En Tchéquie, la crainte d’une possible dérive autoritaire à la hongroise
Comme en Hongrie et en Pologne notamment, l’éventualité d’une dérive autoritaire du pouvoir est parfois évoquée en République tchèque aussi. Le sujet a été remis sur la table en début de semaine suite à la publication de l’information selon laquelle le ministère de la Défense envisagerait que le gouvernement et le Premier ministre puissent disposer, aux dépens du Parlement, de l’essentiel des pouvoirs pour diriger le pays lors de certaines situations de crise, comme celle que traversent actuellement les Etats européens en raison de la propagation du coronavirus.
Un groupe souvent pointé du doigt à Bruxelles et en Europe de l’Ouest qui, outre la République tchèque et la Hongrie, réunit également la Pologne et la Slovaquie, autant de pays où les principes du fonctionnement démocratique des institutions et de l’Etat de droit sont régulièrement menacés – à l’exception notable jusqu’à présent sans doute de la République tchèque et désormais probablement dans une moindre mesure de la Slovaquie suite aux récentes élections législatives.
Ainsi donc, avec la bénédiction d’un Parlement où il détient une large majorité et en vertu de l’état d’urgence décrété en raison de la crise du coronavirus, Viktor Orbán peut désormais légiférer par décret, et ce pour une durée indéterminée ; une précision qui a suscité des critiques de la présidente de la Commission européenne. Car si la Hongrie n’est pas le seul Etat membre à avoir adopté ces dernières semaines des dispositions institutionnelles d’urgence dans le cadre de la lutte contre la pandémie, les autres ont en effet défini des limites dans le temps. C’est pourquoi Ursula von der Leyen s’est empressée de rappeler que ces mesures d’urgence devaient « être limitées à ce qui est nécessaire ».
Andrej Babiš aurait-il donc en République tchèque les mêmes velléités que Viktor Orbán ? C’est la question qui peut se poser après la publication, en début de semaine, par l’hebdomadaire Respekt et le site Aktualne.cz, de l’information selon laquelle le ministère de la Défense s’apprêtait à présenter au cabinet un document prévoyant que le gouvernement et le Premier ministre pourraient disposer du pouvoir de diriger seuls le pays lors de situations de crise précisément identifiées, notamment lorsque le fonctionnement régulier du Parlement est interrompu.Dès le lendemain, le ministre de la Défense, Lubomír Metnar, membre du mouvement ANO comme Andrej Babiš, a démenti l’information, expliquant qu’il ne s’agissait là que des évaluations d’un travail mené depuis 2015 suite à une demande du gouvernement de l’époque pour évaluer les possibilités de faire face aux situations menaçant la sécurité de l’Etat.
Sous la pression des médias et le feu des critiques des partis de l’opposition, qui redoutent naturellement un affaiblissement des pouvoirs du Parlement, composé en République tchèque de la Chambre des députés et du Sénat, le ministre a reconnu que présenter ce document dans le contexte actuel, alors que l’état d’urgence a été décrété, était une initiative malvenue. Andrej Babiš, lui, a prétendu « ne pas être au courant » et que le sujet ne serait pas débattu en conseil des ministres. Document signé à l’appui, Respekt a néanmoins publié dans la foulée un autre article démontrant que le Premier ministre était bien informé du projet en cours.
De leur côté, les juristes spécialistes du droit constitutionnel ont réagi en affirmant que cette possibilité d’étendre les prérogatives du gouvernement et de son chef en période de crise au mépris du principe de la séparation des pouvoirs, lui permettant ainsi d’adopter des mesures qui relèvent normalement de la compétence du Parlement, était effectivement discutée depuis plusieurs années déjà. L’agence de presse tchèque ČTK a cité deux juristes membres du groupe de travail qui ont confirmé cette version des faits. Selon eux, le gouvernement n’aurait pas cherché à profiter de la situation actuelle et la présentation du document ne serait qu’un malheureux concours de circonstances.