De Madrid à Munich

Léon Blum
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Durant cette année 2008, nous célébrerons les 70 ans de la crise de Munich, qui a vu en 1938, l’Allemagne dépecer peu à peu la Tchécoslovaquie. Focus aujourd’hui sur les réactions d’un homme politique français face à cette crise majeure du siècle dernier : Léon Blum, président du Conseil en 1936 et en 1938. Ou comment, de la guerre d’Espagne à l’invasion de la Tchécoslovaquie, la diplomatie française est restée sur la défensive.

Léon Blum
Nous sommes en 1938. Hitler vient d’annexer l’Autriche et il se prépare à faire de même avec la Tchécoslovaquie. A partir du 27 juillet, Londres envoie Lord Runciman tenter de négocier à Prague avec Konrad Henlein, le représentant du parti nazi des Sudètes. Léon Blum écrit alors, dans une sorte d’avertissement à ses amis anglais : « pour qu’on parvienne à une solution équitable, il est nécessaire que l’influence anglaise se fasse sentir à Berlin au moins autant qu’à Prague (...). La France ne voudrait pas que la pression des puissances amies put conduire aux mêmes résultat que la menace d’un coup de force hitlérien ».

Edouard Daladier
Depuis juin, Léon Blum n’est plus président du Conseil et c’est Edouard Daladier qui le remplace à ce poste. Mais souligner des conséquences similaires entre les choix anglais et les orientations allemandes, voilà qui est provocant. La volonté est pourtant d’abord salutaire, car Blum espère encore infléchir la diplomatie britannique.

Il faut dire que dès décembre 1936, les autorités tchécoslovaques fournissent des informations pour le moins inquiétantes. De passage à Prague en décembre 1936, Robert Blum, le frère de Léon, aurait appris de la part d’Edouard Beneš que les Soviétiques s’apprêtaient à passer un accord avec Berlin. Ce dont il informe immédiatement Léon. En fait, il se serait agi de manœuvres de désinformations conduites par les nazis eux-mêmes et visant à pousser Staline à exécuter le maréchal Toukhatchevski, l’un des meilleurs chef de l’armée russe. Rien n’est sûr dans cette affaire, mais l’histoire est étrangement prophétique.

A partir de septembre 1938, la crise de Munich bat son plein, Léon Blum comprend que l’initiative anglaise ne vise qu’à donner satisfaction à Hitler. Et il voit alors le lien direct entre cette dernière capitulation et la guerre qui approche, nous le citons : « il n’est pas possible que la souveraineté et l’indépendance de la Tchécoslovaquie lui soient maintenant arrachées lambeau par lambeau. Ce qui est en cause, c’est le sort de la liberté en Europe, Grande-Bretagne et France comprises ».

Neville Chamberlain et Adolf Hitler
Une certaine fatalité ainsi qu’une forte auto-critique imprègnent les discours de Blum lors de la signature des accord de Munich. Ecoutons-le à nouveau à propos de la visite du premier ministre anglais Neville Chamberlain et du président du Conseil français Edouard Daladier en Allemagne : « le gouvernement britannique a cédé devant l’ultimatum allemand. Le gouvernement français a donné son acquiescement pur et simple à un plan qui mutile le territoire tchécoslovaque (...) La partie d’Hitler est gagnée contre l’Angleterre et la France. Son plan est devenu le leur. C’est elles qui l’ont présenté à la Tchécoslovaquie ».

Au lendemain de la signature, Léon Blum affichera un court soulagement, qui aura tôt fait de l’assimiler aux « munichois », c’est-à-dire, dans le langage de l’époque, aux défaitistes. Bien sûr, rien n’est plus faux, la lucidité des discours que l’on a cités le prouve assez. Pacifiste convaincu à l’instar d’une société française en crise, Léon Blum a pu avoir des moments de faiblesse. Il n’en a pour autant jamais été dupe et a su s’engager, même un peu tard.

Il suffit de penser à la guerre d’Espagne, qui illustre, deux ans avant Munich, les mêmes tensions diplomatiques. Léon Blum est alors le président du Front Populaire, au pouvoir en France. Ce rassemblement de socialistes, communistes et radicaux a un frère jumeau en Espagne : le Frente Popular, qui doit bientôt affronter la rébellion franquiste. Blum est pris entre ses velléités de paix et sa conviction antifasciste, doublée de la volonté d’aider un Etat allié.

Léon Blum
Mais, comme pour Munich plus tard, le gouvernement français est soumis à une rude pression britannique. L’Angleterre fait savoir qu’en cas d’aide française, elle restera neutre et que son alliance avec la France pourrait même être compromise.

Cette situation poussera Blum, à partir de 1938, à pratiquer le concept de « non-intervention relâchée », soit des livraisons non officielles d’armements ou d’hommes. C’est dans cet état d’esprit que Blum affronte Munich. Le Blum totalement pacifiste est déjà revenu de ses illusions.

Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que Léon Blum associe les destinées espagnoles et tchécoslovaques dans un autre de ses discours. En mars 1939, les Allemands ont envahi ce qui restait de la Tchécoslovaquie indépendante. Six mois plus tard, en août, c’est la signature du pacte germano-soviétique. Blum réagit en ces termes : « l’étonnement redouble quand on se souvient que l’horreur et la haine du communisme sont les sentiments par lesquels Hitler a prétendu justifier toutes ses entreprises récentes, y compris de la destruction de la République espagnole et de la République tchécoslovaque. »