Hradištko : un autre camp de concentration nazi en Bohême, avec 156 Français parmi les victimes

Le camp de concentration Hradištko

En ce 8 mai, retour sur un chapitre assez méconnu de l’histoire des crimes nazis en Bohême : celui du camp de concentration Hradištko (Hradischko en allemand), situé à une cinquantaine de kilomètres au sud de Prague.

Plusieurs centaines de déportés de différentes nationalités y ont été enfermés pour y faire des travaux forcés et nombre d’entre eux y ont été assassinés par balles, dont plusieurs dizaines de Français en avril 1945.

Grâce en grande partie au courage de František Suchý, directeur du crématorium de Prague-Strašnice, les restes de ces victimes ont pu être identifiés en dépit des directives nazies et remis à leurs familles (bien plus tard en ce qui concerne les victimes espagnoles). 

Le résistant Eugène Naizot en faisait partie, assassiné le 11 avril 1945. 6304 était son numéro de matricule – c’est aussi le titre du livre publié aux éditions MAN par son petit-fils Jean-François Naizot, qui a répondu aux questions de RPI. Extraits de cet entretien à écouter dans son intégralité en appuyant sur Lecture : 

Est-ce que vous vous souvenez de la première fois où vous avez entendu le nom de Hradištko ?

Jean-François Naizot | Photo: YouTube

Jean-François Naizot : « Je l'ai entendu, ou je l'ai lu plutôt sur les lettres de mon grand-père que l'on avait récupérées et qui avaient été envoyées par mon grand-père ou adressée à mon grand-père lorsqu'il était dans ce camp de Hradištko. Et puis ensuite bien sûr avec l’association de déportés de Flossenbürg et Hradištko. »

Quand avez-vous découvert ces lettres ?

« Tardivement, il y a au moins une dizaine d’années, ma sœur les avait récupérées avec beaucoup de documents dans un sac et de boîtes. J’ai ensuite lu toutes ces lettres. »

Pouvez-vous retracer le parcours de votre grand-père, qui était dans la Résistance, à partir de son arrestation en France par la Gestapo ?

Eugène Naizot | Source: Médiathèque JHP Routot

« Il a été arrêté le 31 aout 1943 à Dijon par la Gestapo, incarcéré à la prison de Dijon puis au camp de Royallieu à Compiègne, un camp de transit. Il a été ensuite déporté début 1944 vers Buchenwald puis vers Flossenbürg et enfin à Hradischko/Hradištko, un ‘Kommando de Flossenbürg’ où il est resté près d’un an. »

Entre 500 et 600 prisonniers, dont beaucoup de Français

Qu’avez-vous appris dans vos recherches sur les profils de ces déportés de Hradischko/Hradištko ?

« À l’origine le camp était destiné aux prisonniers russes, il y a quelques photos où on en voit. Il y avait pas mal de ressortissants des pays de l’Est, beaucoup de Français – des prisonniers politiques donc essentiellement des résistants, beaucoup de Belges, d’Espagnols – essentiellement des résistants aussi. »

« C’était un petit camp, il y avait entre 500 et 600 prisonniers, dont beaucoup de Français donc. Quand je présente les camps, c’est vrai qu’il y a une graduation dans la dureté et la survie dans ces camps. Dans ces camps de travail on n’y mourrait pas comme dans un camp d’extermination comme Auschwitz ou Dachau, on y faisait travailler les gens et on les laissait mourir à petit feu sans trop les nourrir ni les soigner. »

Le camp de concentration Hradištko | Photo: Archives de la commune de Hradištko

« Hradištko est un camp avec un degré moindre dans le travail, car tenu par des SS plus vieux et bedonnants. Cela restait quand même un camp de concentration. Il y avait un camp de formation de jeunes SS non loin de là. Les internés travaillaient à creuser une canalisation puis une tranchée anti-char pour ralentir la progression des Russes. »

« Le travail était très très dur, ils subissaient des sévices mais c’était légèrement moins dur que dans d’autres camps de travail, cependant beaucoup sont également mort d’épuisement et de maladies dans ce camp de Hradištko. »

Dans un documentaire réalisé avec des survivants français de Hradištko, plusieurs d’entre eux racontent que des civils tchèques ont été solidaires malgré le danger encouru, avec notamment des dons furtifs de nourriture. Il faut rappeler que les historiens estiment qu’environ 17 000 personnes avait été évacuées du coin par les nazis…

« Oui, les communes environnantes ont été vidées de leur population pour éviter les contacts avec les prisonniers. La population tchèque, asservie, torturée mentalement et physiquement et déportée par les nazis, était naturellement solidaire de ces prisonniers dans une grande mesure. »

Assassinés, « comme au ball-trap ou à la fête foraine,  pour amuser les jeunes SS »

Les conditions dans le camp se font de plus en plus difficiles à mesure que les Allemands perdent du terrain sur tous les fronts – on interdit aux déportés toute correspondance et on réduit les rations d’eau, puis arrive ce mois d’avril 1945 où la cruauté nazie va s’exprimer : les déportés vont être obligés de marcher puis de se coucher pendant que de jeunes SS leur tirent dessus à la mitraillette…

Le camp de concentration Hradištko | Photo: Archives de la commune de Hradištko

« Oui, mitraillettes et fusils, un vrai ball-trap ou comme dans une fête foraine, un amusement inconcevable et inhumain – on ne sait quel était le degré d’humanité de ces SS. Ils se sont amusés à leur tirer dessus pendant trois jours. »

« La libération des camps était proche, la progression des Russes était rapide, la jonction avec les Américains était imminente. Donc ils voulaient laisser le moins de traces possibles de leurs exactions. Mon grand-père ou le père de Michel Clisson notamment n’avaient été que blessés, mais ils les ont fusillés aussi dans la forêt. »

Michel Clisson, fils de déporté assassiné à Hradištko, dans un entretien datant de l’année 2000 :

« Il n’y avait pas de crématoire à Hradištko et les corps ont été transportés vers Prague pour être incinérés au crématorium de Strašnice, dans des conditions que les familles ont ignorées en mai 1945, quand les camarades rentrant en France leur annonçaient les tristes nouvelles. Nous avons néanmoins su par la suite que le numéro de matricule avait bien été indiqué sur les corps et que les urnes avec les cendres avaient été traitées par le personnel de Prague de manière à les identifier. »

Le sentier éducatif sur des prisonniers français | Source: Posázaví o.p.s

František Suchý, héros du crématorium de Strašnice

František Suchý avec sa mère et père,  le directeur du crématorium de Prague-Strašnice en 1929 | Photo: Archives de František Suchý ml./Paměť národa

Il y a eu une conférence ce mardi avant une cérémonie ce 8 mai 2024 à Hradištko, en présence de nombreux Basques espagnols car il y a aussi cette histoire dans l’histoire, celle de František Suchý, directeur du crématorium de Prague-Strašnice, grâce à qui les restes de ces victimes ont pu être identifiés - en dépit des directives nazies - et remis à leurs familles (bien plus tard en ce qui concerne les victimes espagnoles)…

Jean-François Naizot : « On va dire que c’est la suite et fin de ces événements tragiques. J’y fais référence dans l’épilogue de mon livre. Le fait qu’il n’y ait pas de four crématoire à Hradištko a permis que les cendres de mon grand-père, entre autres, puissent être identifiées. Pour ces Basques, cela a duré bien plus longtemps. Mais le fait pour nous d’avoir cette urne funéraire a permis à ma famille dans une certaine mesure de faire son deuil, ce qui n’a pas été le cas de tous. »

Des espagnols à Hradištko,  la conférence ce mardi avant une cérémonie ce 8 mai 2024 à Hradištko | Source: Obecní knihovna Hradištko

« Ma grand-mère était assez influente, mon grand-père aussi – cela a dû jouer également. Dijon était dirigé par le Chanoine Kir, qui a d’ailleurs donné son nom au kir, à basse de vin blanc et cassis ! Ancien résistant, il a peut-être pu aussi usé de son influence pour récupérer ces restes. »

Quelle a été votre expérience sur place en Tchéquie, quand vous êtes venus à Hradištko pour vos recherches ?

Lucie Hašková | Photo: Barbora Kvapilová,  ČRo

« Je ne connaissais pas du tout ce pays. J’ai été frappé par la beauté des lieux et le contraste avec les horreurs qui s’y sont passées. Je m’imaginais mon grand-père sur ces lieux, j’y étais guidé par Lucie Hašková (bibliothécaire pour la commune de Hradištko) et c’était très émouvant. Il y a son nom sur l’un des panneaux. Je considère qu’une partie de l’âme de mon grand-père est là-bas et on va essayer d’y retourner l’année prochaine avec ma sœur pour le 80e anniversaire de la libération du camp. Une partie de mon âme et de mon esprit est là-bas. »

Le reste du camp de concentration Hradištko | Photo: Barbora Kvapilová,  ČRo

On sent la commune de Hradištko assez engagée sur ce sujet…

« Oui et je trouve formidable d’honorer cette mémoire, surtout quand on voit ce qui se passe en ce moment en Europe avec la résurgence de certaines idées. Que ce soit pour ça dans ce petit village ou pour la Shoah, il faut continuer d’entretenir cette mémoire. »

Hradištko et Štěchovice | Photo: Miloš Turek,  Radio Prague Int.
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Un film réalisé par une équipe basque sur l’histoire du camp de Hradištko et sur le destin des victimes et de leurs dépouilles est actuellement en cours de tournage.