Des manuscrits et dessins inédits de Franz Kafka désormais accessibles en ligne
La Bibliothèque nationale d’Israël, propriétaire du fonds Franz Kafka, a publié la semaine dernière sur son site internet des archives inédites de l’écrivain pragois de langue allemande. Parmi celles-ci, le journal intime de l’auteur, un carnet où il pratiquait l’hébreu, des carnets de voyage, mais aussi des dessins. Tous ces documents longtemps disparus ont été confiés à l’institution qui gère le patrimoine littéraire de Franz Kafka, après des années de recherches et de procédures judiciaires.
« Tout ce que je laisse derrière moi, sous forme de journaux, manuscrits, lettres en tant qu’expéditeur et destinataire, dessins etc. (…) doivent être brûlés dans leur intégralité et sans être lus (…). »
On ne répétera jamais assez l’histoire de la trahison de Max Brod qui, contre l’ultime souhait de son ami Franz Kafka, conserva tous ses écrits, mais aussi ses dessins, que ce dernier souhaitait voir détruits. Pis, il les fit publier. Toute nouvelle publication d’une œuvre inédite de Franz Kafka fait donc toujours ressurgir cet étrange sentiment d’illégitimité à pénétrer dans le monde intérieur d’un homme qui ne l’avait pas souhaité…
C’est d’autant plus vrai pour ses dessins, ces croquis et griffonnages, parfois des caricatures, qui n’avaient pas vocation à être vus, comme l’avait expliqué l’archiviste Stefan Litt à la Radio tchèque, lorsque la Bibliothèque nationale d’Israël a pu finalement récupérer ces archives :
« Nous savons que Kafka réalisait de petits dessins pour se détendre. Il n’a vraisemblablement jamais envisagé cela comme du grand art, mais il était par définition sceptique sur son œuvre de manière générale. Il n’a jamais eu l’intention de publier ces dessins. Nous ne savions même pas qu’il y avait un autre carnet dans le coffre-fort d’une banque suisse. Cela a donc été une belle surprise, même si cela ne change pas notre compréhension de qui était Kafka. »
L’histoire de ces archives de Franz Kafka est à la fois tragique et rocambolesque. Tragique parce qu’elle suit l’histoire de l’Europe centrale du XXe siècle : en 1939, Max Brod quitte in extremis la Tchécoslovaquie, juste avant l’invasion du pays par les nazis, et parvient à rejoindre la Palestine sous mandat britannique. Dans ses valises, les manuscrits de son ami Franz Kafka auxquels il tient visiblement plus que ses propres écrits qui le suivront par la poste.
Depuis Tel Aviv où il devient dramaturge au théâtre Habima, il continue son travail de promotion de l’œuvre de Kafka, permettant à l’auteur de La Métamorphose d’être reconnu comme un des plus grands écrivains du XXe siècle. C’est après sa mort en 1968 qu’intervient la suite, plus rocambolesque, de l’histoire des archives de Kafka : dans son testament, Max Brod, sans héritier, lègue le tout à sa fidèle secrétaire Esther Hoffe, lui demandant de faire en sorte que ces documents soient confiés à la Bibliothèque nationale d’Israël.
Dans un ironique retour de manivelle de l’Histoire, celle-ci passera outre les dernières volontés de son employeur, vendant même certains manuscrits et conservant le reste chez elle ou dans des coffres-forts en Suisse. A sa mort, ses filles se battront devant les tribunaux pour faire valoir leurs droits d’héritières, avant qu’une décision de la justice israélienne ne donne finalement raison il y a quelques années à l’Etat d’Israël.
Après avoir finalement récupéré la totalité des documents, en Suisse et dans l’appartement de la dernière fille d’Esther Hoffe après son décès, la Bibliothèque nationale d’Israël a passé deux ans à les faire restaurer, à les cataloguer et à les numériser. Ce sont eux qui sont désormais accessibles gratuitement au grand public : les carnets de croquis, des brouillons de la grande nouvelle de jeunesse de Kafka Préparatifs de noce à la campagne, des centaines de lettres personnelles et ce fameux carnet où il travaillait son hébreu. Stefan Litt :
« Quand nous avons ouvert ces archives, nous avons trouvé des croquis, des brouillons, des textes littéraires de Kafka. Au milieu de tout cela se trouvaient huit feuilles remplies de listes de mots en hébreu, et même quelques petits textes rédigés en hébreu qui traitaient d’événements survenus en 1922 et 1923. C’était de l’hébreu moderne, et plutôt d’un bon niveau en fait. Il avait un niveau avancé, c’est très clair. Pour nous, c’est bien sûr très intéressant de voir qu’il passait du temps à apprendre cette langue. »
https://www.nli.org.il/en/discover/literature-and-poetry/authors/franz-kafka