« Darkening », le premier film d’animation tchèque en réalité virtuelle

'Darkening'

Que se passe-t-il dans la tête d’un jeune atteint de dépression ? C’est à cette question que s’efforce de répondre « Darkening », un court-métrage d’animation en réalité virtuelle. Présenté à la Mostra de Venise, le film a été récemment nommé aux prix cinématographiques Lions tchèques. « Darkening » est à voir au centre d’art contemporain DOX à Prague jusqu’au 12 février.

« Darkening » (« Tmání » en tchèque) retrace la lutte contre la maladie mentale du réalisateur Ondřej Moravec, depuis son enfance jusquà sa vie d’adulte. Le principal intéressé a témoigné pour Radio Prague International :

Ondřej Moravec | Photo: Anaïs Chesnel,  Radio Prague Int.

« Je suis confronté à la dépression depuis quinze ans et mon but était donc de sensibiliser les gens à cette maladie, parce que j’ai toujours l’impression qu’il y a beaucoup de stigmatisation. Beaucoup de gens refusent de parler de leurs problèmes de santé mentale. Néanmoins, la manière dont on considère cette maladie s’améliore lentement, et je pense que c’est important. »

Ondřej, le personnage principal, accompagne le spectateur dans ce voyage. Nous partageons ses sentiments lors de ses premiers épisodes dépressifs à l’école primaire, puis à l’université, lorsqu’il s’efforce tant bien que mal d’obtenir de bons résultats, et enfin dans sa vie d’adulte lors de batailles quotidiennes avec la maladie.

'Darkening' | Photo: Ondřej Moravec

Avec lui et tout en traversant une histoire interactive, le spectateur touche littéralement son monde et peut ainsi prêter main forte au héros. Un instant, le film permet d’expérimenter et de comprendre le quotidien d’une personne dépressive. Le court-métrage invite également le public à tester des mécanismes pour se sentir mieux.

Un débat sur la santé mentale

« Darkening » ouvre un débat sur la santé mentale et offre l’espoir qu’il est possible de mener une vie bien remplie malgré la dépression. Bien loin, donc, de certaines représentations stéréotypées, selon la productrice du film Hana Blaha Šilarová :

Hana Blaha Šilarová | Photo: Anaïs Chesnel,  Radio Prague Int.

« Intégrer des personnages qui ont des problèmes de santé mentale dans les films de fiction serait une bonne chose, selon moi. Ces personnages sont généralement dépeints de façon stéréotypée, à savoir que la personne dépressive est dans l’impossibilité de faire quoi que ce soit. Nous pourrions ainsi voir plus de caractères en 3D qui, tout en souffrant de dépression ou de problèmes psychiques, parviennent à mener une vie normale. »

Le réalisateur de « Darkening » considère, lui, que la réalité virtuelle permet une meilleure approche du sujet :

« Je pense c’est un des sujets que certains cinéastes traitent, mais pas assez souvent. Selon moi, la réalité virtuelle permet de voir les choses sous un angle un peu différent, la perception d’une personne peut avoir une intensité différente. »

'Darkening' | Photo: Ondřej Moravec

L’animation en 3D

Le film peut être regardé avec des lunettes spécialement conçues pour la réalité virtuelle. Le spectateur est entièrement mis à contribution durant les vingt minutes de visionnage. Il s’agit alors parfois pour lui d’utiliser sa propre voix ou de ramasser des objets imaginaires. Cette expérience unique, qui plaira donc aux cinéphiles comme aux amateurs de jeux vidéo, permet également aux créateurs du court-métrage de dresser un lien direct avec le public, et ce, à la différence des films classiques, comme l’explique la productrice :

Des lunettes conçues pour la réalité virtuelle | Photo: ČT24

« J’aime beaucoup ce médium qu’est la réalité virtuelle parce qu’il ajoute une dimension supplémentaire au film pour mieux nous exprimer. L’expérience m’a vraiment ouvert les yeux parce que certaines choses sont similaires aux films classiques : par exemple, il faut avoir un script. L’animation en 3D est tout à la fois similaire et différente dans le sens où, en tant que productrice, il vous faut penser à d’autres choses que pour la production de films plus classiques. Il faut penser à l’interactivité, à ce qui peut se passer si le public réagit ou, au contraire, ne réagit pas… Et vous devez penser à beaucoup de dimensions en termes d’animation puisque vous avez un monde 3D en 360 degrés autour de vous. »

'Darkening' | Photo: Ondřej Moravec

C’est justement lors de la création du film que l’équipe de réalisation a eu l’idée de proposer le visionnage de « Darkening » à un public plus ciblé. L’histoire se déroulant lorsque le personnage principal est âgé de dix à vingt ans, des projections sont régulièrement proposées dans des écoles tchèques pour aborder le sujet de la santé mentale à l’adolescence, avec l’accompagnement d’un psychologue. Une idée accueillie avec beaucoup d’enthousiasme selon Ondřej Moravec :

« Jusqu’à présent, l’accueil du public est très positif. Nous proposons des programmes intensifs dans les écoles. Nous nous rendons dans trois écoles chaque semaine pour discuter avec les élèves des problèmes de santé mentale. Je suis très surpris de voir à quel point les élèves sont ouverts à la discussion. Ils nous racontent les problèmes qu’ils ont chez eux ou à l’école. Cela ne les concerne pas tous, bien sûr, mais à leur âge, je ne me serais jamais imaginé faire part de mes problèmes devant toute la classe. J’ai l’impression que les gens sont aujourd’hui plus ouverts pour partager ces choses sensibles. »

La première à la Mostra de Venise

Interrogée sur sa réaction face au succès du film, alors que le court-métrage a notamment été projeté en septembre dernier au Festival international du film de Venise, la productrice Hana Blaha Šilarová explique :

'Darkening'

« Bien sûr, nous espérions que beaucoup de gens voient le film et quand nous avons été très heureux d’assister à sa première à Venise. C’était très prestigieux. Mais pour être honnête, nous proposons maintenant des projections dans les écoles et quand je vois les adolescents s’ouvrir sur le sujet de la santé mentale, cela me procure une plus grande joie encore. Je pense d’ailleurs que c’est le plus grand succès que nous pouvions espérer. »

Un autre succès se dessine peut-être puisque « Darkening » a été nommé pour les prix du Lion tchèque 2023, décernés par l’Académie du cinéma et de la télévision. Une nomination exceptionnelle pour l’équipe du court-métrage, comme en témoigne le réalisateur :

Photo: Anaïs Chesnel,  Radio Prague Int.

« J’étais vraiment heureux et je ne m’y attendais pas, parce que le cinéma tchèque est très fort en animation. Il existe une longue tradition et beaucoup de grands cinéastes. Il s’agit du premier projet tchèque en réalité virtuelle qui figure dans la catégorie du meilleur film d’animation. Désormais, il ne nous reste plus qu’à attendre la décision finale de l’Académie. »

La cérémonie de remise des prix, qui fêtera son trentième anniversaire cette année, se déroulera le 4 mars. D’ici-là, le film continue de figurer au programme du centre DOX jusqu’à la mi-février, avec la possibilité pour ce dernier mois de projection de partager ses expériences lors d’un débat avec le réalisateur.

https://www.dox.cz/program/tmani