Le cornemuseur de Strakonice ou du patriotisme tchèque mal interprété

'Le cornemuseur de Strakonice', photo: Théâtre national

« Le cornemuseur de Strakonice, ou le festin des mauvaises fées » : tel est le titre de la célèbre pièce de théâtre du dramaturge tchèque Josef Kajetán Tyl. Ecrite en 1847, cette fable dramatique revient après une trentaine d’années sur les planches du Théâtre national, dans une mise en scène de Jan Antonín Pitínský. Une œuvre importante et souvent mal comprise, qui traite de la recherche à l’étranger du bonheur et de la richesse, alors qu’ils sont souvent à portée de main.

'Le cornemuseur de Strakonice',  photo: Théâtre national
Josef Kajetán Tyl s’est inspiré d’une légende populaire de Bohême du sud. Pour obtenir la main de sa bien-aimée, le pauvre orphelin Švanda décide de partir à l’étranger et de faire fortune en jouant de sa cornemuse. Il y rencontre non seulement un succès spectaculaire, mais aussi Vocilka, un compatriote rusé et malhonnête qui devient son impresario. Il finit par retourner à Strakonice après avoir tiré une leçon importante sur le pouvoir destructeur de l’orgueil, ainsi que sur la valeur du « chez-soi », ou de sa patrie, en tchèque, « domov », mot qui possède les deux sens à la fois. Et c’est là que l’interprétation de la pièce se complique :

« Il fait toujours bon de revenir à la maison, là où je connais tout le monde... » C’est ainsi que se termine une adaptation cinématographique de 1974, dans laquelle Švanda, interprété par le légendaire chanteur Karel Gott, prend conscience de l’oripeau du monde occidental et retrouve son intégrité morale en revenant dans son village natal.

Josef Kajetán Tyl est en effet connu comme auteur de l’hymne national tchèque ‘Kde domov můj?’ (Où est ma patrie ?), qui provient justement de l’une de ses pièces de théâtre. Le professeur Dalibor Tureček, spécialiste de la littérature tchèque du 19ème siècle de la faculté des lettres de l’Université de České Budějovice nous éclaire sur ce détournement de sens :

« Evidemment, dans les années cinquante, avec la conception culturelle de Zdeněk Nejedlý, l’accent était mis non seulement sur J. K. Tyl, mais sur cette pièce en particulier. Ceci a considérablement nuit à cette œuvre, car elle a été réduite à un schéma idéologique. Cependant le mot „domov“ était en effet crucial pour Tyl. Il exprimait les sécurités fondamentales d’une existence modeste, sans grandes ambitions, mais bénéfique pour tout le monde et s’opposait ainsi au déracinement et au pessimisme romantique. »

La pièce est également souvent décrite comme une caricature du tempérament tchèque, que ce soit à travers l’étroitesse d’esprit de Švanda ou la mesquinerie de Vocilka. Le professeur Tureček explique cependant, que Strakonický dudák est avant tout une œuvre universelle :

« Il a été démontré que le but de Tyl n’étaient pas de parler des Tchèques en tant que nation, mais plus généralement de l’existence de l’homme dans le monde, et des valeurs universelles qu’il doit prôner : l’humilité, l’aide mutuelle etc. Tyl est ainsi passé d’un patriotisme quelquefois exacerbé à défendre un humanisme universel, et c’est pourquoi il est important pour nous aujourd’hui. »

Le metteur en scène Jan Antonín Pitínský actualise très habilement le thème de la recherche de la richesse et du succès, qu’il transpose dans le monde de la culture pop d’aujourd’hui. Filip Kaňkovský l’acteur du personnage de Vocilka précise :

« Monsieur Pitínský a voulu souligner l’actualité de cette œuvre. Oui, il y a des éléments folkloriques et cet esprit fabuleux qu’il représente si habilement, mais en même temps le récit revêt un habit moderne et très concret : Vocilka aborde ce jeune rocker talentueux qu’aurait été Švanda dans le monde d’aujourd’hui. Si à l’époque il y avait eu des « Star Academy », il serait passé par là, notamment vu son enfance. C’est un jeune homme qui a été privé d’un milieu familial stable. Et c’est là qu’il rencontre le pseudo-manager qui bouleverse complètement sa vie. Vocilka est un personnage méphistophélique. Il lui promet un grand succès, mais la seule chose qu’il veut c’est s’enrichir sur son dos. Je ne mentionne même pas l’immense débordement politique... »

Une mise en scène féérique sous laquelle un récit d’une grande actualité pousse à réfléchir. Et pas uniquement sur le patriotisme...