Deux siècles de culture tchèque avec Mácha

Karel Hynek Mácha par Oldřich Kulhánek

« Karel Hynek Mácha 1810 -2010 : Deux siècles de culture tchèque avec Mácha » - tel est le titre d’une exposition que les Pragois peuvent voir ces jours-ci au château de Hvězda. Ce petit château, spécimen charmant de la Renaissance transalpine, situé au milieu d’un beau parc, ancien domaine de chasse, dans la banlieue de la capitale tchèque, mérite d’être visité pour lui-même. Actuellement il est cependant aussi le lieu de rendez-vous des lecteurs et des amateurs de la poésie de Karel Hynek Mácha, homme qui a réussi au cours de sa courte existence à jeter les fondements de la poésie tchèque moderne.

Karel Hynek Mácha est né à Prague le 16 novembre 1810 donc il y a deux siècles. Sa vie n’a duré que 26 ans, ses oeuvres complètes ne comptent pratiquement que quelques poèmes, quelques contes et un journal, et pourtant son rôle dans la littérature tchèque renaissante au début du XIXe siècle a été fondamental. Son œuvre la plus achevée, le grand poème épico-lyrique intitulé « Mai », est un véritable coup de génie qui reste encore aujourd’hui l’oeuvre la plus célèbre et probablement inégalée de la poésie tchèque. Depuis sa mort prématurée en 1836, poètes, lecteurs, critiques et historiens de la littérature s’interrogent donc sur le phénomène Mácha considéré par d’aucuns comme un miracle, comme une éruption inattendue de talent et d’imagination poétique au milieu d’un désert.

L’exposition au château de Hvězda démontre cependant, et c’est probablement son principal mérite, que le chef d’oeuvre de Mácha a été aussi l’aboutissement d’une certaine évolution, d’une maturation progressive d’un talent, d’un intellect et d’une technique littéraire. Dalibor Tureček qui est, avec Veronika Faktorová, coauteur de ce projet, définit les objectifs principaux de l’exposition :

«Nous avons cherché à présenter deux catégories fondamentales de documents dont nous disposons : en premier lieu la vie et l’oeuvre de Mácha et puis sa seconde vie, sa vie posthume qui fait l’objet de la deuxième partie de l’exposition. En ce qui concerne la première partie, disons que nous ne nous intéressons pas à tous les détails biographiques mais surtout à la formation de Mácha qui lui donnait ses compétences culturelles, à la façon dont Mácha a acquis ses connaissances artistiques et comment il se mesurait avec les arts et la littérature autour de lui. »


Le visiteur de l’exposition découvre progressivement cinq séries de documents qui forment chacune un chapitre thématique et composent ensemble l’image d’un artiste, de sa vie, de son œuvre, de son influence sur la littérature et les arts plastiques de son époque et des périodes postérieures et aussi sur la réception de son oeuvre par la société pendant sa vie et après sa mort. On dirait que la vie posthume de Mácha a été presque aussi importante que sa vie réelle. Dalibor Tureček rappelle que le poète est très vite devenu l’objet d’un culte :

Dalibor Tureček
« Le culte de Mácha commence à naître inévitablement après sa mort. C’est le moment où l’on perd subitement et définitivement le contact avec l’auteur vivant. Il faut tenir compte aussi du fait que l’époque de Mácha ne connaissait pas son oeuvre comme nous. Quelques poèmes et deux ou trois contes seulement étaient imprimés, seul ‘Mai’ était disponible sous la forme d’un livre. Tous les autres écrits restaient dans sa succession, circulaient parmi les lecteurs, se perdaient… L’édition critique des oeuvres de Mácha n’a vu le jour qu’en 1948. Jusqu’à ce moment-là, l’idée que même les lecteurs les plus initiés se faisaient du contenu et de l’ampleur de l’oeuvre de Mácha était très floue. »

Et c’était évidement un terrain extrêmement fertile pour la naissance d’un culte et d’un mythe. Les documents démontrent que Mácha était un homme explosif et passionné qui vivait avec son temps et partageait les idéaux des romantiques. Dalibor Tureček ne cache pas qu’il n’était pas toujours facile et agréable de côtoyer ce génie :

Une lettre de Karel Hynek Mácha
« Mácha lui-même vivait sa condition d’artiste d’une façon qui devenait presque insupportable pour son entourage. C’est ce qu’on apprend dans sa correspondance mais aussi dans les documents que nous ont laissés ses contemporains. Pendant toute sa vie il s’est stylisé dans le rôle de grand poète. »


Karel Hynek Mácha par Jan Zrzavý
Les auteurs de l’exposition ont réuni au château de Hvězda toute une série d’oeuvres d’art qui ont influencé Mácha ou ont été influencées par la poésie de Mácha ou qui illustrent tout simplement les tendances générales des premières décennies du XIXe siècle qui était l’époque divisée entre le romantisme exacerbé et la recherche du bonheur dans le calme et la simplicité se manifestant dans le style Biedermeier. On y trouve des portraits de Byron, de Hugo, Mickiewicz, poètes admirés par le jeune Mácha, mais aussi par exemples des toiles romantiques de Hugo Ullik, de Ludvík Kohl et de Bedřich Havránek ainsi que les visions que l’oeuvre de Mácha a inspiré aux générations postérieures représentées par les peintres Jan Zrzavý, František Kobliha, Josef Šíma, Toyen, Jiří Dostál, Jaroslav Šerých, Josef Brož et autres. Les auteurs de l’exposition n’ont pas négligé non plus les documents audio et vidéo et les visiteurs peuvent entendre les poèmes de Mácha récités par de célèbres acteurs ou voir des films documentaires et les films d’acteurs qu’il a inspirés. Ils finissent souvent par se demander ce que Mácha serait devenu si la mort ne l’avait pas emporté si tôt. C’est une question qui plane sur les lettres tchèques depuis presque deux siècles et a intrigué, selon Dalibor Tureček, plusieurs personnalités importantes :

Karel Hynek Mácha par Oldřich Kulhánek
« On n’a jamais cessé de se poser cette question. C’était le cas, par exemple, de l’écrivain, critique et historien de la littérature František Xaver Šalda qui revenait souvent à ses hypothèses sur ce que Mácha aurait écrit, s’il n’était pas mort. Il pensait que Mácha aurait surmonté son scepticisme, qu’il aurait évolué vers l’harmonie, qu’il ne se serait pas laissé influencer par la philosophie de la Jeune Allemagne et aurait écrit d’autres choses. C’est possible mais je pense plutôt que ces hypothèses de Šalda et d’autres penseurs avaient en commun qu’elles voulaient insérer Mácha dans le contexte de la littérature tchèque en tant que valeur positive. Mácha n’y a pas été toujours. Pensez qu’il n’est entré dans les manuels scolaires en tant que lecture obligatoire qu’au cours de la Première République tchécoslovaque, dans l’entre-deux-guerres. Pas plus tôt.»

L’exposition au Château de Hvězda sera ouverte jusqu’au 31 octobre.