Des registres d'état civil juifs ont survécu à la guerre au château de Český Šternberk
Ce dimanche 27 janvier la République tchèque a commémoré la Journée du souvenir des victimes de la Shoah. En 1942, la conférence de Wannsee programmait la « solution finale » de la question juive. La même année, le bureau du protecteur du Reich ordonnait de stocker dans un registre central créé ad hoc à Prague tous les actes d'état civil juif. A l'approche de la fin de la guerre, en avril 1945, la Gestapo a détruit les originaux de ces documents afin d'effacer le souvenir du peuple haï. Leurs copies ont miraculeusement survécu aux bouleversements de l'histoire, cachées au château de Český Šternberk.
Les archives juives sauvées sont un moyen de maintenir le souvenir. Les familles qui font des recherches sur leurs proches disparus bénéficient d'une collection remarquable de registres d'état civil qui ont survécu aux ravages du temps.
Comme on l'apprend sur les pages des Archives nationales de République tchèque, les originaux d'actes d'état civil juif ont été stockés en 1942 à Prague, sur ordre du bureau du protecteur. Leurs copies ont été déposées séparément au château de Český Šternberk. Alors que les originaux ont été brûlés avant la fin de la guerre par les nazis, les copies ont pu être sauvegardées, paradoxalement grâce aussi à une contribution involontaire de ces derniers.Le propriétaire actuel du château, Zdeněk Sternberg, se souvient qu'en 1941, deux hommes de Prague sont venus chercher son père, lui demandant s'il était possible de déménager vers son château certains documents précieux, pour les mettre à l'abri d'éventuels raids aériens :
« J'ai assisté, par hasard, à leur entretien : je faisais mes études à Prague mais je venais de temps en temps à Český Šternberk. Des caisses contenant des documents d'archives ont été rapportées ici et déposées dans deux salles du château. Leur travail terminé, les archivistes ont dit à mon père qu'il faudrait faire en sorte que les portes soient fermées à clé et empêcher quiconque d’y entrer. »Quelques semaines plus tard, une inspection du bureau du protecteur du Reich en Bohême-Moravie, Konstantin von Neurath, s'est rendue au château de Český Šternberk :
« Sans examiner ce qui se cachait derrière les portes verrouillées des deux salles, les inspecteurs ont placé sur ces portes des scellés et un ruban sur lequel était pressé le sceau du protectorat de Bohême-Moravie, représentant l'aigle et la croix gammée. »Après l'attentat contre Reinhard Heydrich, le château a été mis sous séquestre par les SS. Un commando de quinze membres a occupé ses locaux, laissant à la famille Sternberg une seule pièce. Les deux salles scellées sont restées fermées, personne n’osant les ouvrir jusqu'à la fin de la guerre. Zdeněk Sternberg n'a appris qu'en juillet 1945 ce qui se cachait dans les caisses :
« Durant l’été 1945, j'étais chez mes parents, nous étions assis à la terrasse du château, lorsque quatre hommes y sont apparus. L'un d'entre eux, qui s'est présenté comme grand rabbin de la communauté juive à Prague, a dit à mon père qu'il était venu le remercier pour la sauvegarde des archives précieuses. »
Après la guerre, les documents sauvés ont été déménagés de nouveau à Prague pour servir de base de données permettant de délivrer aux survivants de la Shoah et aux proches des victimes les copies d'actes d'état civil ainsi que d'autres documents, raconte l'archiviste Lenka Matušíková des Archives nationales :« Pour beaucoup d'entre eux, c'était la toute première rencontre avec leur propre passé. En les aidant à trouver les données recherchées, nous pouvons contribuer en même temps à leur rendre une partie de leur identité, de leur vie transformée suite aux événements de la Deuxième Guerre mondiale. »
Le journaliste Petr Brod qui compte plusieurs dizaines de membres de sa famille déportés dans des camps de la mort, est l'un de ceux qui font des recherches dans les Archives nationales :
« Les registres d'état civil fournissent un témoignage unique de la présence des Juifs sur le territoire tchèque. J'ai été personnellement fasciné par des données sur les ancêtres de Sigmund Freud, Franz Kafka, Gustav Mahler, Madeleine Albright, Pavel Tigrid - toute une pléiade de personnalités dont on sait aujourd'hui qu'elles ont apporté une contribution décisive à la culture mondiale et à la vie politique et publique. Leurs ancêtres, au XIXe siècle, étaient tous des Juifs de Bohême et de Moravie. »Derrière la sauvegarde des registres d'état civil juif se trouvent les archivistes, mais surtout le propriétaire d'alors du château de Český Šternberk qui a accepté de les déposer ici, ignorant ou plutôt souhaitant ignorer quel était leur contenu. Si le secret des salles fermées abritant pendant la guerre les registres d'état civil juif avait été dévoilé, la famille Sternberg n'aurait pas pu éviter les interrogatoires à la gestapo, avec toutes les conséquences qui en découleraient...
« Soixante-huit ans après la fin de la guerre, le thème de l'holocauste reste d'actualité et enrichit notre regard sur l’histoire. Aujourd'hui, on prête encore plus d'attention à la réflexion sur l'antisémitisme. » Ces propos sont ceux de Michal Frankl, historien et chef du service de l'histoire de la Shoah du Musée juif de Prague:
« L'enseignement de l'holocauste devrait contribuer non seulement aux connaissances des faits, il devrait contribuer également à une perception critique de notre propre histoire. Il devrait nous rappeler par exemple que l'antisémitisme était présent dans l'histoire tchèque, que la situation des émigrés devant le péril nazi concernait également la Tchécoslovaquie de l'entre-deux-guerres. Très peu de gens savent que la Tchécoslovaquie a fermé ses frontières aux réfugiés juifs, après le rattachement de l'Autriche par l'Allemagne nazie, en 1938. »