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7) « Max, brûle tout ! » : ce que Franz Kafka nous a laissé, jusque dans l’art contemporain

Les portraits de Max Brod et Franz Kafka au Musée juif de Prague
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Dans le dernier épisode de notre série dédiée à Franz Kafka, à l’occasion du centenaire de sa mort, Radio Prague Int. s’intéresse à son héritage et à ce qu’il nous a laissés de lui, alors même que son souhait était de voir son œuvre disparaître avec sa personne.

La dernière photo de Franz Kafka | Photo: Kateřina Ayzpurvit,  Radio Prague Int.

Les dernières années de la vie de Franz Kafka ont été marquées par la maladie et de nombreux séjours en sanatorium. David Stecher, directeur de la Maison de la littérature à Prague, rappelle que Kafka est souvent décrit comme malade, mais que tant que sa santé le lui permettait, il faisait régulièrement de l’exercice, se lavait à l’eau froide et s’efforçait de rester en forme.

En 1922, deux ans avant sa mort, la tuberculose le contraint à démissionner de la Compagnie d’assurance où il travaillait. Suivant les conseils des médecins, il passe alors beaucoup de temps à profiter de l’air de la montagne.

David Stecher | Photo: Martina Kutková,  Radio Prague Int.

« Il y a eu une grosse pandémie de grippe à l’époque. Les gens mouraient de la grippe, or tout le monde ne le sait pas mais Kafka a eu la grippe lui aussi mais s’en est remis. Par contre, il avait la tuberculose, sans que l’on sache comment il l’a attrapée. Il est resté à Tatranské Matliary pendant sept mois, y a été soigné et n’a rien écrit pendant tout ce temps. De Tatranské Matliary, il s’est rendu à Špindlerův Mlýn et a séjourné à l’hôtel Krone, aujourd’hui le Savoy, et c’est là qu’il a commencé à écrire Le Château. Puis, bien sûr, il a séjourné dans un sanatorium près de Vienne. »

Franz Kafka à Tatranské Matliary | Photo:  Franz Kafka,  Pictures of a Life by Klaus Wagenbach  (1984),  public domain
Sanatorium de Kierling

Franz Kafka est mort le 3 juin 1924 au sanatorium de Kierling, à environ 20 km au nord de Vienne. En dehors de ses échanges épistolaires, il n’y a plus rien écrit. Son amie Dora Diamant l’a soutenu et accompagné jusqu’à son dernier souffle. Ses parents, Hermann et Julie Kafka, ont survécu à leur fils et sont inhumés avec lui dans le nouveau cimetière juif d’Olšany, à Prague. Ses trois jeunes sœurs, Gabriele, Valerie et Ottilie ont également survécu à leur frère écrivain, mais sont mortes dans les camps d’extermination nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.

Dernière lettre de Franz Kafka du sanatorium de Kierling | Photo: Památník národního písemnictví

Dans le sanatorium où il se faisait soigner, Kafka a également reçu la visite de son ami le plus proche, Max Brod, à qui il a remis ses manuscrits. Brod les a conservés et publiés après la mort de Kafka, alors même que ce dernier souhaitait les voir disparaître avec lui. Max Brod avait toujours cherché à promouvoir les œuvres de Kafka, et pas seulement celles-ci.

« On dit que Franz Kafka lui aurait dit, entre deux quintes de doux : ‘Max, brûle tout !’ Mais Max Brod ne le lui a jamais rien promis. Certains ont voulu décrire la relation entre les deux hommes comme celle entre Salieri et Mozart. Mais il n’en est rien. Max Brod a été un grand promoteur de la culture tchèque. C’est lui qui a fait publier le premier texte écrit par Franz Kafka. Et puis, sans Max Brod, personne ne saurait aujourd’hui qui était Leoš Janáček. Mais Max Brod était aussi un écrivain à part entière. »

La fuite en Palestine

Max Brod en 1914 | Photo: Wikimedia Commons,  public domain

Max Brod, Franz Kafka, Felix Weltsch et Oskar Baum formaient ce qu’on appelait le « Cercle de Prague ». Tous les quatre écrivaient en allemand et se rencontraient régulièrement, et les trois autres ont continué à le faire après la mort de Kafka. Leurs activités ont cessé avec l’arrivée des nazis à Prague. Brod et Weltsch sont parvenus à s’enfuir le 14 mars 1939 par le dernier train qui pouvait quitter librement la Tchécoslovaquie. Un jour plus tard, les nazis occupaient le territoire de la Bohême et de la Moravie. Pour David Stecher, le fait que Max Brod ait emporté dans sa fuite les biens de Kafka montre combien cette amitié était importante pour lui.

« Il ne pouvait pas en connaître l’immense valeur, mais cela lui tenait à cœur,  c’était un véritable ami, car il a pensé qu’il était important d’emporter et de sauver cet héritage. Le Protectorat de Bohême et de Moravie a été créé du jour au lendemain. Après cela, il n’était pas facile de quitter le pays. Or ce qu’il a emporté n’était pas un petit sac léger à l’épaule, mais une grande valise bourrée de documents. »

Le manuscrit du Procès de Kafka est constitué de 171 feuillets densément écrits | Photo: Pavel Polák,  ČRo

Le périple de Brod et Weltsch les mène en Galicie, en Roumanie. Ils embarquent ensuite pour la Palestine. Max Brod s’installe à Tel Aviv et y travaille comme dramaturge. Il continue à promouvoir la culture tchèque, décide de pas tenir pas compte des souhaits de Kafka et fait publier ses écrits. Après la Seconde Guerre mondiale, l’intérêt pour l’œuvre de Kafka augmente progressivement.

Une exposition à la Maison littéraire de Prague | Photo: Martina Kutková,  Radio Prague Int.

« Ce qui fait de lui un écrivain phénoménal, c’est que tout le monde peut y trouver quelque chose. Chacun peut prendre ce qu’il veut des écrits de Kafka, mais je ne serais jamais d’accord pour dire que la solitude en est la caractéristique principale. Il s’agit de la solitude et de la lutte de l’individu, par exemple. Mais il s’agit aussi du fait que même lorsqu’on est seul, on ne l’est pas totalement. Kafka en était la preuve vivante puisqu’il avait d’excellents amis. Et l’un de ses amis les plus proches a fait en sorte que nous sachions que Kafka a existé : ainsi, ses œuvres sont toujours publiées aujourd’hui. »

Des différends autour de l’œuvre de Kafka

Max Brod | Photo: Joost Evers,  Anefo,  Nationaal Archief/Wikimedia Commons,  CC BY-SA 3.0

Max Brod meurt en 1968 à Tel Aviv. Ses biens, et donc les manuscrits de Kafka également, ont été transmis à sa secrétaire Ester Hoffe, qui les a donnés à son tour, de son vivant, à ses deux filles. Celles-ci, comme l’explique David Stecher, ont revendu l’œuvre de Kafka, notamment à un collectionneur qui a ensuite vendu les manuscrits de Kafka aux archives littéraires de Marbach, en Allemagne.

« Aucun des témoins n’est plus en vie. On a dit que quelqu’un de la famille, pas Max Brod, mais la secrétaire, a progressivement vendu les originaux. Ensuite, bien sûr, il y a eu un conflit pour savoir à qui appartenait l’œuvre de Kafka. Il y a eu un très long procès entre la Bibliothèque nationale de Jérusalem et les archives littéraires de Marbach, et c’est finalement la bibliothèque de Jérusalem qui a gagné. »

Kafka, toujours vivant

100 ans se sont écoulés cette année depuis la mort de Kafka, mais l’œuvre et la vie de l’écrivain pragois continuent d’inspirer les artistes du monde entier. L’œuvre de Kafka dans l’art contemporain est au cœur de l’exposition KAFKAesque, visible jusqu’au 22 septembre au centre d’art contemporain DOX à Prague. L’exposition présente plus de 30 artistes, dont le scénariste américain David Lynch, le réalisateur tchèque Jan Švankmajer et le sculpteur et peintre Jaroslav Róna, qui, comme il le dit lui-même, est en « contact intérieur » permanent avec Franz Kafka.

Jaroslav Róna | Photo: Martina Kutková,  Radio Prague Int.

« Je le relis tout le temps et je suis un grand admirateur de son œuvre. D’ailleurs, mon atelier se trouve dans le cimetière où il est enterré, à environ 300 mètres, et je lui rends souvent visite, car la tombe de mon père se trouve dans la même partie du cimetière que celle de Franz Kafka. »

La tombe de Franz Kafka dans le cimetière juif à Prague | Photo: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.

Jaroslav Róna expose au Centre DOX une série de dessins librement inspirés par les nouvelles de Kafka, ainsi que deux peintures représentant l’écrivain : Franz Kafka rendant visite Gregor Samsa, et Kafka à Trieste, montrant l’écrivain poursuivi par un ange en fer-blanc armé d’une épée ; le sujet est basé sur les entrées du journal intime de Kafka.

Jaroslav Róna,  'Kafka à Trieste' | Photo: Martina Kutková,  Radio Prague Int.
Jaroslav Róna,  'Franz Kafka rendant visite Gregor Samsa' | Photo: Martina Kutková,  Radio Prague Int.

Jaroslav Róna a également beaucoup travaillé sur Kafka pour le traitement visuel du film L’Amérique, basé sur le roman éponyme, et, comme il le dit, il entretient également une relation étroite avec des auteurs qui se réfèrent ouvertement à Kafka, tels que Jorge Luis Borges et Haruki Murakami.

Un monument à Franz Kafka

Le monument à Franz Kafka par Jaroslav Róna | Photo: Martina Kutková,  Radio Prague Int.

L’œuvre la plus célèbre de Róna, liée à Franz Kafka, est sans aucun doute le monument dédié à l’écrivain, situé à côté de la Synagogue espagnole à Prague. Il s’agit d’une sculpture en bronze représentant deux corps, de près de quatre mètres de haut, dont le plus grand n’est qu’un costume vide portant Franz Kafka sur ses épaules. Jaroslav Róna s’est inspiré de la nouvelle de Kafka, Description d’un combat, où l’un des personnages (l’alter ego de Kafka) s’appuie sur les épaules de son ami. Mais comme l’admet l’artiste lui-même, la sculpture peut être interprétée de multiples autres manières.

Le Prix Franz Kafka | Photo: René Volfík,  L’ambassade de France à Prague

Une miniature de ce monument est remise aux lauréats du prix Franz Kafka, que la Société Franz Kafka décerne depuis 2001 : Haruki Murakami, Václav Havel, Margaret Atwood et Milan Kundera font partie des grands noms qui en sont titulaires.

Auteur: Martina Kutková
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