Edith Piaf ou Piafová ?
« -ová » or not « -ová », telle est la question : les Tchèques se posent de plus en plus la question de savoir s’il faut employer la forme féminine des noms de famille, surtout quand il s’agit de noms étrangers.
Récemment dans le quotidien Lidové noviny, deux points de vue se sont confrontés : pour certains, comme pour le traducteur Robert Novotny, il est important que le suffixe « -ová » soit utilisé pour que la langue tchèque puisse être employée correctement. Dans un article, il s’offusquait du fait que la presse, en parlant d’un événement concernant Kateřina Jacques, dont le patronyme est français, ne parle pas de Jacquesová. En réaction, le sociologue Michal Uhl s’est lui aussi fendu d’un article dans lequel il défendait le droit de ne pas porter le « -ová ».
« Le -ová est une question de traduction et de langue, mais dans le monde du XXIe siècle les gens migrent et changent de pays… En République tchèque, un mariage sur douze est un mariage avec un étranger. Il faut donc respecter les cultures et les langues étrangères. Si Mme Jacques avait un mari français, il est logique que le nom soit Jacques et non Jacquesová, par respect pour la langue française. C’est d’abord une question qui doit être tranchée par les deux époux. »
Ce « -ová“ était dans le passé un « -ova » sans accent sur le « a », ce qui, selon la grammaire tchèque, voulait vraiment signifier « celle de »…
« Oui, historiquement, le suffixe -ova signifiait ‘elle appartient à’, c’est-à-dire que Novákova était ‘celle de Monsieur Novák ». Bien sûr cela a une dimension un peu monstrueuse qu’il faut soumettre à une critique féministe. De nos jours, bien sûr, on ne le comprend pas dans ce sens-là. C’est une question d’histoire, mais c’est intéressant au niveau sociologique. Pierre Bourdieu parlait des dimensions du pouvoir cachées dans la langue et il faut aborder ces questions. »La question de l’emploi ou non de ce suffixe « -ová » resurgit régulièrement. Il y a quelques temps, une journaliste sportive qui commentait des épreuves à la télévision a été sanctionnée parce qu’elle avait refusé de rajouter ce « -ová » aux noms des sportives étrangères…
« Oui, c’est un débat qui reste vif parce que la langue tchèque change. Il y a soixante-dix ans, le -ová n’était pas très utilisé quand on parlait de noms étrangers. Aujourd’hui par exemple, on parle d’Edith Piaf, pas de Piafová. Mais il faut voir aussi que les Français par exemple changent la prononciation des noms étrangers pour qu’ils soient plus conformes à la langue française. C’est la même chose, les Tchèques changent les noms pour qu’ils puissent l’utiliser dans la grammaire tchèque. Mais à mon avis cela a des limites, à savoir les limites de l’identité de la personne qui porte le nom. On peut mettre la forme -ová par exemple aux noms d’athlètes américains si on veut, mais si une Américaine vit en République tchèque et veut que son nom de famille reste sans -ová, il faut le respecter. Si une Islandaise s’appelle Jónsdóttir, il faut le respecter. »
« J’ai une remarque personnelle sur le sujet que je raconte souvent aux Tchèques : ma sœur a passé son bac à Strasbourg. Mon père a visité le lycée et a rencontré le proviseur. Quand il est parti, le proviseur lui a tendu la main et lui a dit ‘Au revoir Monsieur Uhlová’. Mon père a souri et est sorti… »
Juste une petite remarque pour terminer, les choses prenant parfois une tournure compliquée lorsqu’il s’agit de deux langues slaves : la finale de Wimbledon vue de Prague se jouait entre Maria Sharapovová, forme féminine tchèque du nom Sharapova, lui-même forme féminine du nom russe Sharapov ! Quand à la championne tchèque, Petra Kvitová, elle n’est pas la fille de Monsieur Kvit, mais bien la fille de Monsieur Kvita…
Rediffusion du 12/7/2011