Des camps aux camps
Le 16 septembre dernier est sorti en France, « l’Armée du Crime », de Robert Guédiguian. Ce film évoque le destin du groupe Manouchian, l’un des seuls mouvements résistants français à pratiquer l’action directe contre l’occupant. Formé en majorité de Juifs d’Europe centrale, il ne comptait aucun Juif tchèque. Retour, aujourd’hui, sur la situation des Juifs tchèque en France pendant l’occupation.
Que sait-on des Juifs tchèques et immigrés en France pendant les années 30 ? Leur dénombrement n’est pas aisé car les statistiques de l’époque évoquent de manière indifférenciée Juifs tchèques, allemands et autrichiens, soit environ 50 000 individus immigrés en France depuis l’accession au pouvoir de Hilter en 1933. Une chose est sûre : la part des Juifs tchèques exilés en France reste modeste comparée à leurs coreligionnaires polonais, allemands ou roumains. Les chiffres concernant l’installation des Juifs étrangers à Nice de 1900 à 1944 sont à ce titre parlants : sur 5 100 Juifs, on compte 256 Tchécoslovaques, soit environ 5 %, les plus grands groupes étant formés par les Juifs polonais (34 %) et allemands (14,5 %). Si l’on trouve si peu de Juifs tchèques, c’est d’abord parce qu’ils n’avaient pas à fuir de porgroms ou une politique d’ Etat antisémite, la Tchécoslovaquie de Masaryk ne connaissant pas un phénomène répandu parmi ses voisins.
Une fois la Bohême occupée, certains Juifs tchèques choisissent la France comme terre d’asile. Historien tchèque d’origine juive, Peter Speilmann évoquait sur nos ondes le destin de l’un des membres de sa famille pendant la guerre : « Max était un architecte connu à Prague, il avait notamment construit l’édifice de la Banque de Pečkárna, à Prague. Avec l’occupation, l’édifice devint le centre de la Gestapo, ce qui est complètement absurde, et on y exécutait des Tchèques, juifs et non-juifs. Max réussit à émigrer et, pendant la guerre, il vécut dans le sud de la France. »
Qu’il soit tchèque, polonais ou hongrois, le sort de l’immigré juif dans la France des années 30 est assez peu enviable, entre crise économique et montée de l’antisémitisme. Comme le précise l’édition du 23 février 1939 du Matin, les nouveaux immigrés sont soumis « à une surveillance spéciale permanente dans l'intérêt de l'ordre ou de la sécurité publics ». On connaît la phobie d’une cinquième colonne qui serait constituée, sous couvert d’exil politique, d’espions du Reich ! A partir d’avril 1938, une série de lois et de réglements augmente le contrôle des étrangers et dès février 1939, soit 7 mois avant le début de la guerre, des camps voient le jour en France. Destinés d’abords aux réfugiés de la guerre d’Espagne, les camps d‘Argelès-sur-Mer ou de Saint-Cyprien enferment bientôt des ressortissants juifs d’Europe centrale, dont des Tchèques. Nous sommes encore sous la IIIe République !
Une fois la France occupée, les nazis n’auront souvent qu’à se servir parmi ceux qui les avaient fui ! Le régime collaborateur du maréchal Pétain prône très vite une politique antisémite, par ailleurs autonome de l’occupant. Si l’ensemble des juifs de France est mis au ban de la société par une série de lois discriminatoires, les Juifs étrangers sont les premiers visés par Vichy.
Le 14 mai 1941, la police française envoie une lettre de convocation à plusieurs Juifs étrangers, tchèques, polonais ou apatrides vivant à Paris et alentour. On leur demande de se rendre, accompagné d’un membre de leur famille, qui à la caserne de Napoléon, qui au gymnase Japy, qui à la caserne des Minimes. Motif invoqué : simple examen de situation. C’est en fait une véritable rafle, dans laquelle 157 Juifs tchèques notamment sont pris. Ils seront internés dans les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande.
Même scénario lors d’une action de représailles faisant suite à l’assassinat de deux officiers de la Luftwaffe à Paris. Des otages sont choisis dans les groupes de travailleurs étrangers. De nombreux Juifs tchèques et polonais sont arrêtés et déportés dans le camp de Gurs. Parmi les Tchèques, des anciens combattants de 1940 et des membres de la Légion Etrangère. On compte également un rabbin de 65 ans. Dernier exemple avec la rafle du Vél D’Hiv, en juillet 1942, qui vise en priorité les Juifs étrangers.
Sur les 75 000 Juifs déportés de France vers les camps de la mort, 47 000 furent des Juifs étrangers. On ne connaît pas le nombre précis de Juifs tchèques concernés mais une chose est sûre : pour ceux qui avaient déjà connu les camps d’internement de la fin des années 30, l’illusion d’un refuge s’était de toute façon dissipée dès avant l’occupation.