Jan Masaryk : une histoire vraie

Плакат фильма о Яне Масарике, справа Ян Масарик, Фото: коллаж «Радио Прага»
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Il n’est pas facile d’être le fils d’un grand homme. Jan Masaryk, fils du premier président tchécoslovaque Tomáš Garrigue Masaryk, a cherché pendant toute sa vie à poursuivre et à défendre l’œuvre de son père mais il a parfois manqué de forces et de chance. Une biographie de Jan Masaryk, sous-titrée Pravdivý příběh (Histoire vraie), a récemment été republié dans sa troisième édition à l’occasion de la sortie du film évoquant un épisode de la vie de ce brillant diplomate et ministre broyé par les rouages de l’histoire.

Un fils récalcitrant à l’autorité paternelle

'Jan Masaryk - Histoire vraie',  photo: Mladá fronta
La vie de Jan Masaryk, qui s’étend sur plusieurs étapes importantes de l’histoire diplomatique et politique tchécoslovaque du XXe siècle, est le sujet du livre que ses auteurs, l’écrivain Pavel Kosatík et l’historien Michal Kolář, ont appelé Histoire vraie. Né en 1886 dans la famille du professeur Masaryk, Jan qui est le chouchou de la famille, se sent aimé mais aussi écrasé par l’autorité paternelle. Sa jeunesse est donc marquée par une certaine résistance à ce père qui sera président de la République. Piètre étudiant, il est envoyé par son père à la veille de son baccalauréat aux Etats-Unis où il travaillera dans des fonderies et effectuera beaucoup d’autres travaux. Il ne revient à Prague que neuf ans plus tard, au moment où l’Europe est déjà menacée par le cataclysme de la Grande Guerre.

Curieusement, c’est dans la guerre que ce jeune homme, qui cherchait en vain sa place dans le monde, se ressaisit et arrive même à faire carrière. Tandis que son père prépare à l’étranger la désintégration de l’Autriche-Hongrie et la naissance de la Tchécoslovaquie, il est soldat dans l’armée austro-hongroise et achève son service au grade de lieutenant décoré d’une médaille d’argent.

Jan Masaryk,  photo: Library of Congress
Après l’effondrement de l’Empire austro-hongrois, Tomáš Garrigue Masaryk devient président de la nouvelle République tchécoslovaque et son fils entre dans la diplomatie. L’historien Michal Kolář brosse le portrait du jeune diplomate devenu ambassadeur à Londres :

« Jan Masaryk était très à l’aise dans les milieux de la haute politique. Selon des témoins, même le roi d’Angleterre aimait converser avec lui et Jan Masaryk réussissait à le faire rire. Les dépêches diplomatiques adressées de Londres par Masaryk au ministère des Affaires étrangères à Prague sont pleines d’observations pertinentes et humoristiques dont les autres diplomates tchèques n’étaient pas capables. Jan Masaryk avait une très bonne connaissance des langues, comme d’ailleurs tous les membres de sa famille. Avec aisance et spontanéité il pouvait parler avec ses collègues, hommes politiques et diplomates, tant de sport que des arts plastiques. Il était connaisseur de la musique classique, jouait du piano et, pendant la guerre, il accompagnait au piano la célèbre cantatrice Jarmila Novotná interprétant des chansons populaires tchèques. »

Les accords de Munich

Jan Masaryk,  photo: ČT
Michal Kolář souligne que la famille Masaryk était très étroitement liée à l’histoire de la Tchécoslovaquie. Pratiquement toute la famille, de même qu’Edvard Beneš, qui allait succéder à Tomáš Garrigue Masaryk au poste de président, a participé à la création, à l’organisation et à l’administration de l’Etat tchécoslovaque. Jan Masaryk aime beaucoup son pays et tâche de le défendre mais il essuiera plusieurs échecs amères au cours de sa carrière diplomatique. Michal Kolář constate :

« Les accords de Munich en 1938 sont une véritable tragédie politique et humaine dans la vie de Jan Masaryk. Il doit faire face, si j’ose dire, à la stupidité du Premier ministre britannique Neville Chamberlain et à la propagande sudéto-allemande. A plusieurs reprises, il cherche à convaincre les Britanniques qu’il s’agit d’un prétexte des Allemands des Sudètes pour le démantèlement de la Tchécoslovaquie, démantèlement dont ils sont les principaux responsables. »

Un des diplomates les plus performants

Jan Masaryk et le président Edvard Beneš,  photo: ČT
Cette période cruciale s’achève le 15 mars 1939, date tragique qui marque l’occupation de la Bohême et de la Moravie par l’armée hitlérienne. C’est une date qui ouvre cependant une nouvelle étape dans les vies de Jan Masaryk et du président Beneš qui prépareront à Londres la résurrection de la République tchécoslovaque dans l’après-guerre. Pavel Kosatík évoque cette collaboration entre le président en exil et son ministre des Affaires étrangères :

« Je pense que c’était un des diplomates les plus loyaux que la République tchèque ait jamais eu. C’était dû déjà à son nom, il était fils du président Masaryk et le collaborateur le plus proche du président Beneš. Nous ne devons pas nous faire d’illusions sur le déroulement de cette coopération et il est difficile de dire lequel des deux hommes politiques dépendait le plus de l’autre. Toujours est-il que Jan Masaryk était l’un de nos représentants les plus performants à l’étranger. »

Les qualités et les faiblesses d’un diplomate

Pavel Kosatík,  photo: David Vaughan
Les auteurs de la biographie cherchent à donner une image objective et complexe de la personnalité et du caractère de Jan Masaryk. Ils ne le présentent pas seulement comme un brillant diplomate, un ardent patriote tchèque épris de justice et un martyr du régime communiste. Dans leur livre, il est un homme charmant mais aussi un être souffrant de troubles psychiques, un diplomate qui n’arrive pas à dominer ses émotions, un politicien dont les déclarations officielles sont parfois tout à fait contraires à ce qu’il pense, un être faible qui noie ses problèmes dans l’alcool et n’arrive pas parfois à prendre des décisions urgentes dans des situations historiques.

Pavel Kosatík constate que toutes ses faiblesses se sont encore accentuées lorsque Jan Masaryk devait faire face, après la Deuxième Guerre mondiale, à l’offensive des communistes soutenus par Staline qui préparaient l’instauration d’un régime autoritaire en Tchécoslovaquie :

« Cela a changé au moment où il est rentré après la guerre en Tchécoslovaquie et où il a été obligé de mener la politique du président Beneš. A mon avis, dans les deux ou trois dernières années de sa vie, il a fait toute une série de déclarations et d’actes regrettables quand il a commencé à pratiquer la politique prosoviétique. »

Un suicide ou un assassinat politique ?

Le peuple me considère comme le défenseur de la démocratie et les communistes font tout pour se servir de moi pour réaliser leurs intentions.

En février 1948, Jan Masaryk, après de douloureuses hésitations, refuse de démissionner avec d’autres ministres démocrates du cabinet du Premier ministre communiste Klement Gottwald. Le ministre très populaire contribue ainsi à légitimer l’instauration d’un régime arbitraire et prosoviétique qui oppressera le pays pendant quarante ans.

« Le peuple me considère comme le défenseur de la démocratie et les communistes font tout pour se servir de moi pour réaliser leurs intentions. » C’est ainsi que Jan Masaryk résume sa situation vers la fin de sa vie. Il ne veut pas devenir un instrument malléable d’une politique qu’il juge désastreuse mais il se sent emporté par un courant auquel il n’arrive pas à résister. Le 7 mars 1948, trois jours avant sa mort, il va se recueillir encore sur le tombeau de son père. Nous ne savons pas ce qu’il pense à ce moment, quel est son dialogue intérieur avec le fondateur de la Tchécoslovaquie démocratique. Se reproche-t-il d’avoir trahi les idéaux de Tomáš Garrigue Masaryk ? Se retourne-t-il sur toute sa vie ?

Jan Masaryk,  photo: ČT
Trois jours plus tard son corps inanimé est retrouvé sur le sol, sous les fenêtres de son appartement au ministère des Affaires étrangères. Un mystère plane aujourd’hui encore sur cette mort présentée officiellement comme un suicide. Un mystère qui ne sera probablement élucidé qu’après l’ouverture des archives soviétiques.

Un suicide ou un assassinat politique ? Les auteurs de la biographie de Jan Masaryk ne répondent pas à cette question. Pavel Kosatík rappelle cependant dans la postface du livre que, selon des experts ayant participé en 2004 à la dernière enquête sur cette affaire, il s’agissait d’un assassinat. Les preuves irréfutables de cette affirmation font cependant encore aujourd’hui défaut.