« En Biélorussie, la poésie est une forme de thérapie »

Nasta Koudasavova

En visite cette semaine à Prague, la cheffe de file de l’opposition biélorusse Svetlana Tikhanovskaïa a appelé les Tchèques à agir contre le régime autoritaire d’Alexandre Loukachenko et à soutenir les prisonniers politiques. En août dernier, suite à la réélection truquée du président, les artistes ont été en première ligne du mouvement de contestation violemment réprimé par les autorités de Minsk. Ce printemps, une dizaine d’entre eux ont pu profiter des séjours de résidence artistique à Prague et à Brno, organisés par le Centre littéraire tchèque. La poétesse biélorusse Nasta Koudasavova, qui est en résidence dans la capitale tchèque jusqu’à la mi-juin, a raconté cette expérience au micro de la rédaction russe de Radio Prague International.

« Vous savez, ces résidences sont comme un cadeau offert à toute la scène artistique et littéraire biélorusse,  car nous avons tous vécu des choses difficiles et stressantes au cours de l’année écoulée. J’ai vu l’annonce du Centre littéraire tchèque et de la Bibliothèque morave de Brno sur Internet, j’ai postulé pour cette résidence, j’ai été sélectionnée et me voilà à Prague, où je peux profiter de souffler un peu pour observer la situation en Biélorussie avec un certain recul… C’était mon intention. Et puis je me retrouve dans une très belle ville. Etre entouré de belles choses est important pour le bien-être. »

Vous avez observé les derniers événements en Biélorussie, liés à l’arrestation du journaliste Roman Protassevich, depuis Prague. Quel est votre sentiment ?

Une manifestation à Vilnius,  Lituanie | Photo: Mindaugas Kulbis,  ČTK/AP

« Il est vrai que j’appréhende la situation différemment lorsque je suis en Biélorussie : je peux appeler mes amis, nous allons nous promener et nous discutons de l’actualité. Vu de Prague, ce qui se passe en Biélorussie me paraît encore plus absurde et illogique que d’habitude. Nous nous sommes habitués à vivre des situations absurdes, mais depuis l’étranger, l’état des choses dans mon pays me paraît encore plus effrayant. »

Dans quelle mesure l’absence de liberté impacte-t-elle les artistes et les gens créatifs comme vous ?

« Chacun réagit différemment. Certains font comme s’il ne se passait rien de grave en Biélorussie. Peut-être parce qu’ils ne savent pas comment exprimer leur inquiétude ou parce qu’ils ne veulent pas s’engager et avoir des problèmes. Mais pour beaucoup d’artistes, cette situation est une grande source d’inspiration ! Un ami poète a écrit que c’était peut-être la période la plus heureuse dans nos vies. Bien sûr que nous souffrons sous le régime en place, mais cela signifie aussi que nous sommes bien vivants. Du coup, il y a de la matière pour écrire. Tous les sujets que nous avons traités par le passé ne sont plus d’actualité. La situation politique a donné une nouvelle impulsion à la littérature biélorusse. Je crois bien qu’elle vit un renouveau, en tout cas la poésie, car c’est elle qui réagit le plus rapidement à l’actualité. »

Pourriez-vous développer cette idée ?

Nasta Koudasavova | Photo: Facebook de Nasta Koudasavova

« Pour écrire un roman, il faut plus de temps, tandis qu’un poème est une courte réflexion sur le moment présent. La poésie nous aide beaucoup en ce moment, c’est un moyen d’expression très prisé en Biélorussie, une forme de thérapie pour les gens. Des poèmes circulent sur Internet, sont partagés, envoyés aux prisonniers politiques… »

« Ma création a elle aussi évolué. J’écrivais une autre poésie avant les grandes manifestations d’août 2020, plus lyrique. Désormais, elle est plus proche de notre quotidien et utilise un langage plus simple. Je veux être comprise par tout le monde et je veux aussi que mes œuvres expriment notre expérience collective, qu’elles reflètent la solidarité qui existe entre les Biélorusses. Pour moi, être poète, c’est ça : décrire le vécu pour ceux qui n’en ont peut-être pas la capacité. Parce que décrire la réalité, exprimer une peine, cela signifie aussi la rendre plus supportable. »

En République tchèque, vous avez participé à des rencontres avec des étudiants et des journalistes. S’intéressent-ils à la situation en Biélorussie ?

« Oui, ils me posent beaucoup de questions. J’ai notamment rencontré les étudiants à Liberec et à Plzeň. Chaque débat était différent, axé tantôt sur la littérature, tantôt sur la politique. Rencontrer les gens quand je voyage à l’étranger est devenu essentiel pour moi, alors que quand j’étais plus jeune, j’étais émerveillée par les lieux et l’architecture. »

Avez-vous écrit des poèmes durant votre résidence à Prague ?

Nasta Koudasavova et Sjarhej Kalenda à Prague | Photo: Bibliothèque de Moravie

« Oui, je suis venue pour cela ! Chaque jour, je vis des situations que j’ai envie de raconter en poésie. Ici, je peux me concentrer pleinement sur l’écriture, ce qui n’est pas le cas chez moi, où je dois m’occuper de mes enfants et des travaux ménagers. Je viens d’achever un poème que j’ai dédié à un prisonnier politique, un militant de l’opposition mort il y a quelques jours dans des circonstances suspectes. Il est soi-disant décédé d'un arrêt cardiaque dans une colonie pénitentiaire. Je n’en sais pas plus, j’ai juste essayé de me mettre dans sa peau… »

« Je pense que mes nouveaux poèmes seront publiés plus tôt à l’étranger, peut-être même en République tchèque, qu’en Biélorussie. »

Votre œuvre est-elle publiée en Biélorussie ?

Photo: Facebook de Nasta Koudasavova

« Pas par la maison d’édition nationale. Les institutions publiques sont très lentes. Et puis mes poèmes seraient sans doute censurés. Tout ce qui est intéressant provient de la culture indépendante, parallèle : des festivals, de petites maisons d’édition privées… »

A votre retour en Biélorussie, envisagez-vous d’organiser une rencontre pour faire partager aux autres les impressions de votre séjour en Tchéquie ?

« Nous n’organisons pas actuellement de rencontres en Biélorussie. La première raison est la pandémie de coronavirus. Comme partout, la vie sociale se déroule principalement en ligne chez nous aussi. La deuxième raison est politique : les gens ont peur de répressions et ne se réunissent même plus en famille ou entre amis, dans les appartements. Il est arrivé par exemple que la police procède à l’arrestation de personnes qui avaient participé à un cours privé de langue étrangère. »

Les Biélorusses gardent-ils l’espoir d’un changement ?

Nasta Koudasavova | Photo: Facebook de Nasta Koudasavova

« Bien sûr, nous sommes optimistes. Simplement, nous ne savons pas combien de temps il nous faudra encore attendre. Mais nous avons le sentiment que la fin de ce régime est inévitable. Pour l’instant, chacun fait ce qu’il peut. Ce système politique est comme un parasite qui nous empêche de vivre normalement. Mais cet Etat doit forcément s’épuiser, par principe, car il ne possède pas de ressources intellectuelles et spirituelles, il ne dispose pas de talents. Le régime tient encore seulement parce qu’il a de l’argent et des armes. Ce sont ses ressources à lui, mais elles ne sont pas éternelles. »

Auteurs: Magdalena Hrozínková , Olga Vasinkevich
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