De Terezin à Auschwitz
Dans le cadre de la commémoration de la libération du camp d'Auschwitz, nous revenons aujourd'hui sur le cas spécifique qu'y représentèrent les Juifs tchèques. Transférés de Terezin en septembre 1943, ils sont regroupés au sein du camp dit des familles. Ils y connaissent des conditions d'existence privilégiées, qui ne les empêcheront pas de finir dans les chambres gaz. Des 15 711 juifs tchécoslovaques déportés à Auschwitz, on ne comptera que 70 survivants.
"J'avais cessé de penser et de sentir. C'était la seule aide que la nature nous donnait pour conserver notre équilibre". Zdenka Fantlova, juive tchèque déportée à Auschwitz, évoque le choc du premier contact avec le camp.
A peine arrivé, la rampe de sélection et la brutalité des SS ne laissent guère d'illusion sur l'issue du séjour à Auschwitz. Des cheminées crachant des monstres de fumée, c'est ce que de nombreux détenus se rappelleront avoir remarqué dès leur sortie des wagons.
Dans cet enfer, la situation des Juifs tchèques fut bien spécifique. Transférés de Terezin en septembre 1943, un premier convoi de 5 600 Juifs est regroupé dans le camp dit des familles. Les détenus y bénéficient d'un traitement particulier : ainsi parents et enfants ne sont pas séparés. Plus étonnant, les femmes peuvent y accoucher, alors que les autorités du camp ordonnent de noyer tout bébé à sa naissance.
Ces conditions privilégiées reflètent, on le verra, l'irrationalité même d'Auschwitz. Elles sont en tout cas notables au vu de la situation des Juifs dans le camp.
Dans son livre "Hommes et Femmes à Auschwitz", Hermann Langbein explique bien la hiérarchisation existante au sein même des détenus. Allemands verts - détenus de droit commun - Polonais ou Ukrainiens dit "Volksdeutsche", c'est-à-dire de souche allemande, se voient déléguer par les SS des tâches de direction et d'encadrement.
Juifs et Tziganes sont les plus exposés, situés tout en bas de l'échelle sociale - ou plutôt "raciale". Signes visibles de la discrimination, les colis, autorisés par une circulaire d'octobre 1942, ne concernent que les "Aryens", c'est-à-dire les non-Juifs.
Ilot surnageant dans un océan de barbarie, le camp des familles d'Auschwitz durera 10 mois. Il devra ses conditions privilégiées au rôle actif des sionistes tchèques et en particulier à l'énergie d'un homme : Freddy Hirsch. Personnage charismatique et énergique, il occupe les fonctions de lagercapo dans le camp des familles.
S'étant entouré de jeunes qui s'occupaient déjà d'éducation à Terezin, il rassemble les 700 enfants du convoi et parvient à leur fournir une meilleure nourriture. Il réussit également à leur faire construire une école, sous prétexte de leur enseigner l'allemand. D'après Anna Hoffmann, détenue du camp des familles, "les enfants apprenaient seulement quelques phrases d'allemand en cas d'inspection. Nous leur donnions des leçons de sociologie tchèque ou de judaïsme. En cas de visite, les enfants ânonnaient des poésies allemandes, au garde-à-vous."Anna Hoffmann évoque une exposition de jouets construits par les enfants et qui suscita l'admiration des SS. Une petite fille avait utilisé des images tirées du Blanche neige de Walt Disney. Impressionnés, les Allemands demandèrent eux-mêmes aux enfants d'en faire une représentation. Freddy Hirsch était chargé de l'organisation et de la mise en scène. Le franc succès de la pièce permit une amélioration des conditions de vie pour les mères et les enfants du camp des familles. Celui-ci fut même pourvu d'un jardin d'enfants avec une clôture en bois, sans barbelés.
Le dossier des Juifs tchèques, transférés le 8 septembre 1943, portait la mention : SB-6mois. Le 8 mars 1944, le délai était arrivé à terme et une mécanique exterminatrice de précision allait se mettre en marche. Des rumeurs ayant filtré, Freddy Hirsch et d'autres détenus furent mis au courant. On fit alors le projet d'incendier Birkenau afin de ralentir la marche des événements. Le mot d'ordre avait été diffusé dans les crématoires. Mais rien ne passa. Freddy Hirsch fit une tentative de suicide et, le lendemain, il fut conduit aux chambres à gaz inconscient, avec 3 791 autres détenus. On sait que les Allemands lui proposèrent de rester dans le camp des familles avec le 2ème convoi en provenance de Terezin, qui sera à son tour décimé en juillet 1944. L'action de Freddy Hirsch au sein du théâtre des enfants aura permis de sauver environ 70 jeunes, placés dans le camp des hommes et finalement rescapés.
Dans l'esprit de nombreux détenus, il était nécessaire que le monde entier sache ce qui se passait à Auschwitz. D'autant plus qu'à partir de 1944, les nazis tentent d'éliminer toute trace de la machine d'extermination. Citons l'action de deux Juives tchèques, Waleria Walova et Vera Foltynova, employées à la direction des bâtiments de la Waffen SS. Elles reproduirent des plans des crématoires et des chambres à gaz et les firent parvenir en Tchécoslovaquie. Elles y ajoutèrent des renseignements sur les expériences du docteur Mengele, évoquant le cas des jumeaux.Alors que des enquêtes récentes pointent des lacunes dans la connaissance de l'Holocauste en République tchèque, souhaitons que l'action de ces deux femmes n'ait pas été vaine.