« En tchèque, la prononciation est primordiale, sinon on confond un églantier avec un suppositoire »

Šípek, photo: Barbora Kmentová

Est-il vraiment si difficile d’apprendre le tchèque ? Oui ! C’est du moins l’avis d’Olga Schmalzried – Podzimková, professeure de tchèque dans la région de Bruxelles depuis plusieurs années déjà. Selon elle, cependant, plus encore qu’une bonne maîtrise de la grammaire, c’est d’abord une bonne prononciation dans la langue de Comenius qui doit prévaloir. Olga Schmalzried – Podzimková était de passage à Prague mi-septembre à l’occasion de la conférence intitulée « Krajané a český jazyk » - « Les Tchèques de l’étranger et la langue tchèque ». Elle a parlé de ce qu’elle connaît sans doute le mieux, l’enseignement du tchèque en Belgique. Et elle était donc bien placée pour nous confirmer que l’apprentissage du tchèque n’est effectivement pas évident pour tout le monde :

Olga Schmalzried – Podzimková,  photo: Miloš Turek
« Cela dépend. Il y a des personnes qui sont plus douées que d’autres. Cela ‘dépend de nos oreilles’ (sic), de notre qualité d’écoute. Personnellement, quand je suis arrivée en Belgique, je ne savais dire que trois choses en français : ‘bonjour’, ‘merci’ et ‘je t’aime’. Comme j’avais des petits enfants, j’ai d’abord essayé d’apprendre seule le français. Mais très vite, je me suis dit : ‘mon Dieu, cette langue-là, c’est la langue des diplomates, c’est fait exprès que ce soit si difficile pour qu’aucun idiot ne l’apprenne et ne fasse de bêtises avec cette belle langue'. J’ai donc eu pas mal de complexes au début, puis j’ai commencé à prendre des cours à partir de 1990 quand ma fille est entrée à l’école maternelle. »

« Mais quand j’ai commencé à donner des cours de tchèque à des étrangers et que j’ai été contrainte de considérer ma langue avec leurs yeux, je me suis dit : ‘Ouf, je suis contente que ce soit ma langue maternelle'. Je n’aurais pas voulu à avoir à l'apprendre. C’est pourquoi je leur tire mon chapeau. Il est bien connu que les Tchèques admirent chaque étranger qui leur dit ‘Dobrý den’ (bonjour). Ma façon de faire est d’y aller lentement mais sûrement. C’est vrai que l’analyse est très importante en tchèque. Il faut savoir quel mot est le sujet et quel autre l’objet. Mais les francophones font aussi des erreurs avec les accords du participe passé, notamment quand l’objet précède le sujet. Là-dessus, je suis très forte d'ailleurs parce que, justement grâce au tchèque, j’ai l’habitude d’analyser la structure des phrases. Mais il faut surtout que cet apprentissage se fasse dans la gaieté. Les gens viennent au cours à sept heures du soir après leur travail, il faut donc qu’ils s’amusent et que ce soit intéressant. Et moi, parce que c’est un travail que j’adore, ‘je les emporte dans les courants’ et je pense qu’ils repartent deux heures plus tard moins fatigués qu’ils ne sont arrivés au cours. »

Šípek,  photo: Barbora Kmentová
« Pour moi, il est aussi très enrichissant d’observer quel regard ces étudiants étrangers portent sur ma langue. C’est vraiment un échange. Et depuis toutes ces années que je donne des cours, j’ai appris une chose : la grammaire, d’accord, est importante. Mais si on fait des erreurs grammaticales, ce n’est pas grave, on peut comprendre. Si je dis ‘vidím Praha’ au lieu de ‘vidím Prahu’– ‘je vois Prague’, tout le monde me comprendra. Certes, on dira que je ‘parle comme un Tatar’ (je ne sais pas s’ils n’ont pas de grammaire, mais c’est ce que nous disons en tchèque), mais si je prononce mal, on ne comprendra rien du tout. Par exemple ‘rada’ signifie ‘conseil’, alors que ‘ráda’ (elle accentue la longueur du premier ‘a’, ndlr), c’est une femme qui est contente. Ce n’est donc pas du tout la même chose. De même, ‘šípek’ (prononcez ‘chïpèque’) est un églantier, tandis que ‘čípek’ (prononcez ‘tchipèque’) est un suppositoire… Il vaut donc mieux ne pas se tromper, hein ? En tchèque, la prononciation est vraiment la base de tout. Il faut surtout respecter et tenir les longueurs. Nous avons peu de voyelles par rapport au français, mais toutes les voyelles sont ouvertes. Il faut donc bien ouvrir les poumons, comme un accordéon, pour aérer… et c’est tout ! »

Pour les étrangers qui se lancent dans l’étude du tchèque, la grammaire avec tous ses cas, ses genres, ses déclinaisons, est quand même sacrément rébarbative, rebutante. N’est-ce pas ce qui leur semble le plus décourageant ? Parler est une chose, mais on peut aussi se lasser de mal parler et se décourager…

« C’est vrai, ce n’est pas évident, surtout pour une personne dont la langue ne possède pas de déclinaisons. Pour quelqu’un qui a fait du latin ou de l’allemand, cela va de soi que les mots changent selon la fonction qu’ils jouent. Mais encore une fois, les erreurs, ce n’est pas grave. C’est la prononciation qui prime. Comme beaucoup de Tchèques, j’aime faire usage des proverbes, et mon préféré est ‘la répétition est mère de la sagesse’. Ainsi, tous les étudiants deviendront des sages, mais lentement. On n’est pas là pour parcourir un manuel en une année. On s’adapte et on avance au rythme qui leur convient. »

Question un peu plus personnelle : vous vivez en Belgique depuis 1987, ne vous semble-t-il pas, à vous aussi, que Belges et Tchèques ont beaucoup de points communs ?

« Oui, je le pense. Pour moi qui viens d’un petit pays, vivre dans un grand pays serait plus difficile. Je me sentirais écrasée, moins importante. Mais la Belgique, même si sa superficie est moindre, a le même nombre d’habitants que la République tchèque. Et puis il y a la mentalité… Quelqu’un qui habite en bord de mer n’aura pas la même mentalité qu’une personne qui vit à la montagne. C'est normal. Nous sommes influencés par la région dont laquelle nous habitons. La vision que j’ai des Tchèques est celle de gens qui aiment la famille et s’amuser. Cette joie de vivre, nous l’avons en commun avec les Français pour qui la fête est la fête. Mais les Tchèques aiment aussi cette mentalité germanique, ou celte paraît-il, du travail bien fait, de la structure, de la discipline et la volonté d’aller jusqu’au bout. Ça, c’est donc la mentalité anglo-saxonne et germanique. Et il y a les deux en Belgique avec les Flamands et les Wallons. Cette joie de vivre et cette ‘dureté’ vont bien ensemble. »

« Personnellement, je vis en Wallonie et j’en suis très contente. Je ne sais pas comment c’est en Flandre, je n’y ai jamais habité, mais j’ai été très bien accueillie en Wallonie. Pourtant, je n’en savais pas grand-chose quand j’y suis arrivée. Je savais qu’il y avait de la métallurgie et du charbon, mais je mélangeais les Flamands et les Wallons parce qu’en tchèque, un Flamand se dit ‘Vlám’ et un Wallon ‘Valon’, les deux mots se ressemblent donc beaucoup. Je ne savais donc pas à quoi m’attendre, surtout en ne parlant pas français. Mais dès le jour de notre arrivée avec le camion et les enfants, une voisine est venue pour nous apporter du café, du lait et des biscuits pour les enfants. Cet accueil m’a émerveillé… J’en ai encore la chair de poule quand j’y repense. C’est inoubliable, surtout que la Tchécoslovaquie n’était pas du tout connue en Belgique à l’époque. Ce n’est qu’au moment de la séparation que les Belges se sont rendu compte que la Tchécoslovaquie n’était pas la Yougoslavie. D’ailleurs, je ne sais pas en France, mais de manière générale, en Europe de l’Ouest, la géographie est un vrai problème. Je dis souvent que pour les Belges, au-delà de l’Allemagne, tout le monde parle chinois. C’est ‘un village espagnol’ – ‘španělská vesnice’, comme disent les Tchèques pour désigner quelque chose de mal connu. »