous sommes maintenant dans cette période particulière qui est la présidence. C’est avant et après que vous pouvez pousser très fort sur un sujet au titre national – en temps de présidence européenne, ce n’est pas votre rôle et vous êtes le plus européen dans la démarche. Nous avons exercé beaucoup de présidences par le passé et c’est vraiment comme ça qu’on travaille. »
Est-ce que vous parlez en tchèque avec vos interlocuteurs tchèques ou est-ce que vous bifurquez rapidement vers l’anglais ?
« Je n’ai pas besoin de bifurquer parce qu’un certain nombre de mes interlocuteurs, dont Aleš Chmelař (vice-ministre pour l’Europe), parle excellemment français ! Je m’essaie quand même à mon tchèque mais je dois dire qu’il est un peu rouillé malheureusement. J’espère bien que malgré le covid je vais pouvoir retourner régulièrement à Prague maintenant qu’il y a un nouveau gouvernement pour la préparation de la présidence tchèque, et j’espère que cela va me permettre d’améliorer mon tchèque. »
L'élection présidentielle en plein milieu de la présidence française
Il y a quelques craintes à Prague à propos de l’élection présidentielle française. Est-on obligé côté français d’assurer que la campagne électorale et le scrutin ne vont pas bouleverser ce qui a été planifié par le trio de présidences constitué par la France, la Tchéquie et la Suède ?
« Nous n’avons pas eu ces craintes avec nos partenaires tchèques dans les derniers mois, avant, pendant et après les élections législatives tchèques. Le programme du trio laisse d’ailleurs bien sûr de la flexibilité pour mettre l’accent à tel ou tel endroit. Je pense que ça va être le travail du nouveau gouvernement tchèque de nous dire sur quoi il veut des inflexions. »
« Pour nous c’est un peu la même chose. Je ne vais pas me prononcer sur les divers scénarios – il y en a qui nous emmèneraient assez loin du programme actuel et d’autres, moins… En tout cas, ce qu’on explique à tous nos partenaires est que nous avons une présidence sur six mois et que nous allons travailler du premier au dernier jour de cette présidence. C’est une responsabilité pour le pays. Evidemment, en fonction de ce qui se passera au mois d’avril, nous aurons à redéfinir ou à préciser ce qu’on fera sur la fin de la présidence. »
Balkans occidentaux : « ne pas résumer à la seule problématique de l'élargissement »
La diplomatie tchèque se félicitait récemment du soutien de la France à l’intégration des pays des Balkans occidentaux, considéré comme une victoire pour elle. Est-ce réellement le cas ?
« Le président français a annoncé une conférence sur les Balkans occidentaux, probablement au mois de juin. Il est juste de dire que nous avons beaucoup parlé de ce sujet avec la République tchèque – et avec la précédente présidence slovène. Dans le cadre des discussions de notre trio c’était un point très important pour nos amis tchèques, qui prévoient pendant leur présidence un véritable sommet UE-Balkans, comme nous avons un sommet UE-Afrique, et c’est aussi un sujet traditionnellement important pour les Suédois. »
« Si vous ajoutez à ça le fait qu’il y a plusieurs dynamiques préoccupantes – pour parler diplomatiquement – dans les Balkans occidentaux, le président Macron a décidé de jouer son rôle dans cette chaîne de présidences pour peser davantage sur ces développements. »
« Il y a le sujet de l’élargissement et la vocation évidente de ces pays à rejoindre l’Europe. Je comprends bien que c’est en soi un levier de transformation. Mais la position française classique est qu’on ne doit pas résumer nos relations avec ces pays à la seule problématique de l’élargissement. D’ailleurs vous avez une situation particulièrement préoccupante en Bosnie-Herzégovine pour laquelle l’élargissement n’est pas un horizon de court-terme par rapport à d’autres pays des Balkans occidentaux. »
« Il est aussi important qu’on discute avec eux, qu’on fasse pression si nécessaire, qu’on réfléchisse aux différents leviers pour peser davantage et aussi pour résister à l’agenda d’autres puissances qui sont actives dans ces pays et pas forcément d’une manière compatible avec nos intérêts… C’est de tout cela dont on veut discuter lors de cette conférence organisée au deuxième trimestre. »
Ukraine : « Nous avons plus de poids dans les potentielles sanctions que les Américains »
Dans ce contexte d’« agenda d’autres puissances », cette question des Balkans risque d’être éclipsée par la situation en Ukraine. Est-ce qu’en la matière Prague et Paris sont sur la même longueur d’ondes ?
« Je crois qu’il y a en réalité une assez forte unité européenne. Je lis beaucoup d’articles selon lesquels l’Europe ne serait nulle part. Je n’en suis pas convaincu. Les leviers sont quand même partout en Europe. Si on cherche des moyens de dissuader une action militaire russe en Ukraine, nous avons plus de poids dans les potentielles sanctions que les Américains. L’UE n’est pas une puissance militaire mais sur la question-clé des sanctions en cas de nouvelle violation de la souveraineté ukrainienne par la Russie, là il y a une très forte unité de vue européenne. »
« Progressivement, nous nous rapprochons les uns des autres en termes d’analyse des menaces. A partir de cette analyse, il faut qu’on s’entende ensemble sur la manière dont on peut devenir plus forts, pour développer des capacités en complémentarité avec l’OTAN, mais aussi seuls si jamais la voix de l’OTAN ne fonctionne pas. »
Taxonomie et défense - nucléaire et Takuba
Bien que vous soyez diplomate, pouvez-vous nous dire ce qui « coince » le plus en ce moment entre Prague et Paris ? Est-ce cette question des émissions de gaz à effet de serre dans le cadre du Green deal ?
« Il va falloir voir avec le nouveau gouvernement tchèque. Malheureusement, dans la manière dont vous avez formulé la question, je suis condamné à apparaître diplomate si je vous dit que nous avons un alignement assez intéressant avec la République tchèque ! Sur la question de la transition écologique, on a un énorme paquet avec 13 textes en négociation et évidemment que sur certains éléments de ce paquet on aura des différences, mais il y en aura entre tous les Etats-membres. C’est bien pour ça que c’est intéressant de négocier en paquet, parce que cela permet des arbitrages. »
« Sur une question qui était clé pour nous et qui le reste – qui n’est pas dans le paquet mais qui influe beaucoup sur lui -, celle de la reconnaissance du nucléaire en tant qu’énergie dans laquelle il est légitime d’investir au titre de la taxonomie que prépare l’UE, on est très aligné avec nos amis tchèques. »
LIRE & ECOUTER
« Sur le sujet du développement de l’Europe de la défense, on a aussi beaucoup travaillé avec Prague et le choix des Tchèques de rejoindre la task-force Takuba au Sahel est quelque chose de considérable pour nous. »
Appartenance : renouer avec Patočka et Havel
Nous avons eu des contributions tchèques extraordinaires à la réflexion européenne, de Patočka à Havel.
« Il y a un chantier sur lequel j’espère qu’on va pouvoir travailler plus, celui que le président Macron appelle ‘l’appartenance’. Le slogan de notre présidence est ‘Relance, puissance, appartenance’. On a le sentiment en France que pendant cette pandémie on vit un moment de basculement. (...) L’UE est beaucoup plus qu’un projet de libre-échange. Vous avez plus de pouvoir en étant dans ce club qu’en dehors – je pense qu’un pays est en train d’en faire la démonstration inverse en en sortant. Mais vous devez aussi vous interroger sur ce qui fait la spécificité de notre modèle, ce qui nous lie les uns aux autres. Nous avons historiquement eu des contributions tchèques extraordinaires à cette réflexion, de Patočka à Havel. Je pense qu’il y a un grand appétit en Europe pour entendre de nouveau plus fortement un message tchèque sur la vision tchèque de l’Europe et aussi sur un projet qu’elle peut proposer aux Européens, comme l’ont fait jadis beaucoup de grands intellectuels tchèques et hommes d’Etat. »
David Cvach, le poste d’ambassadeur français à Prague pour le diplomate fils de Tchèque que vous êtes, est-ce une perspective qui pourrait vous plaire ?
La première ambassade dans laquelle j’ai mis les pieds était le Palais Buquoy.
« Je vais sortir mon joker sur cette question ! Mais je peux vous dire que la première ambassade dans laquelle j’ai mis les pieds était le Palais Buquoy dans le quartie de Malá Strana à Prague à l’occasion d’un 14 juillet, donc cela a probablement joué dans ma vocation.