Dominik Feri, un député remarqué et sacrément influenceur

Dominik Feri, photo: Ladislav Bruštík, ČRo

Bien que les personnalités politiques voient souvent dans les réseaux sociaux un vivier de nouveaux électeurs et un moyen de s’affranchir du filtre journalistique, rares sont ceux qui savent s’intégrer dans le monde bien particulier du numérique. Unique politique noir en République tchèque, le député Dominik Feri, membre du parti conservateur TOP 09, fait figure d’exception dans le paysage : son compte Instagram @Choco-afro est suivi par plus d’un million de Tchèques. Portrait.

Son apparence est soignée, un brin désuète parfois. Moderne, mais aussi très conservatrice. Le jeune homme, qui ne passe pas inaperçu avec ses cheveux dressés sur la tête, est conscient de l’importance de son image. Sur les réseaux sociaux, il sait aussi toutefois se mettre en scène de manière plus décontractée, allant même jusqu’à se filmer en train de danser sur une musique entraînante.

Dominik Feri et la campagne TOP 09 de Teplice en 2014,  photo: DF2015Teplice,  public domain

Ne nous trompons pas pour autant : Dominik Feri n’a encore que 25 ans, mais il est d’abord un homme politique. Un jeune loup aux dents longues. En 2017, à seulement 21 ans, candidat sous les couleurs de TOP 09 (pour « Tradition, - Responsabilité - Prospérité » en tchèque),  il est devenu le plus jeune député de l’histoire de la République tchèque. Le premier métis, aussi, à siéger au Parlement, soit donc une entrée forcément très remarquée.

Sur les réseaux sociaux, au petit jeu de la comparaison, Dominik Feri bat à plates coutures l’ensemble des autres politiques tchèques. Même les Pirates, qui seront peut-être appelés à former le prochain gouvernement cet automne après les élections, ne peuvent se targuer en la matière d’un tel succès. Sous le pseudonyme « Choco-afro », il rassemble ainsi plus d’un million d’abonnés sur son compte Instagram.

Ce constat chiffré revient-il donc à dire que Dominik Feri est plus connu que les autres ? Doit-il ce succès en ligne au fait qu’il se démarque sur les sujets du moment ? A de plus grandes responsabilités ? Pas vraiment. Jeune homme de son temps, Dominik Feri a d’abord su très habilement se créer un espace numérique dans lequel il a rassemblé une communauté. Une communauté pléthorique et active, un fait inhabituel pour un homme politique sur Instagram, réseau social particulièrement prisé des plus jeunes.

Dominik Feri | Photo: Jana Přinosilová,  ČRo

Au fil des mois, la crise sanitaire a propulsé Dominik Feri sur le devant de la scène. Alors qu’il n’avait encore « qu’un peu plus » de 200 000 abonnés il y a un an, il affirme en avoir gagné 60 000 en moyenne par mois depuis, jusqu’à donc dépasser la barre du million.

Un succès qu’il doit notamment aux informations qu’il partage régulièrement directement depuis le Parlement. Toujours de manière simple, courte et efficace. Accessible au plus grand nombre. Quelques mots, tout au plus, comme par exemple « Le ministre de l’Education annonce des changements pour les examens de fin de cycle » ou « Le président veut révoquer le ministre de la Santé et le ministre des Affaires étrangères ».

Dans une interview accordée au magazine Forbes, il racontait :

« Je me souviens que j’ai commencé le 15 mars, pendant une conférence de presse du gouvernement. Je proposais alors déjà régulièrement des comptes-rendus de l’actualité politique, comme je m’y étais engagé durant ma campagne électorale. [...] J'ai alors essayé de créer un visuel avec une  application permettant de faire du graphisme sur un mobile, en m'inspirant d’autres comptes Instagram. Il fallait que ce soit le plus visible possible, d’où les couleurs : noir et jaune. Il me fallait aussi un symbole, j’ai choisi le point d'exclamation. Pour ce qui est du format, il devait être ‘Instagram friendly’, adapté à la plateforme. »

Aujourd’hui, ces carrés jaunes flashy représentent la quasi-totalité des publications de Dominik Feri. Chaque publication est « likée » plusieurs dizaines de milliers de fois, et les informations les plus importantes le sont même jusqu’à 200 000 fois. Le député dit recevoir quotidiennement entre 1 000 et 1 500 questions, impossible donc de répondre à toutes.

A l’automne, alors que la situation sanitaire s’aggravait, il a proposé son aide au gouvernement en créant une plateforme servant à rassembler toutes les réponses aux nombreuses questions des Tchèques, et à centraliser les informations relatives à la lutte contre la propagation du coronavirus. Deux semaines plus tard, avec l’appui de volontaires, le site https://covid.gov.cz/ voyait le jour. Si le député présente son initiative comme une main tendue, le sous-texte critique n’en est pas moins évident : la communication du gouvernement est jugée trop floue, comme il l’avait expliqué à la Radio tchèque :

« Ma mission s’arrête avec la création de ce site, parce que je suis membre de l’opposition et que mon rôle n’est pas d’aider le gouvernement à faire ce qu’il ne sait pas faire. Le gouvernement est là pour gouverner et l’opposition pour faire opposition et exprimer ce qui ne lui plaît pas. Mais je veux croire que le gouvernement saura faire bon usage ce site et l’enrichir. Car le vrai problème est que les ministères ne coopèrent pas et ne communiquent pas entre eux, alors que leur mission est d’être au service des gens. J’espère donc que ce site leur fera prendre conscience de la nécessité de mieux travailler ensemble. »

Source: Ministerstvo vnitra

Les politiques sur Internet : un exercice périlleux

Dans une vidéo mise en ligne sur site d’information Seznam.cz, des enfants avaient été interrogés sur leur manière de s’informer et sur les personnalités qu’ils suivent sur les réseaux sociaux. Si ces enfants, du fait de leur jeune âge, ne représentent pas encore un vivier d’électeurs potentiels, une telle confusion entre politique, information et divertissement interpelle.

Pour un homme ou un parti politique, s’intégrer sur les réseaux sociaux équivaut à un exercice d’équilibriste. Si Dominik Feri s’en sort aussi bien, c’est notamment parce qu’il maîtrise tous les codes : des « stories » aux « memes » (ces images détournées sur lesquelles on insère un texte drôle commentant généralement l’actualité).

Il y a quelques semaines le gouvernement tchèque avait déclenché une polémique en lançant une opération de communication sur le réseau social chinois TikTok dont le prix, environ 20 000 euros, avait été critiqué. En France, alors que les journalistes et le gouvernement s’intéressent de plus en plus à Twitch, une plateforme de diffusion en direct, les critiques pleuvent sur ce que beaucoup considèrent comme une tentative de « récupération » du jeune public à des fins électorales.

Interrogé par Forbes sur les limites éthiques de la communication politique sur les réseaux sociaux, et ce notamment à l’approche des élections législatives, Dominik Feri met en avant son ambition de motiver les jeunes à aller voter, quitte à ce que ceux-ci choisissent un autre parti que celui qu’il représente et dont il défend légitimement les intérêts. Si, dit-il encore, son objectif est bien de contribuer à la disparition de la coalition gouvernementale actuelle – « incompétente » selon lui - dirigée par Andrej Babiš, il entend y parvenir à travers une campagne de communication non conflictuelle.

Dominik Feri à la Chambre des députés,  photo: ČT24

Pouvoir s’adresser à un large public sans filtre est sans doute un vieux rêve pour tout politique. L’usage des réseaux sociaux permet également de s’affranchir du contrôle du temps de parole dans les médias dits traditionnels. Dominik Feri, avec sa communauté, excelle en la matière. Dans l’optique des élections législatives, qui se tiendront en octobre prochain, il est toutefois impossible de savoir si les « j’aime » qu’il collectionne se transformeront en bulletin dans les urnes. Et ce d’autant moins que les réseaux sociaux peuvent offrir un visage qui ne correspond pas à la réalité de l’ensemble de la population : ainsi, selon Dominik Feri, dans le cas concret du compte @Choco_afro, seuls 14% de ses abonnés ont plus de 35 ans.