De la couronne tchèque à l'euro...
Depuis l'entrée de la République tchèque dans l'Union européenne en 2004, la question de l'adoption de l'euro est une véritable arlésienne. Etaient à l'époque évoqués des horizons plus ou moins lointains, d'abord 2010, puis 2012 et enfin plus rien... L'exercice du pouvoir par le parti civique-démocrate ODS, opposé à un renforcement de l'intégration européenne, a temporairement mis de côté la question. Celle-ci ressurgit aujourd'hui avec le gouvernement du social-démocrate Bohuslav Sobotka, lequel semble déterminé à mettre le pays en branle pour franchir cette étape. Radio Prague s'était déjà intéressée au sujet en se focalisant sur l'expérience slovaque, Bratislava ayant adopté la monnaie unique en 2009. Intéressons-nous désormais aux modalités et aux conséquences d'un changement monnétaire en République tchèque.
Avec Bohuslav Sobotka, dont voici les propos, à la tête d'une coalition gouvernementale rassemblant sociaux-démocrates, représentants du mouvement de centre-droit ANO et chrétiens-démocrates, la politique européenne de la République tchèque a changé. Au château de Prague également, où Milos Zeman a succédé à Vaclav Klaus à la présidence du pays, le ton n'est plus le même. On entend maintenant replacer la République tchèque au cœur de la construction européenne, malgré l'impopularité croissante d'une Union en crise, et il y a semble-t-il à présent une réelle volonté pour l'adoption de l'euro dans un délai de cinq à sept ans.
Comme cela a été dit pour la Slovaquie, il apparaît un tel changement n'a pas de désavantage particulier sur le plan économique. La plupart des économistes s'accordent à dire que la monnaie n'étant qu'un outil, son nom a peu d'importance et appartenir à l'eurozone permet de disposer d'un instrument monétaire stable contre lequel il est très difficile de spéculer. Le chercheur Edwin le Héron, membre des Economistes attérés, qui contestent les politiques d'inspiration néolibérale en vogue en Europe, pense ainsi que le passage à l'euro d'un pays comme la République tchèque devrait être indolore :
« Je ne vois pas d'inconvénient particulier. La situation de la zone euro n'est pas mauvaise au sens où l'euro va même plutôt un peu trop bien. Il est un peu trop recherché en ce moment, son cours est assez élevé. Donc un cour élevé de l'euro, cela permettrait aussi à un pays qui rentrerait de le faire peut-être avec un taux de change qui n'est pas excessivement élevé même s'il doit être stabilisé dans les deux dernières années avant l'adoption. Il n'y a donc pas de blocage particulier. Ensuite, la question des dettes nationales reste un problème national. »
Les conséquences pour l'économie pourraient néanmoins être marginalement positives. C'est ce que pense Martin Janicko, économiste auprès de Moody's Analytics :« Il est difficile de dire quelles seront les conséquences, mais de manière générale nous avons une économie petite et très ouverte, très liée à la zone euro. Avec l’euro, nous serons en mesure de mieux nous coordonner avec les pays de l’eurozone. Le commerce extérieur peut croître parce qu’il y a beaucoup de risques qui n’existeront plus avec l’euro. Et puis, il y a aussi beaucoup de gens qui voyagent dans cette zone et cela est aussi un avantage. »
Négligeable ou presque sur le plan économique, l'adoption de l'euro présenterait avant tout une dimension politique. Il s'agit pour les dirigeants tchèques de marquer leur volonté de participer au processus d'intégration de l'Union européenne comme le note Vladimír Bartovic du laboratoire d’idées pragois Europeum :
« La décision d’adopter l’euro n’est plus uniquement une décision économique. Pour ma part, je suis persuadé que la majorité des arguments économiques pèsent en faveur de l’adoption de l’euro. Mais il s’agit de plus en plus d’une question politique, celle de déterminer si nous voulons être au centre de l’Union européenne ou rester à sa périphérie. »
Pour marquer cette « détermination », le gouvernement tchèque veut signer le traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), un texte étudié actuellement par la Chambres des députés et connu sous l'appellation de pacte européen de stabilité. Il contraint les Etats membres de l'eurozone à un contrôle plus stricte de leur budget, sous peine de sanctions, limitant un peu plus leur capacité à s'endetter pour relancer l'activité économique. Intégrer ce pacte permettrait surtout aux pays qui n'ont pas la monnaie européenne de participer au processus décisionnel de l'eurozone. Ce qui n'est pas une mauvaise chose en soi selon Edwin le Héron qui prend l'exemple de l'Union bancaire :
« Sur les réformes institutionelles comme l'Union bancaire, ce sont des réformes structurelles qui de toute façon devront s'appliquer à presque tous les pays européens et pas seulement à ceux de la zone euro. Mais quelque chose comme l'Union bancaire ou le contrôle des banques n'est pas mauvais pour un pays. Je pense que pour un pays, il est toujours mieux d'être dans la zone s'il veut contribuer et participer aux discussions qu'être en dehors pour ensuite devoir appliquer des choses qu'il n'a pas voulu. »L'économiste Ilona Švihlíková doute cependant de la capacité d'un pays comme la République tchèque d'influencer les décisions d'une eurozone aujourd'hui largement dominée par l'Allemagne, favorable à maintenir un euro fort dont souffre pourtant les pays du sud de l'Europe. Pour elle, l'opportunité d'adopter l'euro en cette période de trouble où « les contours de la zone » sont mal définis, n'est pas non plus une évidence. Surtout, Ilona Švihlíková estime qu'il sera difficile d'adopter les mesures concrètes permettant le passage à la monnaie commune :
« Il faut d’abord remplir certaines conditions, les critères de convergence. Nous ne respectons pour l'instant pas l’obligation de garder un taux de change fixe avec l’euro pendant deux ans sans dévaluation. C’est une décision politique qui est difficile du fait du manque de popularité de l’euro au sein de la société tchèque. Tout gouvernement qui s’engagera à adopter l’euro en subira des retombées critiques. La dévaluation de l’année dernière complique la situation encore plus. A l’heure actuelle, le taux de change avec l’euro serait très défavorable pour les Tchèques. »Les enquêtes d'opinion montrent en effet des répondants tchèques largement opposés à l'euro. Les Tchèques seraient attachés au caractère symbolique de la couronne, dont l'origine remonte à l'indépendance de la Tchécoslovaquie. Certains rétorquent que les Slovaques eux-mêmes étaient peu disposés vis-à-vis de l'euro, une monnaie qu'ils auraient fini par accepter.
La Banque nationale tchèque est quant à elle ouvertement en défaveur du passage à l'euro qui signifierait pour elle la perte d'une série de prérogatives. Son gouverneur Miroslav Singer considère que la question devrait être tranchée par référendum. Une manière de renvoyer l'adoption de cette monnaie aux calendes grecques partagée par une série de partis peu enclins à abandonner la couronne tchèque et la capacité de la République tchèque à faire jouer l'outil monétaire, ou qui considèrent simplement que le peuple doit se prononcer sur un tel bouleversement. Le parti social-démocrate et Bohuslav Sobotka ne partagent pas cette position. Le chef du gouvernement argumente ainsi :
« Quand nous sommes entrés dans l’Union européenne, nous étions d’accord sur le fait que nous adopterions l’euro. La question est désormais de savoir quand. Il ne peut donc pas y avoir de référendum sur l’adoption ou non de l’euro. C’est au niveau du Parlement et du gouvernement que nous devrions décider d’un timing adapté. »
Le caractère automatique de l'adoption à terme de l'euro en cas d'adhésion à l'Union européenne est pourtant sujet à caution. Vladimír Bartovic explique :« En ce qui concerne l’engagement d’adopter l’euro, il existe formellement. Mais il est inexigible, comme on peut le voir dans le cas de la Suède, pays qui fait exprès de ne pas remplir une des conditions d’adoption de l’euro pour ne pas devoir franchir le pas. Aucun pays n’est obligé d’adopter l’euro si cela est refusé par référendum ou si la volonté politique manque. »
Parfois, c'est la volonté populaire qui manque mais certains dirigeants politiques ne s'embarassent pas de telles considérations et Vladimír Bartovic de prendre l'exemple de la Lettonie, dont les habitants ont des euros dans leur portefeuille depuis le 1er janvier 2014.
C'est la voix que pourrait choisir le gouvernement tchèque qui, en cas d'adoption de l'euro, ne pourra plus compter sur la Banque centrale tchèque pour mener une politique monétaire indépendante et éventuellement pour décider une nouvelle dévaluation, comme celle débutée à l’automne dernier, visant à augmenter la compétitivité du pays. Sans cet outil, et si la République tchèque s'entête à respecter les critères de convergence afin de maintenir son déficit public sous la barre des 3% du PIB et de diminuer sa dette, il n’y a plus qu’une seule solution pour jouer le jeu de la concurrence européenne telle que voulue par Bruxelles. Il s'agit de la dévaluation interne qui consiste à baisser sans cesse les « coûts du travail ». Une solution catastrophique pour Ilona Švihlíková :
« Faire jouer les taux de change est un instrument important quand un pays est le sujet d’un choc asymétrique. Sans possibilité de dévaluer la monnaie, la dévaluation interne est alors la seule solution et elle signifie la baisse des salaires. C’est sans aucun doute une catastrophe, extrêmement douloureuse sur le plan social. La Grèce et l’Espagne illustrent cela parfaitement. »
Dans une prochaine rubrique économique, Radio Prague s'intéressera au rôle de la Banque centrale européenne et à celui que devra jouer la Banque centrale tchèque en cas d'adoption de l'euro.