De la pandémie de Covid-19 à la guerre en Ukraine, les Tchèques sont de plus en plus anxieux

Troubles du sommeil, états d’anxiété incontrôlables, impossibilité de se détendre… C’est ainsi que le président de la Société psychiatrique tchèque, Pavel Mohr, décrit les symptômes d’une santé mentale en berne. Ces symptômes, nombreuses sont les personnes à les avoir ressentis ces deux dernières années. En cause, la pandémie de Covid-19 et plus récemment la guerre en Ukraine qui est ressentie par les Tchèques comme particulièrement proche et qui leur rappelle à bien des égards 1938 ou 1968.

Photo illustrtative: Adrian Swancar,  Unsplash

Une semaine à peine après le début de l’invasion de l’Ukraine, la Télévision tchèque constatait une augmentation du nombre d’appels sur la ligne d’écoute d’aide psychologique (Linka první psychické pomoci) de 127%, sur celle destinée aux plus âgés (Linka důvěry Senior telefon) de 120% et sur celle destinée aux enfants (Linka bezpečí) de 115 %. Depuis le début de la guerre, la plupart des personnes qui cherchent à joindre ces services évoquent le conflit en Ukraine et la menace d’une troisième guerre mondiale.

Depuis, le nombre de personnes qui ont recours à ces lignes téléphoniques ou bien à des spécialistes de la santé mentale est en constante augmentation. C’est que la guerre en Ukraine intervient après deux années de pandémie qui ont fragilisé la santé mentale de la population.

Si les hommes politiques ont parlé à de multiples reprises de « guerre contre le Covid-19 », une véritable guerre et une pandémie ont-elles quelque chose en commun ?

Julie Dobrovolná, chef du département de métabolisme moléculaire et des maladies chroniques à la Faculté des sciences de l’Université Masaryk, a essayé de répondre à cette question :

Julie Dobrovolná | Photo: Ludmila Korešová,  Université Masaryk de Brno,  CC BY-SA 3.0

« Les pandémies et la guerre ont des caractéristiques communes. Pendant une guerre comme pendant une pandémie, des gens meurent, les infrastructures essentielles et les activités quotidiennes normales de la population peuvent être perturbées, les stocks d’approvisionnement ou les services médicaux peuvent être interrompus. Comme on peut avoir peur d’une guerre qui fait rage dans une région du monde qui n’est pas la nôtre, on peut aussi avoir peur d’une pandémie même si elle n’est pas encore ‘arrivée’ dans notre région.

Néanmoins, une situation de guerre réelle est différente d’une pandémie à bien des égards : le virus n’est pas une idéologie, c’est un phénomène biologique. Alors que, dans une pandémie, nous combattons un phénomène biologique, dans une guerre, nous combattons un ennemi humain plus ou moins distinct, ce qui apporte un fardeau supplémentaire. Qu’un être humain tue un autre être humain est extrêmement stressant. »

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Cette situation extrêmement stressante, nous l’éprouvons tous d’une façon différente. Certains éprouveront davantage de culpabilité et d’impuissance, alors que d’autres seront davantage en proie à la colère et que d’autres se sentiront paralysés par leur anxiété. Pour d’autres, la guerre pourra avoir pour conséquence un sentiment de profonde déconnexion avec leur vie quotidienne.

Certaines personnes sont plus confrontées au stress que d’autres, et selon les observations d’Anna Stanislavová, secrétaire de l’Association tchèque de psychothérapie, cela peut être dû à la proximité que l’on a avec les personnes directement touchées par la guerre :

« Parmi nos patients, il y a de plus en plus de personnes avec des professions médicales et paramédicales, des membres des pompiers et des forces de police qui coordonnent d’une manière ou d’une autre une aide spécifique, ainsi que des bénévoles qui travaillent à la gare, etc. »

Selon les spécialistes, les médias peuvent également jouer un rôle considérable dans le stress lié à la guerre en Ukraine. Julie Dobrovolná :

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« On peut certainement affirmer que l’exposition massive à une grande quantité de mauvaises nouvelles provenant des médias exacerbe considérablement l’anxiété chez une partie de la population, mais pas chez tout le monde. Je pense que nous pouvons nous aider en contrôlant quelles informations nous consommons et quand. Je ne diaboliserais pas la réception d’informations provenant des médias, car elles permettent aussi d’organiser l’aide et le soutien à la population, mais j’encouragerais plutôt une utilisation raisonnable des ressources à notre disposition. »

C’est que si elle effraie, la guerre fascine aussi, car elle rend évident le passage du présent à la grande histoire en temps réel. Selon Julie Dobrovolná, l’intérêt pour un conflit en cours est également naturel pour l’être humain :

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« Le grand intérêt porté à la guerre en période de conflit s’explique aussi par le désir de surveiller la situation afin d’assurer une sécurité maximale pour soi et pour ses proches. »

Le stress qui résulte de cet intérêt et de ce désir de protéger son entourage n’est de fait pas une mauvaise chose en soi :

« Plutôt que ‘comment résister au stress de la guerre’, je préférerais la question de ‘comment laisser le stress de la guerre me traverser pour qu’il ne me fasse pas de mal’. Il est bon de se rappeler que le stress est une réaction adaptative. C’est une réaction qui a un but, celui d’améliorer nos chances de survie. »

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Lorsqu’il devient trop difficile à vivre et qu’il nous empêche de réaliser nos tâches quotidiennes, on peut adopter diverses stratégies pour le combattre :

« Je voudrais souligner qu’il n’y a pas une bonne et unique stratégie qui fonctionnera pour tout le monde pour faire face au stress causé par la guerre. Une stratégie est bonne lorsqu’elle fonctionne sur soi. Il y a des gens qui ont besoin d’être impliqués autant que possible dans les activités quotidiennes et il y en a d’autres qui manquent d’une telle implication. Ces stratégies d’adaptation peuvent être très diverses et individualisées. »

Un professionnel de la santé mentale peut aider à lutter contre ce stress et cette anxiété. Pour trouver de l’aide, outre les lignes téléphoniques évoquées plus tôt, divers sites web existent comme celui de l’Institut national de la santé mentale tchèque https://www.opatruj.se/ ou celui de l’organisation à but non lucratif https://www.terapie.cz/ ou-encore celui de la clinique sociale de Prague https://www.socialniklinika.cz/. Certaines institutions proposent même des consultations gratuites.